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justicelibre

de Platon à Aristote

 

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Conférence IV 

DE PLATON A ARISTOTE 
OU DE LA DUALITE A L'UNITE 


    Nous nous sommes quittés, la dernière fois, après avoir assisté à la mort de Socrate, celui qui ne savait rien, ou plutôt qui savait qu'il ne savait qu'une chose qu'il ne savait rien. Socrate, qui toute sa vie avait cherché la vérité et avait exhorté les autres à la chercher... Socrate, qui par l'élévation de son caractère et son goût d'absolu, mourut en laissant un souvenir impérissable au coeur de ceux qui l'avaient connu. 
    Parmi ceux-ci, Platon, un de ses élèves, mieux un de ses disciples fervents, sera tellement marqué par lui, que toute sa vie et sa pensée porteront la trace de l'influence de son maître. Platon, sous l'impulsion de Socrate, passera sa vie à chercher la vérité, et il la mettra si haut et lui donnera une telle noblesse, que nous sommes encore éblouis aujourd'hui de ce qu'il en a dit. 
    Platon, à son tour, devint un maître écouté et respecté, et parmi ses élèves vint un jour s'asseoir un jeune homme extraordinaire et d'une vive intelligence : Aristote. Aristote admira et aima profondément Platon, il fit d'abord sienne sa doctrine, puis peu à peu il élabora sa propre philosophie, profondément réaliste et humaine, mais capable cependant de s'élever jusqu'à l'absolu. 
    Socrate, Platon et Aristote : trois noms qui évoquent une filiation prodigieuse, base de toute la philosophie occidentale. 


C'est à la rencontre de Platon et d'Aristote, ces deux géants de la pensée que nous allons. Nous essaierons de comprendre leurs doctrines si proches par l'origine et pourtant si différentes.Leur oeuvre est d'une telle richesse, que le sujet est vaste, il ne sera donc pas question ici d'étudier en détail toutes les facettes de leur pensée; nous laisserons volontairement de côté certaines choses (par exemple la logique d'Aristote) pour pouvoir mieux saisir l'essentiel de ce qui caractérise leur philosophie. 

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                                                                                                                      I - PLATON 


    Nous voici de retour à Athènes à la fin du V° siècle avant J-C. C'est, nous l'avons vu, le siècle du classicisme grec marqué par l'essor des arts dans tous les domaines, mais c'est aussi une époque pleine du fracas des guerres et des luttes civiles. 


Sa vie 
    C'est dans ce climat agité, que naît Platon en 427 avant J-C. Il appartient à une famille aristocratique, son enfance et sa jeunesse sont marquées par la guerre du Péloponnèse qui fait se déchirer entre elles les cités grecques; malgré cela, il recevra une éducation très soignée. Il vit aussi à l'époque des sophistes, et il rencontre tout naturellement Socrate dans les rues d'Athènes, Socrate qui enseigne la recherche de la vérité et le mépris des fausses certitudes. 
    Ses premiers maîtres, sont Cratyle un disciple d'Héraclite et surtout Socrate dont il suit les leçons pendant huit ans. , et à qui il voue affection et admiration. En 404, lors de la chute d'Athènes anéantie par Sparte, l'aristocratie prend le pouvoir, et Platon semble avoir alors exercé quelques fonctions publiques de peu d'importance. Il s'en détournera rapidement écoeuré par la violence et les atrocités commises par le gouvernement des Trente. Disciple de de Socrate, il rêve d'une cité idéale fondée sur la justice. 
     La démocratie rétablie condamne Socrate, Platon est bouleversé par cette mort injuste. Après l'exécution, il juge prudent de s'éloigner pour quelques temps, il s'installe à Mégare, puis fait le tour de l'Egypte; il parcourt ensuite, la grande Grèce et s'initie à la philosophie pythagoricienne. Il visite Tarente, dont Archytas, penseur pythagoricien, est le chef. Toute sa vie Platon sera hanté par le problème politique comment instituer le meilleur régime possible, capable de garder la cité dans la paix et la justice ? 
    D' Archytas, il apprend qu'au delà des choses visibles perpétuellement changeantes, il existe des réalité invisibles plus réelles et plus stables que tout ce que nous pouvons connaître, et qui sont la vraie substance des choses et les seules vraies réalités. Pour Archytas, ces réalités invisibles ce sont les nombres, mais Platon se demande si le Beau, le Bien et le Vrai ne constitueraient pas plutôt ces réalités invisibles et cette vérité que Socrate cherchait. 
    Il poursuit ses pérégrinations jusqu'à Syracuse, où Denys I°, tyran de la ville l'invite. Vite lassé par le luxe et la débauche de la cour, il ne peut s'empêcher de les critiquer et Denys l'expulse; il est embarqué de force, fait prisonnier, et manque de peu d'être vendu comme esclave, il ne recouvre la liberté que contre une rançon. 
    De retour à Athènes, en 388, il décide d'ouvrir une école destinée aux futurs gouvernants; il veut pour eux une formation basée sur la philosophie qui seule, pense-t-il, peut enseigner à gouverner selon la justice. Ce sera l'Académie qui s'installe dans un gymnase portant le nom d'un héros athénien : Académos. Telle est l'origine du mot académie, encore si courant de nos jours. Dés le début, l'Académie connaît un grand succès qui ne se démentira pas, puisqu'elle survivra à Platon et durera près de quatre siècles. 

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    En 367, il est appelé à Syracuse, Denys le Jeune, qui vient de succéder à son père réclame ses conseils. Platon part tout heureux, il va peut-être pouvoir enfin expérimenter ses idées sur Part de gouverner et sur le régime idéal; il va peut-être pouvoir instaurer un gouvernement fondé sur la philosophie. Malheureusement ses espoirs sont vite déçus , par ses critiques et ses conseils, il déplaît et indispose Denys; on l'emprisonne dans une citadelle, heureusement une guerre avec les Lucaniens le délivrera. Il revient à Athènes et reprend en main l'Académie où de nombreuses critiques se sont déchaînées en son absence. Il reprend son enseignement en le tempérant et en 361, il est de nouveau appelé à Syracuse par Denys. Encore une fois il repart, son rêve de cité idéale le tenaille toujours; hélas, l'expérience est encore plus courte que les précédentes, il tombe rapidement en disgrâce, pratiquement prisofinier, il faut l'intervention d'Archytas pour le délivrer. 
    Il passe la dernière partie de sa vie à Athènes. Jusqu'au bout, il déploie une activité inlassable . il enseigne à l'Académie et écrit sans relâche, remodelant jusqu'à la fin sa doctrine. En 347, il meurt âgé de quatre vine ans, alors qu'il est en train de terminer son dernier ouvrage : Les Lois. 


Son oeuvre 
    Platon est un immense génie, il a abordé tous les problèmes, élaboré des solutions originales, on l'a nommé à juste titre Le père de la philosophie, car c'est lui qui donne réellement le coup d'envoi de la philosophie occidentale. 
    L'essentiel de son oeuvre se présente sous forme de dialogues, nous en possédons vingt huit. et comporte aussi quelques lettres. Les dialogues mettent en scène d'abord Socrate, et ensuite tous les personnages amis et notables qui gravitaient autour de lui et de Platon. Ces personnages nous sont présentés dans leur vie courante, ils sont plein de vie et de réalisme; nous assistons réellement aux discussions, nous découvrons les inimitiés, les qualités et les défauts de chacun; nous rions aux bévues des uns , et nous nous exaltons avec les grandes envolées lyriques de Platon. A travers ses dialogues, ce sont ses propres idées, sa quête de vérité et d'absolu, qu'il exprime, même s'il les attribue souvent à Socrate. Nous sommes en présence d'un très grand écrivain, d'un véritable génie de l'écriture doublé d'un poète et d'un mystique. Il nous emporte au souffle de ses visions mythiques, par le charme de ses descriptions et il sait aussi nous émouvoir profondément lorsqu'il nous raconte la mort de Socrate. 


Sa vision du monde : de l'opinion à l'idée 
    Quelle vision a-t-il du monde dans lequel il vit 9 il a vu mourir Socrate condamné injustement parce qu'il préférait la vérité au relativisme et au nihilisme des sophistes. Socrate est donc mort victime de l'opinion, qui apparaît à Platon comme quelque chose d'essentiellement fluctuant instable et dangereux, car elle se fonde sur les apparences, elle est contradictoire et est une source per inanente de conflits

- L'opinion se fonde sur les apparences, sur ce qui se passe à un moment donné, et sur l'intérêt particulier. Tel qui dit blanc aujourd'hui dira noir demain parce que les circonstances ont changé et que son intérêt l'exige, ou encore par peur du qu'en dira-t-on

- L'opinion est contradictoire : l'un soutient un point de vue, l'autre son contraire, chacun avec des arguments valables et d'une manière convaincante.Qui croire ? Vers qui se tourner ?

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    L'opinion est source de conflits, puisqu'elle n'est basée que sur des apparences, des circonstances et des intérêts contradictoires, elle entraîne des conflits et des guerres acharnées. Chaque individu, chaque famille et chaque cité a sa vérité propre et chacun est prêt à se battre pour elle. L'opinion est donc toute puissante dans la cité. Comment la réformer ? Comment la redresser ? 
    Autant à Athènes qu'à Syracuse, Platon a constaté à quelles dérives, à quels bains de sang et à quelles injustices l'opinion peut conduire. La loi, il en est certain, ne doit pas suivre l'opinion, ni la mentalité collective, puisque celles-ci ne sont fondées que sur des contradictions. La loi doit se baser sur la science, c'est à dire sur la vérité. Mais comment trouver la vérité ? Dans notre vie quotidienne nous pouvons nous contenter de vivre selon les apparences du monde sensible et selon l'opinion, mais dès qu'il s'agit de gouverner, de dire la justice et surtout de comprendre le monde dans sa réalité fondamentale notis avons besoin d'une base plus sûre que l'opinion et les apparences du monde visible. 
    Cette base stable sur laquelle nous pourrons nous appuyer et qui sera la référence permettant de juger de la valeur des opinions diverses ou des réalités concrètes, c'est ce que Platon avait pressenti auprès des pythagoriciens, c'est à dire une réalité invisible, bien réelle mais située au delà du monde concret. Pour les pythagoriciens cette réalité essentielle c'était le nombre, véritable substance des choses; mais pour Platon, c'est l'Idée, réalité une, immuable, éternelle, modèle absolu et source d'existence de tout ce qui existe ici-bas. Ainsi la Justice, avec un grand J, la Justice absolue, La Justice en soi existe absolument, parfaite, stable, éternelle et immuable. Elle est le modèle auquel doivent se référer nos petites justices humaines, misérables, imparfaites et ridicules. De la même manière existent l'idée du Bien en soi, du Beau en soi, de l'Homme en soi, du Cheval en soi, du Chêne en soi, du Fer en soi, du Marbre en soi. 
    Chaque réalité visible, chaque chose a ainsi son modèle, son Idée immatérielle, invisible, immuable et éternelle, d'où elle tire son existence et qui est sa référence absolue. L'Idée est plus réelle que les choses que nous voyons et qui n'en sont que de "pâles copies", dit Platon. 
    La vérité ne se trouve donc ni dans le monde physique ni dans l'opinion, mais dans l'absolu du " monde divin des Idées " qui n'est accessible qu'à l'âme par l'intelligence. Platon nous présente donc un monde marqué d'une dualité absolue :

- d'une part le monde visible, concret, matériel, où comme l'enseignait Héraclite " tout coule, tout s'écoule, rien ne demeure ", monde en perpétuel changement, en perpétuelle contradiction. c'est le monde de l'illusion et de l'opinion.

- d'autre part le monde invisible, monde intelligible, uniquement accessible à l'intelligence. C'est le monde des Idées, principes, essences et modèles de toutes choses. C'est un monde divin, c'est le seul monde réel, c'est le monde de la vérité. 


Le mythe de la Caverne illustre admirablement cette théorie. Les hommes, dit Platon, sont comme des prisonniers enchaînés depuis leur naissance face à la paroi d'une caverne ouvrant largement sur l'extérieur. La lumière vient d'un feu situé au dehors. Entre le feu et la caverne passe une route élevée. Ce que voient les prisonniers et qui leur semble la réalité, ce ne sont que les ombres des marionnettes qui sont présentées comme dans un théâtre d'ombres entre le feu et la caverne. Ces ombres, les prisonniers les prennent pour la réalité, et sont prêts à mourir pour affirmer qu'elles sont la réalité même des choses. Si on délivre quelques prisonniers, qu'on les traîne dehors par un chemin escarpé à la lumière du soleil, dans un premier temps, éblouis par la lumière, il seront incapables de rien distinguer. Ils maudiront leur sort, ils préféraient le monde obscur et tranquille de leur prison et leurs fausses certitudes. 

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    Petit à petit, ils s'accoutumeront à voir d'abord de nuit, ensuite de jour, ils s'émerveilleront à la vue des choses réelles. En contemplant le soleil, enfin, ils se persuaderont qu'il est la cause de toutes les choses du monde visible, mais aussi des choses qu'ils voyaient dans la caverne. Ils comprendront aussi que le feu qui éclairait leur prison et qu'ils prenaient pour le bien suprême n'est qu'un pâle reflet du soleil. Ils en arriveront ainsi à préférer " vivre valets de boeuf au service chez un pauvre fermier " que de retourner vivre dans la caverne. 
    Mais supposons, dit Platon," un homme redescendu dans la caverne venant se rasseoir à son même siège " il aurait les yeux tout pleins d'obscurité lui qui arrive de la lumière. Et s'il s'avisait de raconter ce qu'il a vu et d'instruire ses compagnons en leur disant que les choses qu'ils prennent pour vraies ne sont en réalité que des ombres, que la vraie substance des choses est ailleurs et mille fois plus belle qu'ilsIne l'ont jamais imaginée, est-ce qu'on ne le prendrait pas pour un fou ? Est-ce qu'on ne se moquerait-on pas de lui ? Et s'il tentait de les délier et de leur faire gravir la pente, est-ce qu'ils ne le maudiraient pas, et ne tenteraient pas de le mettre à mort?     Voilà la destinée du philosophe, comme Socrate il a entrevu la vérité et l'Absolu, et les mortels préfèrent les apparences, les opinions et l'obscurité de la caverne à l'illumination et à la contemplation de la vérité 

 

 

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                                                                                                               A R I S T O T E

Nous rencontrons maintenant Aristote, cet autre géant de la pensée grecque, dont le génie fut si puissant qu'il influença profondément la pensée des siècles suivants et cela jusqu'à nos jours Pendant des siècles on le désigna comme Le Philosophe.

1 -Sa vie et son oeuvre

Aristote est né en 384 à Stagire, ville située en Macédoine, qui était à l'époque une très ancienne colonie ionienne. Son père Nicomaque était le médecin du roi de Macédoine, Amyntas H. Aristote perd très jeune ses parents, et sera élevé par un oncle. En 366 il arrive à Athènes et entre comme élève à l'Académie de Platon, il a dix huit ans. L'Académie connaît alors un grand rayonnement et il en devient un des meilleurs élèves. Platon le surnommera le Liseur ou l'Intelligence. Ses études terminées, il devient tout naturellement professeur de rhétorique et de logique à l'Académie.

En 347, à la mort de Platon, Seusippe, un de ses neveux prend la direction de l'école, Aristote quitte alors Athènes et se rend à Assos dont le tyran est platonicien. II séjourne ensuite dans Ille de Lesbos, où il épouse Pythias.

En 344, Philippe, roi de Macédoine, lui demande de venir se charger de l'éducation de son fils . Alexandre, le futur conquérant, âgé de treize ans. Il demeurera à la cour macédonienne de 343 à 335. II

retourne alors à Athènes, il a cinquante ans, sa réputation est grande, il fonde alors sa propre école : le Lycée, dans un gymnase dédié à Apollon Lycien.

A la mort d'Alexandre, en 323, Aristote devient suspect de sympathie macédonienne, car Alexandre ayant soumis une partie des cités grecques, une violente réaction anti- macédonienne se fait jour. Comme Socrate, il est accusé d'impiété, pour de fausses raisons. Il abandonne le lycée aux mains de Théophraste, et se réfugie à Chalcis, où il meurt en 322, à l'âge de 62 ans d'une maladie de l'estomac.

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Son oeuvre 
     L'oeuvre d'Aristote, d'après son propre témoignage, comportait deux sortes d'écrits : ceux qui étaient destinés au public, et qui avaient en général, comme chez Platon la forme de dialogues ; et ceux qui étaient destinés aux élèves du Lycée, il s'agissait là d'écrits pédagogiques et scientifiques, ce sont les seuls qui nous sont parvenus. Ce que nous connaissons de lui est écrit dans un langage logique et rigoureux, ce sont des ouvrages destinés à l'étude, dont la lecture est peu attrayante. Les écrits destinés au public, aujourd'hui perdus, étaient d'une tout autre facture, et Cicéron en admirait le style : "fleuve de discours coulant comme de l'or " L'ceuvre d'Aristote est énorme et, malgré ce qui en est perdu nous la connaissons bien, par le nombre important des ouvrages qui sont parvenus jusqu'à nous. Il a écrit sur tous les sujets, on peut en juger d'après la liste de ses oeuvres

- Logique : Catégories, De l'Interprétation, Les Analytiques, Topiques, Réfutations sophistiques.

- Physique : Sur la Nature, Du Ciel, de la Génération et de la Corruption

- Biologie : Les Parties des Animaux, De la Marche des Animaux, De l'Âme, Des Sens et du Sensible, De la Mémoire et de la Réminiscence, Du Sommeil et du Rêve, De la Divination selon les Songes, De la Génération des Animaux, De la Longueur et de la Brièveté de la vie, De la Jeunesse et de la Vieillesse,De la Vie et de la Mort, De la Respiration.

- Philosophie première : La Métaphysique.

- Philosophie de l'Homme : Ethique à Nicomaque, Ethique à Eudème, La Politique, La Rhétorique, La Poétique 


Sa vision du monde 
    Platon concevait le monde comme une histoire, une action en train de se dérouler et il avait toujours en vue le but ultime de cette action : la connaissance et la contemplation de la Vérité et du Bien 
    Aristote, s'il cherche aussi la vérité se place dans une optique totalement différente le monde n'est pas pour lui une histoire, mais un système, un vaste champ clos, où s'affrontent et se combinent des forces diverses, et où coexistent de multiples êtres naturels et divers. Pour lui, l'essentiel est de se mettre à l'écoute de cet univers plein de richesses, de l'observer, de l'étudier patiemment et d'en découvrir les causes, pour enfin accéder au Principe Premier. 
    Platon nous emporte sur les ailes de son génie puissant, et par la grandeur de ses visions mythiques nous dépose sur les cimes de l'Absolu. Aristote, pas à pas, étudie, regarde et explique ce qu'il voit et comprend. Comme le montre la liste de ses oeuvres, il a étudié l'ensemble des réalités qu'il avait sous les yeux : le ciel, les astres, les plantes, les animaux, l'homme. Comment voit-il les choses concrètes, comment voit-il l'univers qui nous entoure ? 
     Il a été l'élève de Platon, il l'a admiré et aimé, mais il va se détacher de lui en ce qui concerne sa pensée, " à l'amitié, il faut préférer l'amour de la vérité ", dit-il. La théorie des Idées, essences et modèles de toutes choses, que Platon professait, Aristote la rejette avec vigueur. 
    Il a contemplé le monde avec patience et attention, et en chaque chose, en chaque plante, en chaque animal, en chaque humain, il a discerné une organisation propre qui semble orientée vers le plus grand bien possible de chacun de ces êtres. Ainsi l'oeil est merveilleusement agencé pour la vue, l'embryon n'est ordonné qu'en vue de l'homme à venir, et la main pour être l'outil de l'intelligence. Non, les choses d'ici-bas ne sont pas de pâles copies d'un modèle idéal, situé dans un monde divin, comme le voulait Platon. Les choses ont leur intelligibilité et leur perfection en elles-mêmes. L'Idée de Platon, ce modèle d'organisation de chaque chose, Aristote l'appelle la forme, et cette forme, selon lui, est présente en chaque objet inanimé et en chaque être vivant. 

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    Tout ce que nous voyons dans la nature est donc un composé de deux principes : La matière et la forme, et l'une ne peut exister sans l'autre. La matière brute, la matière première n'existe pas, car toute matière est organisée selon une forme, et c'est cette forme qui lui donne son existence, et la forme du vivant c'est l'âme. 
    Le monde, selon Aristote, n'est plus un désordre incompréhensible, un chaos indescriptible, il est organisé en vue du meilleur de chacun et de tous. En chaque objet, en chaque vivant existe une intelligibilité, un ordre, une organisation, la forme, principe d'existence et de devenir. 


2 — Aristote à la fois successeur et critique de Platon 
     Platon a vu Socrate condamné injustement parce qu'il préférait la vérité au relativisme et au nihilisme des sophistes. Socrate est donc mort victime de l'opinion qui apparaît à Platon comme quelque chose d'essentiellement dangereux. 
    Pour Platon, l'opinion est source de conflits, puisqu'elle n'est basée que sur des apparences, des circonstances et des intérêts contradictoires, elle entraîne des conflits et des guerres acharnées. Chaque individu, chaque famille, chaque cité a sa vérité propre et chacun est prêt à se battre pour elle. L'opinion est donc toute puissante dans la cité. Comment la réformer comment la redresser ? 
     Autant à Athènes qu'à Syracuse, Platon a constaté à quelles dérives, à quels bains de sang et à quelles injustices l'opinion peut conduire. La loi, il en est certain ne doit pas suivre l'opinion puisque celle-ci ne se fonde que sur des contradictions. La loi doit se baser sur la science, c'est à dire sur la vérité. Mais comment trouver la vérité ? Dans notre vie quotidienne nous pouvons nous contenter de vivre selon les apparences du monde sensible et selon l'opinion, mais dès qu'il s'agit de gouverner, de dire la justice et surtout de comprendre le monde dans sa réalité fondamentale nous avons besoin d'une base plus sûre que l'opinion et les apparences du monde visible. 
    Cette base stable sur laquelle nous pourrons nous appuyer et qui sera la référence permettant de juger de la valeur des différentes opinions ou des réalités concrètes, c'est ce que Platon avait pressenti auprès des pythagoriciens, c'est à dire une réalité invisible, mais bien réelle et située au-delà du monde concret. Pour les pythagoriciens, cette réalité essentielle était le nombre, véritable substance des choses ; mais pour Platon, c'est l'idée, réalité une, immuable, éternelle, modèle absolu, et source d'existence de tout ce qui existe ici-bas. Ainsi la Justice avec un grand J, la Justice absolue, la Justice en Soi existe, absolument parfaite, stable, éternelle, et immuable. Elle est le modèle auquel doivent se référer nos misérables petites justices humaines imparfaites et ridicules. De la même manière existent l'idée du Bien en Soi, du Beau en Soi, de l'Homme en Soi, du Cheval en Soi, du Chêne en Soi, du Fer en Soi, du Marbre en Soi. Chaque réalité visible, chaque chose a ainsi son modèle, son Idée immatérielle, invisible, immuable, et éternelle, d'où elle tire son existence et qui est sa référence absolue. L'Idée est plus réelle que les choses que nous voyons et qui n'en sont que de «pâles copies », dit Platon. 
     La vérité ne se trouve donc ni dans le monde physique ni dans l'opinion, mais dans l'absolu du « monde divin des idées » qui n'est accessible qu'à l'âme par l'intelligence. Platon nous présente donc un monde marqué d'une dualité absolue : d'une part le monde visible, concret, matériel, ou, comme l'enseignait Héraclite « Tout coule, tout s'écoule, rien ne demeure », monde en perpétuel changement, en perpétuelle contradiction, c'est le monde de l'illusion et de l'opinion ; d'autre part le monde invisible : monde intelligible, uniquement accessible â l'intelligence. C'est le monde des Idées, principes, essences, et modèles de toutes choses. C'est un monde divin, c'est le seul monde réel, c'est le monde de la vérité_ 


L'homme selon Platon. 
    Et l'homme dans tout cela, dans cet univers si bien divisé en deux, quelle est nature, quelle est sa destinée et dans quelle cité vivra-t-il ? Comme toutes les réalités visibles, l'être humain est bâti selon un modèle idéal, immuable et éternel: l'Homme en soi, l'Idée Homme. II est aussi comme le reste du monde constitué selon une dualité fondamentale: le corps et l'âme. 
    - Le corps, est l'élément visible et changeant de l'homme, il fait partie du monde visible et matériel, et il est aussi changeant et éphémère que lui. II n'est qu'un accessoire, un logement temporaire de l'âme. 
     - L'âme, est la seule vraie réalité de l'homme, elle est immatérielle et immortelle, dit Platon, et elle s'apparente ainsi aux Idées, modèles de toutes choses. Avant d'être logée dans un corps, ce qui est pour elle une véritable déchéance, elle demeurait dans un lieu céleste, non loin du «Monde Divin des Idées », non loin non plus de la demeure des dieux. Là, elle a connu et côtoyé les uns et les autres et leur souvenir s'est gravé en elle. La vérité, l'homme ne la connaît pas en observant le monde visible, où tout change constamment mais en se souvenant des Idées modèles des choses qu'il a vu avant sa vie terrestre. 
      L'âme se compose de trois parties : l'une est le siège des appétits charnels, l'autre des élans généreux du coeur, et la troisième est constituée par la raison qui dirige et modère les deux autres en les équilibrant. Dans son dialogue, Phèdre, Platon fait une description merveilleusement imagée de l'âme, qu'il présente sous la forme d'un attelage ailé: 
«ll faut maintenant parler de la nature de l'âme Pour montrer ce qu'elle es4 il faudrait une science toute divine et de longs développements; mais pour en donner une science approximative, on peut se contenter d'une science humaine et l'on peut être plus bref. J'adopterai donc ce dernier procéd4 et je dirai qu'elle ressemble à une force composée d'un attelage et d'un cocher ailés. Chez les dieux, chevaux et cochers sont également bons et de bonne race; chez les autres êtres ils sont de valeur inégale; chez nous le cocher gouverne l'attelage, macis l'un des chevaux est excellent et d'excellente race, l'autre est tout le contraire et par lui-même et par son origine, il s'ensuhfatalement que c'est une tâche pénible et malaisé de tenir les rênes de notre âme.... » 


Destinée de l'homme 
    Son âme est immortelle, Platon l'affirme avec force, et son but ultime est d'arriver à la contemplation du Bien Absolu, c'est à dire de l'Idée du Bien, sommet de la hiérarchie des Idées. Pour cela elle doit se dégager du corps, prison dans laquelle elle est enfermée et qui pour elle est un sépulcre ; elle doit retrouver ses ailes primitives pour de purifications en purifications et d'étapes en étapes, en se corrigeant de ses mauvais penchants, et en se détachant de l'illusion des opinions, arriver â la contemplation de Idées, essences de toutes choses, et enfin à la contemplation de l'idée suprême et absolue, sommet de tout: l'Idée du Bien. 

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La cité idéale 
    Mais l'homme avant d'atteindre une telle perfection et une telle béatitude vit malheureusement sur terre, dans la cité, et soumis aux illusions et aux mensonges de l'opinion, ainsi qu'aux aléas de la politique. Bref, il est ballotté dans un monde fou, en proie au désordre, où la vérité et la justice sont constamment bafouées. Cela, Platon, malgré son mysticisme et son goût d'absolu ne peut l'oublier, il vit dans une époque déchirée par les guerres et malmenée par des luttes fratricides entre les partisans de la démocratie et de l'aristocratie. Avec la mort de Socrate, avec la chute d'Athènes, avec les atrocités de la tyrannie des Trente, il constate que la démocratie athénienne n'est pas le régime idéal. Il est urgent d'organiser la cité selon la raison afin qu'enfin règne la justice. C'est au philosophe qu'incombe cette tâche: définir le système politique idéal et si possible l'organiser; et c'est bien ce but que Platon poursuivra toute sa vie sans jamais l'atteindre. 
    Platon nous décrit la cité idéale dans La République, un autre de ses dialogues. Comme l'âme humaine elle se compose de trois parties, c'est à dire de trois races qui correspondent aux trois parties de l'âme humaine: 


-La race d'or, c'est la race des philosophes qui dirigent la cité.

-La race d'argent, c'est celle des guerriers, gardiens de la cité.

-La race d'airain, c'est celle des artisans, des commerçants, et des paysans

La race d'or correspond au cocher de l'âme humaine, c'est elle qui incarne la raison Dans la cité. La race d'argent correspond au bon cheval de l'âme humaine, elle incarne le courage et les vertus élevées. La race d'airain correspond au mauvais cheval de l'âme humaine et représente l'ensemble des appétits charnels. 
     Dans la cité idéale, chacun a une fonction bien définie, et c'est l'harmonie régnant entre des trois classes qui assure et garantit la justice dans la cité, comme l'harmonie entre les trois parties de l'âme assure à celle-ci l'accession à « la plaine de la vérité » et à la contemplation du Bien. 
    L'éducation permet de répartir les citoyens dans chaque classe : les futurs gardiens sont sélectionnés selon leurs aptitudes physiques, leur courage, et leur intelligence; les futurs dirigeants le sont selon leur capacité dialectique leur permettant d'accéder à la vérité ; la troisième classe, la race d'airain, est chargée de pourvoir aux besoins de tous. Mais les classes ne sont pas figées une fois pour toutes: un enfant né dans la classe d'airain peut accéder aux plus hautes charges, s'il présente les aptitudes requises, il reçoit alors l'éducation appropriée. 
     Pour assurer la cohésion et l'unité parfaite de la cité, Platon, l'enserre dans des règles très étroites : les gardiens habitent en commun, ils ne possèdent rien en particulier, ni or ni argent, ni terres, ni femme ni enfants, tout est mis en commun afin que l'ambition ou l'avidité ne les détournent pas de leur devoir. Seuls les membres de la classe inférieure peuvent avoir une propriété personnelle, mais strictement limitée, et sous la condition de payer une taxe aux classes supérieures. La population est constamment maintenue à un ombre idéal, les enfants malformés ou en surnombre sont éliminés.

Cette cité idéale, c'est aux yeux de Platon, la Cité naturelle, telle qu'elle a existée au temps de l'âge d'or, et dont tous les régimes existants sont une copie dégénérée, source d'injustice. C'est à une telle organisation qu'il faut revenir si on veut instaurer le règne du Bien et de la Justice. 

 

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La connaissance selon Platon 

Nous connaissons naturellement par nos sensations, ce qui nous entoure. Ces sensations ne nous montrent que des réalités matérielles en perpétuel changement et ne peuvent donc jamais nous faire connaître sûrement ce que sont les choses en elles mêmes, elles ne nous font connaître que leurs apparences. Il s'agit donc d'une connaissance approximative qui conduit à l'opinion.

La vraie connaissance est celle qui se fonde sur l'idée que nous découvrons non par nos sensations mais par réminiscence. Notre âme, lorsqu'elle avait des ailes et vivait dans le monde divin a vu les Idées, et lorsqu'elle voit une réalité d'ici bas, un cheval par exemple, elle se souvient de l'Idée Cheval qu'elle a contemplé jadis dans le monde divin des Idées, et elle sait alors avec certitude qu'il s'agit d'un cheval.

Il faut donc pour une connaissance vraie savoir remonter des choses sensibles aux Idées ; cela se fait grâce à la dialectique, véritable méthode de connaissance.

La dialectique selon Platon comporte deux temps :

Un mouvement ascendant (synthèse) : où l'âme s'élève progressivement d'idée en idée, jusqu'à l'Idée du Bien, « idée de toutes les idées ».

La dialectique ascendante passe du multiple à l'un, pour découvrir le principe (l'idée- forme) de chaque réalité, jusqu' au principe ultime, principe des principes et source de tout: l'Idée du Bien. Il lui faut s'élever ainsi de la connaissance des images qui n'est que conjecture, pour passer à celle des êtres réels vivants ou non qui mène à la croyance. Il faut ensuite dépasser le monde sensible pour accéder au monde de la pensée, d'abord par la connaissance des mathématiques, de l'astronomie et de la musique, qui mène à la connaissance discursive, pour parvenir enfin au monde des Idées, accessible à la seule Raison et source de la vraie connaissance.

Un mouvement descendant (analyse) : qui, à partir de cette vision de la hiérarchie des Idées, et de l'Idée du Bien identique à l'UN, cherche par la puissance de la raison à reconstruire la série des Idées sans recours à l'expérience. Si le mouvement ascendant correspond à la sortie de la caverne, le mouvement descendant correspond au retour dans la caverne, où, celui qui a vu le « vrai monde », discerne enfin la vérité du réel : il la distingue des ombres et des images, et il peut, alors, enseigner aux autres la Vérité, tout en devenant apte à les diriger.

Dialectique ascendante
(Synthétique)

Platon

Objets connus

LE BIEN
(Idée de toutes les Idées)

Les IDEES

(Y compris les archétypes mathématiques)

NOTIONS MATHEMATIQUES
(Sont de simples possibles et reposent
sur des hypothèses)

 

ETRES VIVANTS et

CHOSES NATURELLES

IMAGES
OMBRES et REFLETS

 

     

 

Pour bien comprendre la pensée de Platon, il faut  retenir:

- qu'il affirmr l'existence des Idées au delà du monde sensible.

- que les Idées sont la cause des choses sensibles, leur correspondant, car elles leurs donnent être et existence.

- que les seules Idées permettent, à la lumière de l'Idée du Bien, Intelligible suprême, de nonnaître le monde sensible: elles sont source d'intelligibilité

 
 

 


 

 

 

Date de dernière mise à jour : 2025-01-31 16:08:23