Créer un site internet

Sexe des philosophes

Les philosophes ont-ils un sexe ?

le-penseur-de-rodin
Le 24 août 2014
Pendant longtemps, les femmes ont été écartées des carrières universitaires et académiques.
 
 

Ariane Baillon est une jeune lycéenne de 17 ans. Elle a lancé une pétition, assez largement relayée dans le monde éducatif malgré les vacances, pour dénoncer le peu de femmes dans les programmes scolaires. Elle dénonce particulièrement le fait que seule Hannah Arendt soit au programme de philosophie, citant comme femmes dont l’œuvre rendrait légitime leur inscription dans la liste des auteurs à étudier : Simone Weil, Simone de Beauvoir, Suzanne Bachelard ou Élisabeth Badinter.

Remarquons d’abord qu’il est de tradition d’attendre qu’un philosophe soit mort pour le faire entrer dans cette sorte de panthéon qu’est un programme scolaire. Sans mettre en doute la qualité de la pensée d’Élisabeth Badinter, on ne peut que souhaiter qu’elle y entre le plus tard possible. Quant à Suzanne Bachelard, outre qu’elle n’est morte que récemment (2007), après la dernière réforme du programme de philosophie (2003), elle est plus connue pour être la fille de Gaston Bachelard que pour son œuvre.

Reste qu’il est vrai que la seule femme figurant dans ce programme, et seulement depuis 2003, est bien Arendt, et que Beauvoir et Weil mériteraient d’y figurer. Est-ce à dire que la philosophie, dans sa version lycéenne, est sexiste ? Le problème est qu’une fois qu’on a cité ces trois philosophes, on a un peu fait le tour des grands philosophes de sexe féminin. Ce n’est pas que l’on considère que les femmes pensent moins bien que les hommes. La philosophie contemporaine donne leur place aux femmes. Outre celles déjà citées, on pourrait ajouter Chantal Delsol, Élisabeth de Fontenay, Sylviane Agacinski, Catherine Kintzler pour les plus connues. Mais il en est ainsi : pendant longtemps, les femmes ont été écartées des carrières universitaires et académiques. S’il y a peu de femmes dans le programme de philosophie des lycées, c’est parce qu’il y a eu peu de femmes philosophes dans l’histoire. On ne peut qu’en tenir compte.

On pourrait aussi s’étonner d’autres manques. Il y a peu d’Arabes (Averroès est le seul), aucun Américain, aucun Asiatique. En fait, la quasi-totalité des auteurs sont des hommes, blancs, européens. Heureusement, les chrétiens y sont minoritaires, on évite de justesse les foudres de SOS Racisme ! C’est un fait : la philosophie, malgré sa prétention à l’universalité, est un phénomène essentiellement européen. Le programme reflète ce fait.

Plus généralement, le sexe a-t-il une importance dans cette histoire ? Lui en donner une signifierait que l’œuvre d’un penseur, d’un romancier, la musique d’un compositeur, les productions d’un sculpteur ou d’un peintre restent liées à son sexe, à ses particularismes naturels ou sociaux. Or, ce qui fait une grande œuvre d’art ou une grande pensée, c’est précisément sa capacité à dépasser les conditions particulières qui ont présidé à sa réalisation pour s’adresser à tout homme, quel que soit le lieu ou le temps. Une œuvre n’a pas de sexe. Vouloir inscrire des femmes dans le programme de philosophie parce que ce sont des femmes serait aussi sexiste que serait raciste de vouloir étudier la poésie de Senghor parce qu’il est noir.

N’insultons pas Weil et Beauvoir. Il faudra, certes, un jour les inscrire au programme de philosophie. Pas parce que ce sont des femmes, parce que ce sont de grands philosophes.

                                                                                                                                                                                     Boulevard Voltaire

Date de dernière mise à jour : 2021-07-05 10:14:41