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Arrêter de violenter le Français

 

« Arrêtons de violenter le français ! »

Marie-Hélène Verdier 

ARTICLE | 13/06/2018 | Numéro 2109 | Par Charles-Henri d'Andigné

 

Dans un essai percutant, Marie-Hélène Verdier prend la défense du français, menacé par les défaillances de l’école, le féminisme radical et la nouvelle orthographe.

Marie-Hélène Verdier

Elle a enseigné, durant toute sa carrière, le latin, le français et le grec dans des lycées parisiens, dont le lycée Louis-le-Grand. Elle est aussi l’auteur de recueils de poésie, de nouvelles et de récits en prose. Dernier livre paru : La Guerre au français (Cerf).

 

Qu’est-ce qui vous a poussée à écrire votre dernier essai, La Guerre au fran­­çais  ?

J’avais écrit, l’an dernier, un article mis en ligne par Cau­seur, dont ce livre est une version développée, sur cette mode apparue dans les années quatre-vingt-dix, de fémi­niser les mots en leur ajoutant la lettre « e ». Les « écrivaines », les « auteures », les « professeures » (sans parler des « docteures », voire des « procureures ») ont ainsi envahi les qua­trièmes de couverture et les bandeaux télévisés. C’est absurde, car cette lettre n’est en rien un suffixe féminin. Il suffit d’ouvrir n’importe quel dictionnaire pour s’en rendre compte : « homme », « père », « rire », « fromage », « mâle », « village », en témoignent. Le « e » n’est pas non plus un suffixe de féminisation des adjectifs : ainsi « utile », « futile », « fragile », etc. En réalité, c’est l’article qui détermine le genre : on ne refait pas un lexique à partir d’une idéologie féministe.

Quelles sont les menaces qui planent sur le français ?

Au cours de mes années d’enseignement, j’ai vu, sous la plume de mes élèves, une déstructuration syntaxique de la phrase, des fautes d’orthographe qui montrent un apprentissage fautif de la langue (on écrit, par exemple : « comment va t’il ? », comme s’il y avait une élision), ainsi que la disparition de la ponctuation. Quant au manque de vocabulaire, il rend parfois impossible la compréhension des textes. Et que dire, à l’oral, de la disparition des accords et des liaisons ?

C’est l’article qui détermine le genre : on ne refait pas un lexique à partir d’une idéologie féministe.

Or, il suffirait de rétablir l’apprentissage de la lecture par la méthode syllabique (comme le veut Jean-Michel Blanquer, le ministre de l’Éducation nationale) pour résoudre cette infirmité orthographique qui n’est pas de la « dyslexie » comme on le dit trop souvent, mais tout simplement une méconnaissance de la langue.

Il faut d’abord et avant tout se rendre à une évidence : notre orthographe n’est pas phonétique et c’est ainsi. C’est aux parents d’élèves à veiller au grain et à s’assurer de l’apprentissage correct et efficace de notre langue. Cette méconnaissance de la langue a une incidence sur la compréhension d’un texte à idées. Ainsi, l’ironie (ou le double sens) d’un texte n’est souvent plus comprise. Pour ne prendre que cet exemple connu de tous, la dénoncia­tion de l’esclavage dans la lettre fameuse des Lettres persanes vaudrait, de nos jours, à Montesquieu, une condamnation du Mrap !

Une troisième menace vient de l’abandon fréquent de la culture classique au profit d’une « littérature anglo-saxonne », véritable auberge espagnole ! Or, c’est cette culture classique qui forme le jugement des élèves. Un dernier danger, enfin, vient d’une « culture » égalitaire qui met tous les auteurs sur le même plan. Sur une liste de bac, j’ai vu mis à égalité un texte de Chateaubriand et un extrait d’une biographie de James Dean tra­duite de l’américain. De là, une grande inégalité pour le coup, bien réelle, dans l’enseignement, dont témoigne l’échec des étudiants dans les facultés.

À quelles règles obéit la féminisation des mots ? La société s’est féminisée, des métiers autrefois réservés aux hommes se sont ouverts aux femmes…

Tout a été très bien dit sur le sujet par l’Académie française en 1984, dans un texte de deux grands esprits, Georges Dumézil et Claude Lévi-Strauss. Le masculin est le genre « non marqué », disent les Académiciens, et « extensif », c’est-à-dire s’étendant aux deux sexes.

La féminisation des noms de métier ne pose en général aucun problème, puisque l’activité est exercée par un homme ou par une femme : « un boulanger », « une bou­langère », « un postier », « une postière ». Il n’en va pas de même pour les fonc­tions : « ministre », « préfet », « procureur », etc. Ce sont des mots pour la plupart mascu­lins, qui désignent une fonction qui peut être incarnée indifféremment par un homme ou une femme. Ce n’est pas mon­sieur Dupont ou madame Durand qui signe une circulaire ou une loi, c’est le ministre, qui se trouve être un homme ou une femme. Or, le mot « ministre » appar­­tient au genre masculin, qui remonte à son étymologie latine. À l’inverse, on dira « une sentinelle », quand bien même celle-ci est un homme, ce qui est le cas la plupart du temps. Le genre des mots n’a rien à voir avec la sexualité.

Quand les fonctions sont occupées par des femmes, on peut, à l’oral, utiliser le féminin, si la personne le souhaite. Mais, à l’écrit, il faut continuer à dire « madame le ministre », « madame le procureur ». Mes élèves, quand ils parlaient de moi, disaient « la prof de français ». Mais s’ils m’écrivaient, c’était à « madame le professeur »… Question d’élégance. L’usage d’une langue est aussi une ques­tion de finesse.

L’histoire du français veut que cette langue n’ait que deux genres, masculin et féminin, et qu’il n’y ait pas de genre neutre, comme en allemand. Depuis toujours, c’est le mas­­culin qui joue le rôle du neutre. L’écriture inclusive est donc à bannir absolument et pas seulement des textes officiels comme l’a fait récemment le Premier ministre. C’est une lubie féministe qui ne fait que compliquer la langue et anéantir les promesses de la francophonie.

En cas de débat, qui doit décider ? Qui doit trancher ?

On ne modifie pas, sur un coup de tête, le genre des mots déterminé par l’article dans un lexique. Il faut plutôt regarder l’histoire de notre langue inséparable de la langue écrite. Jusqu’au XVIe siècle, les textes juridiques étaient écrits en latin et les autres textes dans des idiomes dia­lectaux. C’est François Ier qui, en 1539, a unifié notre langue avec l’ordonnance de Villers-Cotterêts qui impose que tout texte émanant du gouvernement doive être écrit dans une langue « claire et entendible », c’est-à-dire intelligible pour tous les Français. C’est ainsi que le « francien », parlé en Île-de-France, devient le français : la langue de tous les Français, et cela dans tous les domaines de la vie. Or, cette ordonnance est toujours en vigueur. Elle bannit donc l’écriture inclusive pour n’être pas claire et intelligible par tous et pour semer la confusion.

C’est dans le même sens qu’œuvre le manifeste écrit par du Bellay, en 1549, « Défense et Illustration de la langue française ». Ce manifeste n’a pas pour but de détruire le latin ni les langues régionales, mais de faire du français une langue à part entière, unifiée, vigoureuse et riche : de cela devrait témoigner la francophonie.

Voilà pour l’histoire. L’usage, maintenant. C’est lui qui fait que tel ou tel mot, éprouvé par le temps, entrera ou pas dans le Dictionnaire de l’Académie. N’en déplaise à nos fémi­nistes radicales, c’est ce Dictionnaire de l’Académie qui fait, in fine, autorité : sans violence ni arbitraire ni idéologie. Son travail obéit à la mesure et au bon sens, bref au « génie » de notre langue. Faire entrer tel ou tel mot dans le dictionnaire, ce n’est pas décréter que le mot « procu­reur » dont le genre grammatical est, lexi­calement, masculin devient, en 2018, féminin ! Cela dit, personne ne vous interdit de faire une faute d’orthographe !

Que vous inspire le « celles-et-ceux » macronien ?

Cette mode épingle ceux qui la suivent. Elle montre la méconnaissance de la valeur généralisante du masculin pluriel. Dire systématiquement « frères et sœurs » voire « sœurs et frères » dans certaines homélies nous rappelle l’humour de Pierre Desproges commençant ses réquisitoires, dans les années quatre-vingt par « Françaises, Français, Belges, Belges » ! Je pense que, si le président se coule dans une mode féministe, il n’en est pas dupe non plus : il est trop intelligent pour ça !

Que pensez-vous des anglicismes ? À quelle condition pouvons-nous les accepter ?

Je n’ai pas peur des anglicismes. Il y a toujours eu des emprunts d’une langue à une autre. Surtout entre le français et l’anglais, étant donné un grand pan commun de notre histoire. Balzac aimait parler de « fashionables ». Proust s’amuse des modes de langage dans le salon Verdurin ! Il y a des modes qui sont sans danger et amusantes ! Le danger vient d’une indifférenciation involontaire. C’est quand un élève supprime sys­tématiquement « que » dans une phrase, par imitation non voulue de l’anglais (« il dit je venais ») que c’est alarmant.

Vous protestez contre les simplifications de certains mots, comme « nénufar », « ognons ». Mais les Italiens ont simplifié de cette manière depuis longtemps.

Et pourquoi s’alignerait-on sur les Italiens ? Toujours cette volonté de violenter la langue ! Les graphies un peu particulières, comme le « ph » ou l’accent circonflexe, régulièrement attaquées, sont les témoins de l’histoire des mots. Prenez le terme « goûter », par exemple. Le circonflexe marque un « s » qui est tombé, que l’on retrouve dans « gustatif ». Sa suppression, qui vient d’une mode canadienne, serait un appauvrissement. C’est ainsi que l’on apprend une langue, en apprenant les mots, les familles de mots, à la fois les mots savants, qui évoluent peu, et les mots populaires, qui se déforment naturellement beaucoup plus avec le temps.

Quel est pour vous le génie de la langue française ?

Comme Voltaire et tous les écrivains, je dirais : la clarté, la précision, la faculté de formuler les idées abstraites. Ce n’est pas par hasard si le français fut longtemps la langue diplomatique. François Cheng, écrivain français d’origine chinoise, est le premier, en connaissance de cause, à parler de cette « exigence d’idée, exigence syntaxique d’une structure charpentée et ramassée, exigence, dans le vocabulaire, de précision et de justesse dans les nuances ». Les mots, pour lui, sont des « êtres de chair et de sang ». Dans son livre Le Dialogue, il décrit la jubilation que lui a donnée le français de « baptiser l’univers des choses comme au matin du monde ». C’est l’amour de notre langue qu’il nous faut redécouvrir, inséparable de sa connaissance, sans céder à une idéologie qui sème la confusion.

À quoi sert de bien parler et de bien écrire sa langue ?

À pouvoir exprimer sa pensée, tout simplement ! Je me souviens d’un de mes élèves, qui avait beau être intelligent et avait des choses à dire, il ne le pouvait pas, il n’avait pas le vocabulaire, ni le maniement des modes (indicatif, conditionnel, etc.) qui lui auraient permis de le faire de manière nuancée. Cela me peinait. Le français est une langue magnifique dans sa rigueur ; si vous n’apprenez pas à vous en servir, vous ne pou­vez rien dire.

J’ajouterais ceci, en me plaçant sur un plan utilitaire : tout le monde sait que quand on cherche un emploi une lettre de motivation bien écrite fera meilleur effet que si elle est truffée de fautes. Il arrive que des enfants d’amis, qui ne voyaient pas bien l’intérêt de mon métier – enseigner le latin, le grec… – me demandent de relire leur lettre de candidature. Je suis soudain devenue utile !

Féminisation des mots : ce que dit l'académie

L’Académie française n’entend nullement rompre avec la tradition de féminisation des noms de métiers, qui découle de l’usage même : c’est ainsi qu’elle a fait accueil à « artisane » et à « postière », à « aviatrice » et à « pharmacienne », à « avocate », « bûcheronne », « factrice », « compositrice », « éditrice » et « exploratrice ». Ces mots sont entrés naturellement dans l’usage, sans qu’ils aient été prescrits par décret : l’Académie les a enregistrés pourvu qu’ils soient de formation correcte et que leur emploi se soit imposé.

Mais, conformément à sa mission, défendant l’esprit de la langue et les règles qui président à l’enrichissement du vocabulaire, l’Académie rejette un esprit de système qui tend à imposer, parfois contre le vœu des intéressées, des formes telles que « professeure », « recteure », « sapeuse-pompière », « auteure », « ingénieure », « procureure », etc., pour ne rien dire de « chercheure », qui sont contraires aux règles ordinaires de dérivation et constituent de véritables barbarismes. Le français ne dispose pas d’un suffixe unique permettant de féminiser automatiquement les substantifs. S’agissant des métiers, très peu de noms s’avèrent en réalité, du point de vue morphologique, rebelles à la féminisation quand elle paraît utile.

C.-H. A.

 

Crypté ?

L’emploi toujours plus répandu des outils informatiques a entraîné un emploi lui aussi toujours plus répandu du verbe « crypter ». Même si ce verbe n’est pas vraiment une hérésie puisqu’il correspond à « décrypter », comme « chiffrer » correspond à « déchiffrer », et que l’employer n’a rien de scandaleux, on rappellera que l’usage et la norme veulent que l’on utilise « chiffrer », « cryptographier », « coder » ou « encoder ». « Crypter » est donc à éviter, même s’il se trouve dans certains dictionnaires, et l’on rappellera que, dans le domaine diplomatique, on ne doit dire que « chiffrer une dépêche ». On dira donc « un message codé », plutôt qu’« un message crypté ».

Extrait du site de l'Académie française