Créer un site internet
justicelibre

Jeanne d'Arc et Odinisme

 

Critique d'une video de Oleg de Normandie concernant Jeanne d'Arc

Analyse :  
Outre la musique mystérieuse du début et l'avertissement de réinformation (argument massue de la mytho-sphère qui croie que la terre est plate... que les cathédrales sont des vaisseaux spatiaux ou que nous sommes dirigé par "Rien QUE des pédophiles démocrates", merci Q-Anon, j'aurais envie de rire si...

J'aurais dû en rire mais ça m'agace

Pour commencer, qui ?  Qui fait cette vidéo ? :

Le producteur, affiché au générique de la vidéo, n'existe pas, c'est un pseudonyme.

CF la fiche du pseudo historien : http://esprit-viking.com/oleg-de-normandie-biographie-wiki/ CF la Fiche dentreprise simplifée https://annuaire-entreprises.data.gouv.fr/personne?n=JOINVILLE&fn=Vincent&partialDate=1980- 05&sirenFrom=910327964

Il nexiste, sous aucune forme, ni en école d'ingénieur ni en faculté d'histoire, mais il possède avec son frère une gentille blanchisserie :

CF. La Fiche de société : https://www.societe.com/societe/lav1913-804338515.html 

La vidéo, que j'ai survolée, m'a stupéfait !

D’accord je suis fatigué par un mal récurent et perfide et je ne me sens plus le courage pour analyser toute entière les erreurs innombrable de tous genres qui la parsèment.

Ce monsieur ferait mieux d'apprendre le Latin et le Grec, la Géographie, le dictionnaire des symboles romans, et celui de leurs origines... Un tour à l'école des chartes, en université d'histoire serait aussi un plus.

Sa haine du christianisme, en particulier du catholicisme me surprend, elle est froide, orientée et surtout, raisonnée.

Donc, on y va !

Attention, je ne plonge pas dans la vidéo, j'écoute avec attention et un sens critique basé sur, vous ne le devinerez jamais... Les principes rationnels

Une chose ne peut être et dans le même ordre n'être pas.

Du coup pardonnez-moi mon ironie ou ma moquerie face à ce non historien. 
Commentaires : 00:00:10 - "Des faits et des preuves"...

II n'y en a pas si on connait un peu l'histoire et la géographie

00:01:12 - "Quelle vérité se cache derrière les mensonges du procès ?"... 

 

L'illusion d'une religion et d'une culture celto-nordique 
Ce premier article essaie de mettre en avant l'hypothèse d'Oleg de Normandie d'une civilisation celto-germanique ou druido-odinique primordiale. Que recouvrent ces définitions ? Pour Oleg de Normandie, c'est assez simple : les Celtes et les Germains sont un même "peuple" ayant une religion commune, le druido-odinisme1. La définition est cependant plus complexe. Quatre termes sont employés ici : druidique, odinisme, celte et germain. Pour Oleg de Normandie, ces quatre termes sont presque synonymes ; celte et germain seraient la même culture, odinisme et druidisme, la même religion. Selon lui, cette religion druido-odinique serait une religion primordiale, venue d'une région mère des cultures occidentales, qu'il appelle Hyperborée. 
L'idée de religion primordiale n'est pas une nouveauté. Elle sous-tend même une partie de l'archéologie alternative, depuis les hypothèses de la théosophie inventée par Helena Blavatsky (1831-1891)2. Cette idée est fortement liée à celle de Tradition primordiale, développée notamment par René Guénon (1886-1951) dans les années 1923. 

Helena Petrovna Blavatsky Fondatrice de la théosophie 

René Guénon Philosophe de la pensée primordiale 
Il n'est pas certain que M. Oleg de Normandie connaisse de ces courants de pensée et qu'il ait lu les ouvrages de ces auteurs. 
1 https://www.youtube.com/watch?v=XWHGGWoyNZs&t=91s, 00 :01 :40, consulté le 19 janvier 2022. 2 Michael GOMES, "H.P. Blavatsky and Theosophy", in Glenn Alexander MAGEE, The Cambridge Handbook of Western Mysticism and Esoterecism, Cambridge, CUP, 2016, pages 251 et 252 ; Nicolas GOOROCK-CLARKE, The Western Esoteric Traditions: A Historical Introduction, Oxfod, OUP, 2011, pages 223 et suivantes. 3 Mark SEDGWICK, "René Guénon and Tradtionalism", in Glenn Alexander MAGEE, The Cambridge Handbook of Wester, Mysticism and Esoterecism, Cambridge, CUP, 2016, page 308 ; Mark SEDGWICK, Against the Modern World: Traditionalism and the Secret Intellectual History of the XXth century, Oxford, OUP, 2004. 
Une société mérovingienne héritière des Germains et ennemie des Romains 
On a vu dans l'article précédent que l'idée d'une société et d'une religion celto-odinique commune et non-esclavagiste ne tient sur rien. Nous pourrions arrêter notre étude ici, car démonter ces trois affirmations met à mal l'ensemble des hypothèses d'Oleg Normandie. Mais dans ses autres vidéos, cet auteur aborde d'autres thèmes qui, non seulement sont faux en termes historiques, mais de plus véhiculent des thèses racistes et des contrevérités sur l'histoire. En effet, Oleg de Normandie, qui prétend "réinformer" sur l'histoire, semble plutôt construire un roman identitaire. 
Dans ce second volet, nous allons aborder les hypothèses d'Oleg de Normandie sur la période qui suit la fin de la domination romaine en Europe de l'Ouest et la mise en place des royautés germaniques, c'est-à-dire la deuxième moitié du Ve siècle, jusqu'à la fin de la dynastie mérovingienne, c'est-à-dire la première moitié du VIIIe siècle. 
Dans la série de vidéos qu'Oleg de Normandie, sur sa chaine Pagan.tv, consacre au haut Moyen âge, l'auteur pense qu'une société unique issue d'Hyperborée s'est formée dans le nord, c'est-à-dire en Gaule, mais également en Espagne. Pour l'auteur de ces vidéos, la société romaine est à la fois esclavagiste et chrétienne. Elle serait remplacée par une société libre et sans esclave, qui serait celle des Celtes et des Germains. C'est, en quelque sorte, la revanche des Gaulois qui, selon Oleg de Normandie, auraient été génocidés par les Romains. Toujours selon Oleg de Normandie, une partie des Gaulois aurait fui en Germanie et en Bretagne, c'est-à-dire les îles Britanniques. Il refuse l'idée que les Gaulois disparaissent peu à peu entre le Ier et IVe siècle, et estime qu'il y a encore beaucoup de Gaulois au IXe siècle1. Donc pour Oleg de Normandie, à la chute de Rome, une société nouvelle non esclavagiste vient prendre la place des Romains esclavagistes. Le discours de l'auteur tend donc à présenter un monde précarolingien libre et ouvert, dans lequel la religion est druido-odinique, qui intègre le personnage de Jésus. Dans ces sociétés, il n'y aurait pas d'esclaves, tous les hommes et les femmes seraient libres. 
1 https://www.youtube.com/watch?v=-SpoBFpOumY, 00 :00 :48, consulté le 25 janvier 2022. 

Les Carolingiens et le monde romain : les inventions d'Oleg de Normandie  
Après avoir estimé que les Mérovingiens en Gaule et les Wisigoths étaient le rempart des odinistes - nom qu'il donne à la religion scandinave - face aux Romains, Oleg de Normandie met en avant l'idée que les Carolingiens sont les suppôts de l'église de Rome, dont le but est de diffuser le christianisme et de réintroduire l'esclavage

1. Pour lui, les Carolingiens mettent en place un système esclavagiste afin d'alimenter les marchés et spécialement l'Espagne musulmane. À l'avantage de ses inventions, Oleg de Normandie place les Vikings, terme qu'il emploie de manière continue sans le déterminer, comme vengeurs contre les chrétiens de Rome et libérateurs des esclaves, notamment les Saxons pris par les Carolingiens lors des guerres saxonnes. Ces Vikings sont, pour Oleg de Normandie, renforcés par de nombreux Celtes païens qui se sont réfugiés dans le nord

2. 
Nous avons déjà vu dans deux articles que les assertions sur les Mérovingiens et les Goths odinistes ne reposent sur rien ; nous verrons plus tard que celles sur la fin de l'esclavage, sur la traite des blancs et sur le fait que ce soit les marchands juifs qui seraient les principaux commerçants d'esclaves, ne sont pas plus solides. Ici nous allons examiner les relations entre Carolingiens et Vikings, selon Oleg de Normandie. 
Nous allons voir dans cet article comment Oleg falsifie les réalités historiques pour tenter d'affirmer que l'esclavage des blancs à partir de Charlemagne est fondé sur une volonté de destruction des groupes germaniques au-delà de l'Elbe, car ces derniers seraient les représentants de la religion druido-odinique - le terme qu'il emploie - et s'opposent au christianisme. Il estime également que l'esclavage a disparu sous les Mérovingiens et les Wisigoths, avant d'être rétabli par les Carolingiens

3. Cette vision est avant tout binaire : celle d'un monde libre celto-nordique et païen contre un monde romano-carolingien, soutenu par les religions monothéistes. 
1 OLEG DE NORMANDIE, Notre-Dame d'Odin, Esprit Viking éditions, page 106.

2 https://www.youtube.com/watch?v=lfWk5HUrOJs&t=746s, 00 :15 :29, consulté le 19 janvier 2022. 3 https://www.youtube.com/watch?v=XWHGGWoyNZs&t=1127s, 00: 24: 13, consulté le 22 janvier 2022. 

Les Vikings libérateurs : le fantasme du peuple libre Poursuivant son discours, Oleg de Normandie révèle la réalité de la lutte entre les hommes du Nord et les Carolingiens. Comme nous l’avons vu précédemment, cet auteur estime que les Mérovingiens et les Wisigoths sont les héritiers d’une tradition celto-scandinave qu’il a inventée. Ces derniers auraient protégé les odinistes contre l’Église de Rome. Nous avons vu que ces hypothèses ne reposent sur rien. Nous avons également vu qu’Oleg de Normandie a avancé l’idée que les Carolingiens auraient agi au nom de l’Église de Rome, afin d’imposer le christianisme dans l’ensemble de l’Europe de l’Ouest et de remplacer le culte odiniste. Nous avons vu que cette hypothèse n’est encore une fois fondée en rien. Mais si ces deux hypothèses sont posées par cet auteur, c’est pour nous amener à ce qui pour Oleg est le cœur du mensonge des inquisiteurs, la “traite des blancs” c’est-à-dire, selon lui, la traite des Saxons par les Carolingiens. Dans cet article, nous allons montrer que l’objectif des guerres de Charlemagne contre les Saxons n’est pas la mise en esclavage de blancs odinistes, comme le croit Oleg de Normandie. Nous allons aussi aborder le cœur du sujet, celui des attaques des Vikings qui seraient, pour cet auteur, des libérateurs, s’en prenant au commerce des esclaves mis en place par les Carolingiens et les Musulmans, et conduit par les Juifs. Nous verrons d’abord l’idée d’une lutte des Carolingiens contre les “derniers odinistes”, puis les causes des guerres saxonnes, et enfin le fantasme des Vikings libérateurs. La prétendue lutte contre les odinistes Pour Oleg de Normandie, les Mérovingiens sont des odinistes, c’est-à-dire qu’ils pratiquent la religion d’Odin, tout en étant tolérants envers les autres religions. Par ailleurs, pour lui, les Mérovingiens sont en fait des Celtes

1 . Selon lui, une fois qu’ils ont pris le pouvoir, les Carolingiens auraient mené une véritable épuration ethnique et religieuse en Gaule contre ces odinistes

2 . Toujours selon l’auteur, pour échapper à ces attaques, des “Gaulois réfractaires” auraient fui vers le nord et vers la Germanie, malgré 1 https://www.youtube.com/watch?v=lfWk5HUrOJs; 00 :05 :42, consulté le 18 janvier 2022. 2 https://www.youtube.com/watch?v=XWHGGWoyNZs&t=2774s, 00 :46 :26, consulté le 24 janvier 2022.l’interdiction qui leur est faite de se déplacer

3 . Le terme d’épuration ethnique comme celui de réfractaire fait partie du lexique contemporain des génocides dont nous verrons qu’Oleg de Normandie use, tentant de créer un parallèle entre les événements du XXe siècle et notamment de la Seconde guerre mondiale, en assimilant les Carolingiens au régime de Vichy ou à celui de l’Allemagne nazie. Selon Oleg, les Carolingiens tentent d’imposer le christianisme et d’éradiquer ce qu’il pense être le reste des cultes odinistes en Gaule. Il s’appuie sur plusieurs textes de loi émis par les Carolingiens, tel que le capitulaire de 742 de Carloman. Ce capitulaire, c’est-à-dire un ensemble de lois divisé en chapitres, est appelé le capitulaire de Liptinense

4 . Interdisant les pratiques magiques, il viserait les pratiques druidoodiniques

5 . Dans ce texte, le chapitre 4, indique Decrevimus quoque quod et pater meus ante praecibiebat, ut qui paganas obseationes in aliqua re fecerit, multetur et demnetur quindecim solidis, ce qui indique que toute pratique païenne est punie d’une amende de quinze sous

6 . Un autre texte de la même période, mais qu’Oleg de Normandie n’a pas étudié, procède du concile des Germains. Celui-ci se tient en avril 742 ou 743 en Austrasie, mais le lieu et la date exacts ne sont pas précisés

7 . Dans ce concile, le canon 5 est plus précis sur l’interdiction du paganisme. Il demande aux évêques d’interdire les pratiques qualifiés de païennes, incluant les sacrifices, les divinations, les enchantements, ou encore les augures et les immolations. C’est un catalogue de pratiques païennes, qui ne peuvent pas spécifiquement être qualifié d’odinistes. Donc, à moins qu’Oleg de Normandie ne démontre que toute pratique païenne est nécessairement odiniste, on ne peut estimer que le capitulaire et le texte du concile répriment spécifiquement des pratiques odinistes. 3 https://www.youtube.com/watch?v=XWHGGWoyNZs&t=2841s, 00 :47 :55, consulté le 24 janvier 2022. 4 Karlmanni Principis Capitulare Liptinenses, in Alfred BOETIUS (edit), Capitularia Regum Francorum, tome 1, MGH, Hanovre, 1883, pages 26 et 27. 5 https://www.youtube.com/watch?v=lfWk5HUrOJs, 00 :05 :58, consulté le 18 janvier 2022. 6 Karlmanni Principis Capitulare Liptinenses, in Alfred BOETIUS (edit), op. cité. 7 Concilium in Austrasia habitum quid dicintur Germanicum, in Concilia aevi Karolini, tome 1, Albert WERMINGHOFF (edit), Hanovre, 1906, page Rosamond MCKITTERICK, The Frankish Kingdoms under the Carolingians, op. cité, page 54De même, Oleg met en avant un capitulaire de Charlemagne de 789 interdisant le culte aux fontaines et aux pierres comme étant une preuve de la lutte contre les odinistes

8 . Ce capitulaire est le très important Admonitio Generalis, publié en 789. Ce texte organise en grande partie l’ensemble de l’Église et de la société carolingienne. Le canon 65 précise l’interdiction des pratiques non chrétiennes, comme les augures, les incantations et les autres pratiques magiques ; le second paragraphe indique en effet que les cultes rendus aux fontaines ou aux arbres sont condamnés

9 . Le texte ne qualifie pas ces pratiques d’odiniques mais, pour Oleg de Normandie, tout culte non-chrétien est nécessairement druido-odinique. Il n’hésite pas à amalgamer les mégalithes de l’âge du bronze à cette religion, pourtant plus récente

10. Pour cet auteur, ces condamnations sont une nouveauté et marquent un changement en Europe fondé sur l’imposition du christianisme par les Carolingiens. En réalité, dès le VIe siècle, les souverains mérovingiens luttent contre les pratiques païennes, lesquelles, malgré leur politique de christianisation, se maintiennent11 . Lorsque les Carolingiens prennent le pouvoir dans la première moitié du VIIIe siècle, les populations de la Gaule sont presque entièrement christianisées. Ce phénomène de christianisation a été très étudié par les historiens, notamment par Charles Mériaux

12 ou Bruno Dumézil

13. Oleg de Normandie cite ce se second auteur dans son ouvrage, Notre 8 https://www.youtube.com/watch?v=lfWk5HUrOJs, 00 :06 :48, consulté le 18 janvier 2022. 9 Admonitio Generalis, c.65, in Alfred BOETIUS (edit), Capitularia Regum Francorum, tome 1, MGH, Hanovre, 1883, pages 58 et 59. 10 https://www.youtube.com/watch?v=lfWk5HUrOJs, 00 :07 :17, consulté le 18 janvier 2022. 11 Lesley ABRAM, “Germanic Christianity”, in Thomas NOBLE et Julia SMITH, The Cambridge History of Christianity, tome 3, Early Medieval Christianities, Cambridge, CUP, 2008; pages 115 et 116. 12 Charles MÉRIAUX, L’espace du diocèse dans la province de Reims au haut Moyen âge, Rennes, PUR, 2014 ; Charles MÉRIAUX, “Encadrement des fidèles et pratiques religieuses (VIe-XIe siècle)”, in Alain TALON et Catherine VINCENT, Histoire du Christianisme en France, Paris, Armand Colin, 2014. 13 Bruno DUMÉZIL, Les racines chrétiennes de l’Europe, Paris, Fayard, 2005 ; Bruno DUMÉZIL, “La Christianisation du Royaume des Francs”, Rennes, PUR, 2014 ; Bruno DUMÉZIL, “La christianisation du Royaume des Francs”, in Alain TALON et Catherine VINCENT, Histoire du Christianisme en France, Paris, Armand Colin, 2014.Dame d’Odin, mais sans doute sans l’avoir lu, car il ne met en avant qu’une conférence de cet historien intitulée Les invasions barbares

14 . En ce qui concerne le processus de christianisation de la Gaule, ce que les sources et les études indiquent, c’est que la Gaule est partiellement christianisée au début du VIe siècle

15. Cette christianisation est accélérée par l’action des souverains mérovingiens et de l’épiscopat, notamment lors des conciles d’Orléans entre 538 et 541

16. Il faut attendre le début du VIIe siècle et les règnes de Clotaire II (613-628) et de son fils Dagobert (628-639) pour que la christianisation des élites soit réellement effective. À cette date, il n’y a plus de païens à la cour du roi, et la lutte contre les pratiques païennes est encouragée

17. On retrouve dans la Vita Amandi Prima, la Vie de saint Amand de Gand, une attaque contre ces pratiques païennes, notamment les cultes rendus aux sources ou aux arbres

18. Les études soulignent que dans la deuxième moitié du VIIe siècle, les pratiques païennes ne sont présentes que dans les zones périphériques du monde franc

19 . Dans son étude sur les conversions de l’Europe post-romaine, Bruno Dumézil montre bien que les habitants des royaumes mérovingiens sont très majoritairement chrétiens après la seconde moitié du VIIe siècle

20 . Donc l’idée d’Oleg de Normandie que les Carolingiens cherchent à imposer le christianisme à travers des textes comme le capitulaire de 742 n’a aucun sens, car cela fait près d’un siècle que la très grande majorité de la Gaule est christianisée, mais que des pratiques païennes existent encore en marge du monde franc. De plus, la lutte contre les pratiques païennes faisait déjà partie des politiques des rois mérovingiens. Il faut donc estimer une nouvelle fois, que les assertions d’Oleg évoquant l’imposition par les Carolingiens de la religion chrétienne sont fausses, puisque cette dernière est déjà présente en Gaule mérovingienne. Et que le paganisme n’est plus qu’une pratique marginale. 14 Oleg de NORMANDIE, Notre Dame d’Odin, L’Esprit Viking, page 85 ; https://www.youtube.com/watch?v=blLjwpvfGOo, consulté le 3 mars 2022, notamment 00 :55 :00. 15 Bruno DUMÉZIL, “La christianisation du Royaume des Francs”, op. cité, page 33. 16 Bruno DUMÉZIL, Les racines chrétiennes de l’Europe, op. cité, page 227 ; Ian WOOD, “Christianisation and dissemination of Christian Teaching”, in Paul FOURACRE, The New Cambridge Medieval History, vol 1, c.500-c.700, Cambridge, CUP, 2005, page 713. 17 Bruno DUMÉZIL, Les racines chrétiennes de l’Europe, op. cité, page 239. 18 Vita Amandi Prima, 24, in Passiones vitaeque Sanctorum, aevi Merovingici et antiqurum aliquot, édition Bruno KRUSCH, MGH, page 447. 19 Bruno DUMÉZIL, “La christianisation du Royaume des Francs”, op. cité, page 35. 20 Bruno DUMÉZIL, Les racines chrétiennes de l’Europe, op. cité, page 243.Quant à l’esclavage imposé par les Carolingiens, c’est aussi une idée qui ne s’appuie pas sur la réalité. Revenons uniquement sur la question de la mobilité des esclaves durant la période carolingienne puisque, selon Oleg, cette interdiction de quitter sa terre entraine la fuite de “Gaulois réfractaires” vers les terres des odinistes. Il met en avant ici le statut du serf qui est attaché à la terre et qui ne peut la quitter. La pratique de rester sur une terre n’est pas imposée par les Carolingiens, mais apparait dans une loi romaine de 357, concernant les Coloni

21 . Oleg de Normandie ne fait pas réellement la distinction entre servage et esclavage. Il projette sur le VIIIe siècle une réalité des XVe/XVIe siècles. Si l’on parle en effet de chasement pour les esclaves, c’est-à-dire d’une fixation à la terre, on n’évoque jamais d’interdiction de déplacement dans le monde franc ou le monde carolingien

22. Par ailleurs, on sait que des esclaves se déplacent et que des paysans se voient même attribuer des terres qu’ils possèdent après trente d’exploitation selon le contrat d’aprision

23 . Il n’y a donc pas d’interdiction faite aux paysans de quitter leur terre. L’hypothèse d’Oleg de Normandie que les Gaulois réfractaires n’ont pas le droit de quitter leur terre, poussant ces derniers à fuir vers la Scandinavie, tombe d’elle-même

24 . Or cette hypothèse sous-tend la suivante, celle de la fuite des Celtes réfractaires en Germanie et en Scandinavie, tarissant le nombre d’esclaves à déporter et entrainant une guerre contre les Saxons, pour capturer de nouveaux esclaves. Les guerres saxonnes Résumons : Oleg de Normandie estime que dans un premier temps, tous les “Gaulois réfractaires” sont déportés

25 puis, comme le stock d’esclaves se tarit, Charlemagne s’en prend aux Saxons afin d’alimenter le commerce vers le sud, notamment vers le marché de l’Espagne musulmane

26 . Il estime encore que lorsque les Carolingiens attaquent les 21 Didier BONDUE, De Servus à Sclavus, Paris, Presse Universitaire de la Sorbonne, 2011, page 62. 22 Philippe DEPREUX, Les sociétés occidentales du milieu du VIe siècle à la fin du IXe siècle, Rennes, PUR, 2002, page 168. 23 Chandler CULLEN, Carolingian Catalonia, Cambridge, CUP, 2019, page 77. 24 https://www.youtube.com/watch?v=-SpoBFpOumY, 00 :03 :05, consulté le 24 janvier 2022. 25 https://www.youtube.com/watch?v=lfWk5HUrOJs, 00 :05 :28, consulté le 18 janvier 2022. 26 https://www.youtube.com/watch?v=XWHGGWoyNZs&t=2841s, 00 :48 :41, consulté le 24 janvier 2022 ; https://www.youtube.com/watch?v=lfWk5HUrOJs&t=746s, 00 :15 :46, consulté le 19 janvier 2022.territoires des Saxons, ils attaquent la dernière terre libre et non christianisée

27 . S’il est vrai que le christianisme n’est que très peu présent à l’est de l’Elbe en revanche, parler de terre libre ou de liberté n’a pas de sens, d’une part parce que le terme de liberté n’a pas le sens qu’il a aujourd’hui et d’autre part, parce que ces sociétés comprennent aussi des esclaves. Notre auteur ne s’embarrasse pas de comprendre les dynamiques des mondes carolingien ou saxon ; il préfère une vision binaire entre gentils Celtes et méchants Carolingiens. De plus, Oleg de Normandie use de nouveau d’un vocabulaire hérité des guerres totales du XXe siècle : ainsi, les guerres saxonnes seraient parmi les plus violentes de l’Histoire

28 ; il parle du “génocide de Werden” et de ses 4500 exécutions

29 ou de la déportation des survivants dans des “camps de concentration”

30 . Ces guerres sont très étudiées et sont connues par de nombreuses sources, comme des annales franques ou des capitulaires spécifiques aux Saxons

31. Les Saxons sont au contact des Francs depuis le VIe siècle. Ce sont des peuples qui vivent au-delà du Rhin. Ils sont organisés en quatre tribus

32. Les Saxons traversent souvent la Lippe, zone frontière d’avec les Francs, pour attaquer les possessions carolingiennes, notamment en Austrasie et en Hesse

33. Dès les années 720, Charles Martel intervient contre les Saxons car ces derniers mènent des raids contre le territoire franc. Charles va se battre plusieurs fois vers l’est. Il intervient contre les Saxons en 718, puis en 729 et en 734

34. Son petitfils Charles, roi des Francs, entend mettre fin à leurs incursions. Il lance une première expédition contre les Saxons en 772 et prend la forteresse de Syburg, située sur la Ruhr, ainsi que celle de Heresburg, sur la Djemel. Il atteint le sanctuaire des Saxons à Irminsul et abat leur chêne sacré qui, selon eux, soutient la voute terrestre ; ce dernier est peutêtre au niveau des sources de la Lippe (près de Bad Lippspringe)

35. Charlemagne entend ainsi montrer la supériorité de la religion chrétienne sur la religion des Saxons. Ceux27 https://www.youtube.com/watch?v=XWHGGWoyNZs&t=2841s, 00 :49 :45, consulté le 24 janvier 2022. 28 https://www.youtube.com/watch?v=XWHGGWoyNZs&t=2841s, 00 :51 :48, consulté le 24 janvier 2022. 29 https://www.youtube.com/watch?v=XWHGGWoyNZs&t=2841s, 00 :51 :56, consulté le 24 janvier 2022 : https://www.youtube.com/watch?v=VEcJgexu3_Y&t=94s, 00 :05 :35, consulté le 24 janvier 2022. 30 https://www.youtube.com/watch?v=XWHGGWoyNZs&t=2841s, 00 :52 :59, consulté le 24 janvier 2022. 31 Annales Royales Franques, édition Frederich KURZE et Georg PERZ, MGH, Hanovre, 1895 ; EGHINARD, Vita Karoli, édition George PERZ, Hanovre, 1911 ; Capitulare Saxonicum, in MGH, édition Alfred BORETIUS, Hanovre, 1883, pages 71 et 72. 32 Geneviève BÜRGER-THIERRY, L’Europe carolingienne, op. cité, page 35. 33 Jean-Marc MAYEUR, Charles PIETRI, Luce PIETRI, André VAUCHEZ, Marc VENARD, Histoire du Christianisme, op. cité, page 719. 34 Paul FOURACRE “Frankish Gaul to 814”, in TNCMH, vol 2, op. cité, page 88. 35 Jean-Marc MAYEUR, Charles PIETRI, Luce PIETRI, André VAUCHEZ, Marc VENARD, Histoire du Christianisme, op. cité, page 719 ; Rosamond MCKITTERICK, The Frankish Kingdoms under the Carolingians, op. cité, page 61 ; Paul FOURACRE “Frankish Gaul to 814”, in TNCMH, op. cité, page 102.ci ripostent en lançant un raid contre le monastère de Fritzlar, qu’ils transforment en écurie. Ils pillent également le siège de l’évêque à Büragburg. Alors que Charlemagne est en Italie, en 774, les Saxons lancent de nouvelles attaques contre les Francs

36. Charlemagne décide de riposter mais également de les convertir afin de les pacifier

37. Il reprend les forteresses de Syburg et de Heresburg et atteint la Weser. Sur les sites qu’il a conquis, il fait construire des églises. Les campagnes se poursuivent en 775 et 776, montrant les difficultés soulevées par les Saxons et conduisant Charlemagne à engager une guerre encore plus puissante contre ces derniers. Le souverain franc obtient des conversions et un grand baptême est organisé aux sources de la Lippe

38. Le souverain s’installe à Paderborn, près de l’endroit où les armées romaines ont été détruites en 9. Il y rassemble une grande assemblée en 777 et enjoint Sturm, disciple de Boniface, d’organiser une mission chez les Saxons

39 . 36 Paul FOURACRE “Frankish Gaul to 814”, in TNCMH, op. cité, page 102. 37 Jean-Marc MAYEUR, Charles PIETRI, Luce PIETRI, André VAUCHEZ, Marc VENARD, Histoire du Christianisme, op. cité, page 719. 38 ARF, 777, MGH, page 48 ; AQE, 777, MGH, page 49 ; Rosamond McKITTERICK, The Frankish Kingdoms under the Carolingians, op. cite, page 61. 39 Jean-Marc MAYEUR, Charles PIETRI, Luce PIETRI, André VAUCHEZ, Marc VENARD, Histoire du Christianisme, op. cité, page 719 ; Rosamond McKITTERICK, The Frankish Kingdoms under the Carolingians, op. cite, page 61. Alphonse de Neuville, Conversion des Saxons, 1869.Les terres saxonnes sont divisées en plusieurs régions. Widukind, le chef des Saxons, se réfugie au Danemark et de là, parvient à attaquer les Carolingiens ; il détruit les églises nouvellement créées. En 778, alors que Charlemagne mène une campagne en Espagne, les Saxons se révoltent, sous l’égide de Widukind

40. Charlemagne conduit alors deux campagnes successives, en 779 et en 781, afin de tenter de reprendre le contrôle de cette zone

41. Il semble pacifier la région mais, l’année suivante, les armées carolingiennes, conduites par Adalgisus, Geilo et Worad, sont battues et massacrées par les Saxons dans le massif du Süntel

42. Lors de cette bataille, il semble qu’une partie des aristocrates carolingiens ait lancé des assauts non-coordonnés contre des forces saxonnes bien installées

43 . Charlemagne rejoint cet endroit et décide de se venger. Il atteint le confluent de l’Elbe et de la Weser à Verden et se fait livrer 4.000 ou 4.500 Saxons qu’il fait exécuter

44 . C’est le massacre de Verden, bien connu par les sources. D’autres Saxons sont déplacés et réinstallés à l’ouest du Rhin. Il est possible que ce massacre soit la cause du durcissement de la résistance des Saxons

45 .40 Rosamond McKITTERICK, The Frankish Kingdoms under the Carolingians, op. cité, page 61 ; Paul FOURACRE “Frankish Gaul to 814”, in TNCMH, op. cité, page 102. 41 Rosamond McKITTERICK, The Frankish Kingdoms under the Carolingians, op. cité, page 61. 42 Annales Laurisenses, 782, MGH, page 162 ; ARF, 782, MGH, page 60 ; Rosamond McKITTERICK, The Frankish Kingdoms under the Carolingians, op. cite, page 61 ; Paul FOURACRE “Frankish Gaul to 814”, in TNCMH, op. cité, page 102 ; Ingrid REMBOLD, Conquest and Christianisation, Saxony and the Carolingian World, 772-888, Cambridge, CUP, 2018, page 50. 43 Paul FOURACRE “Frankish Gaul to 814”, in TNCMH, op. cité, page 102. 44 ARF, 782, MGH, page 62 ; Geneviève BÜRGER-THIERRY, L’Europe carolingienne, op. cité, page 36 ; Louis HALPHEN, Charlemagne et l’Empire carolingien, Paris, Albin Michel, 1949, page 68 ; Rosamond McKITTERICK, The Frankish Kingdoms under the Carolingians, op. cite, page 62 ; Paul FOURACRE “Frankish Gaul to 814”, in TNCMH, op. cité, page 103 ; Ingrid REMBOLD, Conquest and Christianisation, Saxony and the Carolingian World, 772-888, op. cité, page 50.

45 Paul FOURACRE “Frankish Gaul to 814”, in TNCMH, op. cité, page 103.Charlemagne marche ensuite sur l’Elbe. Les Saxons sont battus, mais Widukind parvient à s’enfuir une nouvelle fois dans le Nord

46. Une fois la campagne achevée, Charlemagne décide de diviser la région et de la faire administrer par des Saxons

47 . En 784, il s’installe à Paderborn pour préparer la campagne suivante

48. Les chroniques notent qu’en 784, les Saxons se révoltent, comme d’habitude

49. L’année suivante, en 785, le chef saxon Widukind fait sa soumission

50. Il se rend à Attigny pour recevoir le baptême et Charlemagne est son parrain

51. Charlemagne publie un capitulaire d’une sévérité extrême, le Capitulatio de Partibus Saxoniae, pour tenter d’éviter toute tentative de rébellion : il précise notamment que tout acte contre l’Église carolingienne peut être puni de mort

52. Cette soumission de la Saxe est accueillie comme une victoire. Alcuin la célèbre, tandis que le pape ordonne trois jours de Te Deum dans l’ensemble de la chrétienté. Il traverse le pays et installe des missionnaires et des comtes en Saxe. 46 Annales Laurisenses, 782, MGH, page 164. 47 Rosamond McKITTERICK, The Frankish Kingdoms under the Carolingians, op. cite, page 62. 48 Louis HALPHEN, Charlemagne et l’Empire carolingien, op. cité, page 68. 49 ARF, 784, MGH, Les ARF notent iterum ; Rosamond McKITTERICK, The Frankish Kingdoms under the Carolingians, op. cité, page 61. 50 Annales Laurisenses, 785, MGH, page 166 ; AE, MGH, page 167 ; ARF, MGH, page 70 ; Rosamond McKITTERICK, The Frankish Kingdoms under the Carolingians, op. cite, page 62 ; Rosamund McKITTERICK ne se montre pas très précise sur les dates ; Paul FOURACRE “Frankish Gaul to 814”, in TNCMH, op. cité, page 103. 51 Rosamond McKITTERICK, The Frankish Kingdoms under the Carolingians, op. cité, page 62. 52 Capitulatio de Partibus Saxoniae, in Legum, sectio II, Capitularia regum Francorum, tomus I, MGH, édition Alfred BORETIUS, Hanovre, 1883, pages 68 à 70 ; Louis HALPHEN, Charlemagne et l’Empire carolingien, op. cité, page 69.À partir de cette date, les Saxons participent en théorie dans les opérations militaires des Francs et les assemblées annuelles

53 . La dureté de cette loi provoque une révolte, d’autant que les Saxons profitent de la rébellion de Pépin le bossu contre son père, Charlemagne

54. Lors de cette révolte, les Frisons et les Slaves se joignent aux Saxons, tandis que les Musulmans lancent euxaussi une attaque

55. En 793, les Saxons attaquent et détruisent un détachement de l’armée carolingienne sous les ordres de l’évêque Thierry. C’est le signe d’une nouvelle révolte

56. Les Saxons détruisent les églises et ravagent le pays. À partir de 794, et après la tenue du synode de Francfort, Charlemagne s’installe à Paderborn

57. Il lance de nouvelles campagnes contre les Saxons avec deux colonnes

58 . Les Saxons se soumettent une nouvelle fois, pour se révolter dès l’année suivante. Charlemagne recommence une politique de prises d’otages. On parle de 7.000 otages 53 Paul FOURACRE “Frankish Gaul to 814”, in TNCMH, op. cité, page 103. 54 Paul FOURACRE “Frankish Gaul to 814”, in TNCMH, op. cité, page 103. 55 Paul FOURACRE “Frankish Gaul to 814”, in TNCMH, op. cité, page 103. 56 Louis HALPHEN, Charlemagne et l’Empire carolingien, op. cité, page 69. 57 Paul FOURACRE “Frankish Gaul to 814”, in TNCMH, op. cité, page 104. 58 Rosamond McKITTERICK, The Frankish Kingdoms under the Carolingians, op. cité, page 62. Pépin le Bossu, fils de Charlemagneen 795 et d’un nombre plus important les deux années suivantes

59. Lors de cette campagne, Charlemagne prend le contrôle des régions basses de la Weser et de l’Elbe

60 . Cette révolte semble montrer que la politique d’intégration par la force n’est pas fonctionnelle et qu’il faut le soutien d’une partie des élites saxonnes. En 797, une nouvelle expédition franque permet une nouvelle soumission des Saxons

61 . Il semble que la pacification soit également obtenue en déplaçant des populations et en faisant appel aux ennemis des Saxons, les slaves Abodrites

62. Ces derniers semblent être incités à s’installer sur les territoires à l’est de l’Elbe

63 . La même année, Charlemagne édite un nouveau capitulaire, qui adoucit les mesures prises en 785

64. C’est le Capitulare Saxonicum, publié le 28 octobre 797

65. Le décret est plus modéré que le précédent. Mais cette politique carolingienne d’assimilation est renforcée par le déplacement de Saxons dans le reste des royaumes ; il semble que l’archéologie mette au jour ces déplacements, avec la constitution de nouveaux villages saxons, comme à Diesenhofen, en Bavière

66. Des terres sont confisquées aux Saxons et confiées à des évêques, afin de créer l’encadrement religieux de la région. Dès 789, l’évêque Willehad est installé à Brème. À Paderborn, on construit l’église du SaintSauveur que l’on confie à Hathumar, un Saxon pris en otage et élevé à la cour des Francs. Les Carolingiens forment deux nouveaux évêchés à Verden et Minden, sur la Weser

67. Ce sont les évêques qui organisent la nouvelle province. Ils se mettent en liaison avec les monastères qui s’installent et notamment le monastère de Verden sur la Ruhr et le monastère de Helmstedt, lequel est placé au centre du pays saxon

68 . 59 Louis HALPHEN, Charlemagne et l’Empire carolingien, op. cité, page 70. 60 Paul FOURACRE “Frankish Gaul to 814”, in TNCMH, op. cité, page 104. 61 Rosamond McKITTERICK, The Frankish Kingdoms under the Carolingians, op. cité, page 62. 62 Paul FOURACRE “Frankish Gaul to 814”, in TNCMH, op. cité, page 104. 63 Paul FOURACRE “Frankish Gaul to 814”, in TNCMH, op. cité, page 104. 64 Jean-Marc MAYEUR, Charles PIETRI, Luce PIETRI, André VAUCHEZ, Marc VENARD, Histoire du Christianisme, op. cité, page 720. 65 Capitulare Saxonicum, in Alfred BORETIUS (edit), MGH, Hannovre, 1883, pages 71 et 72 ; Rosamond McKITTERICK, The Frankish Kingdoms under the Carolingians, op. cité, page 62. 66 Rosamond McKITTERICK, The Frankish Kingdoms under the Carolingians, op. cité, page 63. 67 Jean-Marc MAYEUR, Charles PIETRI, Luce PIETRI, André VAUCHEZ, Marc VENARD, Histoire du Christianisme, op. cité, page 720. 68 Jean-Marc MAYEUR, Charles PIETRI, Luce PIETRI, André VAUCHEZ, Marc VENARD, Histoire du Christianisme, op. cité, page 720.Vers 802 et 803, Charlemagne met en place et par écrit une loi pour les Saxons. Cette loi leur donne un cadre juridique les rendant équivalants aux Francs. À partir de 803/804, il semble qu’il n’y ait plus de révoltes de la part des Saxons

69 . La guerre entre Carolingiens et Saxons a été sanglante. Massacres, prises d’otage et déplacements de populations ont été dans l’arsenal du roi franc. C’est sans doute, et sur un intervalle de près de quarante ans, la guerre la plus dure menée par Charlemagne. Parler de génocide et de déportation de masse semble toutefois exagéré. Les textes tendent à amplifier le nombre de victimes – des deux côtés – et à insister sur la victoire du souverain franc contre les païens

70. Il y a bien eu des massacres des deux côtés, ainsi que des otages et des conversions forcées. Le bilan final est difficile à établir, mais il n’y a pas de génocide ou de déportation de masse car dans les années suivantes, on parle toujours des Saxons. L’objectif de la guerre contre les Saxons n’est pas de détruire la Saxe et d’annihiler les Saxons, ni surtout de capturer des esclaves, mais de prendre le contrôle de la région et de convertir les Saxons. Notons enfin que les termes de génocide et de camps de concentration, qui ne correspondent absolument pas aux réalités du VIIIe siècle, renvoient au vocabulaire des guerres totales du XXe siècle. Oleg de Normandie recourt souvent à ces anachronismes. Selon les définitions retenues par les juristes, le terme de génocide renvoie à une volonté politique centrale de détruire une population en raison de son origine, de sa religion ou de son appartenance ethnique

71. Quant aux camps de concentration, ils apparaissent au moment de la guerre des Boers (1898- 1901), avec pour objectif de rassembler les populations rurales afin d’interdire aux Boers de se ravitailler

72. Aucune de ces deux réalités ne sont présentes, puisque l’objectif des Carolingiens est la conquête et la conversion et que la pratique des otages est attestée ; il n’y a pas de camps de concentration, les Saxons déplacés formant des villages. Par conséquent l’hypothèse d’Oleg de Normandie, considérant que le but premier de Charlemagne est de mener la guerre afin de prendre des esclaves pour les vendre vers l’Espagne musulmane, ne tient pas. 69 Paul FOURACRE “Frankish Gaul to 814”, in TNCMH, op. cité, page 104. 70 Ingrid REMBOLD, Conquest and Christianisation, Saxony and the Carolingian World, 772-888, op. cité, page 52 ; Guy HALSALL, Warfare and Society in the Barbarian West, Londres, Routledge, 2003, page 122. 71 Larry MAY, Genocide, A Normative Account, Cambridge, CUP, 2010, page 1. 72 Dan STONE, “Concentration Camps”, in Louise EdWARDS, Nigel PENN, Jay WINTER (edit), The Cambridge World History of Violence, tome 4, 1800 to the Present, Cambridge, CUP, 2020, pages 387 et 388.Cette thèse est pourtant centrale dans l’esprit de l’auteur de ces vidéos, puisqu’elle soustend une sorte de vengeance des hommes du Nord, qu’Oleg de Normandie nomme de manière continu les Vikings. Des guerres saxonnes aux guerres vikings Pour Oleg de Normandie, c’est pour aider les Saxons et les Celtes pourchassés et mis en esclavage par les Carolingiens, que les Vikings déclenchent leurs attaques contre les côtes carolingiennes. Nous allons voir qu’une fois de plus, qu’Oleg ne connaît pas le sujet qu’il est censé débunker ou sur lequel il est censé réinformer. D’abord, le vocabulaire qu’il emploie est très discutable. D’emblée, on est surpris qu’Oleg de Normandie emploie le terme de Vikings comme désignant un peuple ou un groupe ethnique là où les historiens emploient avec prudence le terme de Scandinaves. Le terme de Viking n’apparaît que très rarement dans les textes de cette époque. Est Viking celui qui se lance dans une expédition militaire, commerciale ou d’exploration. L’expression consacrée est alors fara i vilkingr, qui recouvre l’idée de partie en expédition commerciale ou de pillage

73. Il est difficile de savoir d’où vient le terme de Viking. Selon Lucien Musset, le terme de Viking semble venir du terme Vik (baie), désignant ceux qui se cachent dans les baies, par extension, les pirates

74. On a aussi proposé que le terme soit dérivé du vieux norvégien vikja, tourner, qui se réfèrerait à l’idée de ramer ensemble

75. Else Roesdahl indique que ce terme vikingr en norvégien de l’ouest désigne un pirate ou un voleur

76. Le terme de viking, dans la même langue, désigne aussi un raider qui attaque par la mer

77. Ce que souligne Judith Jesch, c’est que le terme aura changé de signification pendant cette période

78 . 73 Lucie MALBOS, Les Ports des mers nordiques à l’époque viking (VIIe-Xe siècle), Turnhout, Brepols, 2017, page 20. 74 Lucien MUSSET, Les invasions, tome 2, Second assaut sur l’Europe, Paris, PUF, 1965, page 121 ; Judith JESCH, The Viking diaspora, Londres, Routledge, 2015, page 5. 75 Judith JESCH, The Viking diaspora, op. cité, page 5. 76 Else ROESDAHL, The Vikings, Londres, Penguin, 2e edition, 1998, page 9. 77 Else ROESDAHL, The Vikings, op. cité, page 9.

78 Judith JESCH, The Viking diaspora, op. cité, page 6.Par extension, ce terme est appliqué à tous les peuples du Nord, les mots étant Vikings en Europe occidentale et Varègues dans le monde russe, traduction slave du terme Vikings

79. Ce terme ne se trouve pas dans les sources écrites carolingiennes, qui parlent d’hommes du Nord

80. Donc les Vikings ne recouvrent pas tous les hommes du Nord, mais juste ceux qui se lancent dans des expéditions

81 . Les causes de ces attaques ont été longtemps difficiles à cerner. En premier lieu, on a mis en avant l’augmentation de la population en Scandinavie, poussant certains à chercher fortune au loin

82 . C’est d’ailleurs l’argument mis en avant par Oleg de Normandie, qui semble écarter le dynamisme interne, mais suppose que l’augmentation de la population est liée aux migrations des Gaulois réfractaires

83. Cette idée de dynamisme externe n’est démontrée par aucune source. Celle du dynamisme interne, liée notamment à une amélioration du climat, démontrée par ailleurs, n’est pas retenue comme suffisante. Les changements politiques internes semblent aussi jouer un rôle important, comme le montre les transformations du monde danois dès le VIIIe siècle

84 . 79 Lucien MUSSET, Les invasions, tome 2, Second assaut sur l’Europe, op cité, page 121 ; Else ROESDAHL, The Vikings, op. cité, page 9. Merci à Krug Crom Vargson pour sa relecture. 80 Par exemple dans les ARF. 81 Judith JESCH, The Viking diaspora, op. cité, page 7. 82 Lucien MUSSET, Les invasions, tome 2, Second assaut sur l’Europe, op cité, page 121. 83 https://www.youtube.com/watch?v=-SpoBFpOumY, 00 :04 :30, consulté le 25 janvier 2022. 84 Niels LUND, “Scandinavia, c.700-1066), in TNCMH, op. cité, page 206 ; James BARRETT, “Maritime Societies and the Transformation of the Viking age and the Medieval World”, in James BARRETT et Sarah Jane GIBBON, Maritime Societies of the Viking and Medieval Ages, Londres, Routledge, 2015, pages 4 et 5.Les positions d’Oleg de Normandie sont assez particulières. Pour lui, les attaques vikings sont une riposte contre l’emprise carolingienne. Il estime que le commerce leur est fermé avec tous les ports de l’Europe, qu’ils sont enfermés en Scandinavie

85 . Il estime encore qu’il y a un “embargo” des Carolingiens contre la Scandinavie

86. Cet embargo ou cet enfermement du monde scandinave ne repose sur rien et, comme toujours, Oleg de Normandie ne donne aucune source. Cela lui permet de soutenir que les attaques vikings sont une sorte de “légitime défense” et que les Vikings ne sont pas des agresseurs

87 . La réalité est très différente. Reprenons les positions d’Oleg : certains “Gaulois réfractaires fuient les Carolingiens, surtout après 772 et le début des guerres saxonnes ; ils se retrouvent dans l’état danois constitué du roi Godfrid. Une première fois, Oleg se trompe sur les dates et les personnes. Malgré le manque de source, on sait que le ou l’un des souverains danois est Sigfrid

88. Ce dernier ne s’intéresse pas réellement aux guerres avec les Saxons, mais on sait qu’il envoie en 782 un ambassadeur auprès du roi franc

89 . Le roi Godfrid est le successeur de Sigfrid après 798, sans doute son fils

90. En 804, les Carolingiens ont pris le contrôle de la Saxe. Godfrid tente alors de s’emparer de la région du Schleswig et pour cela, il réunit une grande armée. En 808, il tente d’envahir les territoires des Obodrites, des tribus slaves ennemies des Saxons, afin de les contraindre à payer le tribut. Mais il semble qu’il soit contré par Charlemagne

91. En 808, Charlemagne mène une attaque contre le Jutland, mais il ne semble pas empêcher les raids venus du Danemark contre la Frise et le pays des Saxons

92. Il est possible que ce soit après cette campagne que Godfrid ait décidé de construire le Danevirk, un mur pour se protéger des attaques venues du sud

93 ; selon certaines sources, il considère cette région comme une province danoise. Selon Eginhard, il n’est pas impossible que Godfrid ait prévu d’attaquer Charlemagne à Aix-la-Chapelle

94 . 85 https://www.youtube.com/watch?v=XWHGGWoyNZs&t=2841s, 00 :55 :08, consulté le 24 janvier 2022 ; https://www.youtube.com/watch?v=VEcJgexu3_Y&t=690s, 00 :11 :43, consulté le 25 janvier 2022. 86 https://www.youtube.com/watch?v=VEcJgexu3_Y&t=690s, 00 :11 : 49, consulté le 25 janvier 2022. 87 https://www.youtube.com/watch?v=VEcJgexu3_Y&t=690s, 00 :11 :59, consulté le 25 janvier 2022. 88 Niels LUND, “Scandinavia, c.700-1066”, in TNCMH, op. cité, page 206. 89 Niels LUND, “Scandinavia, c.700-1066”, in TNCMH, op. cité, page 206. 90 Niels LUND, “Scandinavia, c.700-1066”, in TNCMH, op. cité, page 207. 91 Paul FOURACRE “Frankish Gaul to 814”, in TNCMH, op. cité, page 105. 92 Paul FOURACRE “Frankish Gaul to 814”, in TNCMH, op. cité, page 105. 93 Niels LUND, “Scandinavia, c.700-1066), in TNCMH, op. cité, page 207. 94 Niels LUND, “Scandinavia, c.700-1066), in TNCMH, op. cité, page 207.De son côté, il semble que Charlemagne ait envisagé d’attaquer le Danemark, quand il a appris qu’une flotte de 200 bateaux danois avait ravagé la Frise

95. Dans ce raid, les Danois battent par trois fois les Frisons et réussissent à emporter cent livres d’argent en tribut

96. Godfrid est assassiné vers 809/810

97. Selon Oleg de Normandie, Charlemagne est l’instigateur de cet assassinat

98et les premières “invasions vikings” seraient une riposte après cet assassinat

99 . En fait, les premiers raids scandinaves datent des années 793 et 794. Du reste, le premier raid recensé en 793 ne touche pas une position carolingienne, mais le monastère northumbien de Lindisfarne, sur les côtes de l’Angleterre actuelle

100. Le raid suivant touche un autre monastère des îles Britanniques, celui de Monkwearmouth, l’année suivante, bien loin des domaines carolingiens. Notons également que l’opposition que cet auteur effectue, entre des Vikings païens venant attaquer des Carolingiens esclavagistes et imposant la religion chrétienne, ne tient pas. En effet, le christianisme est assez tôt présent dans les pays scandinaves. Vers 823, sollicitant l’alliance carolingienne, Harald Klak vient se faire baptiser à Ingelheim

101. À partir de cette date, des missionnaires se rendent en Scandinavie. En 965, Harald à la Dent Bleue se convertit au christianisme et installe cette religion dans le nord

102. Vers 1000, l’ensemble des colonies et des groupes scandinaves des mers du nord ont adopté le christianisme, y compris en Islande

103 . Nous avons vu dans ce volet qu’Oleg de Normandie invente des données afin d’essayer de nous faire croire à sa vision de l’histoire. Il n’y a en effet pas de guerre contre des odinistes ; les guerres saxonnes ne sont pas un génocide pour se procurer des esclaves et les Vikings ne lancent pas de guerre en riposte aux Carolingiens. Il n’y a pas non plus 95 Niels LUND, “Scandinavia, c.700-1066), in TNCMH, op. cité, page 207. 96 Niels LUND, “Scandinavia, c.700-1066), in TNCMH, op. cité, page 207. 97 Janet NELSON, “Kingship and Royal Government”, in TNCHM, op. cité, page 393 ; Julia SMITH, “Fines imperii”, in TNCMH, vol 2, op. cité, page 173. 98 https://www.youtube.com/watch?v=XWHGGWoyNZs&t=2841s, 00:54:43, consulté le 24 janvier 2022. 99 https://www.youtube.com/watch?v=VEcJgexu3_Y&t=339s, 00 :11 :24, consulté le 25 janvier 2022. 100 Simon COUPLAND, “The Vikings in Francia and Anglo-Saxon England to 911”, in Rosamond McKITTERICK, The New Cambridge Medieval History, vol 2, c.700-c.900, Cambridge, CUP, 1995, page 192. 101 Niels LUND, “Scandinavia, c.700-1066), in TNCMH, op. cité, page 210. 102 Else ROESDAHL, The Vikings, op. cité, page 147 ; Niels LUND, “Scandinavia, c.700-1066), in TNCMH, op. cité, page 215. 103 Else ROESDAHL, The Vikings, op. cité, page 147.de lien entre les attaques des Danois et la défense des Saxons. En plus de cela, Oleg de Normandie multiple les erreurs factuelles, arrangeant à sa sauce les événements pour inventer une histoire empreinte de conflits imaginaires entre “païens” et religions monothéistes. Nous constatons donc ici encore une fois que la construction pseudo historique d’Oleg de Normandie n’est qu’un fantasme. Mais quel en est le but ? Veut-il seulement démontrer que Charlemagne n’est pas le souverain que l’on croit ou cherche-t-il à aller plus loin ? En fait, cet auteur cherche à construire une idéologie dans laquelle les hommes du Nord ont le beau rôle et les adeptes des religions monothéistes, notamment juifs et musulmans, apparaissent comme destructeurs et liberticides.

Les fausses affirmations d’Oleg sur les « mensonges » des historiens Nous avons vu dans les précédents articles qu’Oleg de Normandie invente dans ses vidéos une connexion entre Celtes, Germains et Scandinaves, ainsi qu’entre les religions druidiques et odiniques1 .

Cette construction tente de montrer deux choses : la première, c’est l’origine très ancienne de ce groupe, qui leur donnerait à la fois une légitimité et un aspect fondateur des “cultures européennes” ; la seconde, c’est que les religions monothéistes, qu’Oleg de Normandie met toutes dans le même sac, voudraient à la fois s’imposer, et imposer la société esclavagiste qui irait avec.

De fait, l’auteur odiniste veut ici construire une attaque à charge contre les monothéismes, visant les chrétiens, mais également les juifs, accusés d’être des trafiquants d’esclaves, et les musulmans, considérés comme des consommateurs, notamment d’eunuques et de jeunes hommes blonds. On est ici dans des clichés que nous allons démonter.

Au-delà de ces clichés, Oleg de Normandie estime qu’il existerait un complot ancien pour cacher ces faits. En effet, il soutient que l’Église catholique, et notamment son “bras armé”, l’Inquisition, auraient maquillé l’histoire.

Ce complot se prolongerait encore, car les historiens universitaires continueraient de cacher ces évidences, d’autant que pour cet auteur, l’Université serait marquée par l’idéologie catholique. Jamais Oleg de Normandie ne présente de preuve à l’appui de ses assertions, se contentant de phrases toute faites comme “c’est évident”. Nous allons voir qu’il s’agit d’une construction qui tient plus de l’idéologie et de la méthode Coué que d’une démonstration qui s’appuierait sur des faits. La vision d’Oleg est très formatée. Ainsi la Révolution française serait-elle laïque, ce qui n’a pas de sens car, à cette époque, un laïc est une personne qui n’appartient pas au Premier ordre, celui de l’Église catholique2 .

Cet auteur estime que toutes les sources historiques proviennent du monde catholique, comme Grégoire de Tours, qui selon 1 Voir les articles précédents. 2 Jacques-Olivier BOURDON, “Politique et religion de la Révolution à la Séparation”, in Alain TALLON et Catherine VINCENT, Histoire du Christianisme en France, Paris, Armand Colin, 2014, pages 323 à 325.Oleg est un propagandiste catholique3 . Il estime que l’on a les mêmes sources “dans nos académies”, qui ne serait que de la propagande chrétienne4 . On a ici un vrai problème de connaissance de la part d’Oleg sur les sources et la manière dont on les traite en histoire et en archéologie.

Il faut rappeler qu’une source, c’est un document écrit ou matériel, produit à une époque, qui éclaire une époque donnée, et que l’on exploite avec toute la distance critique requise5 . Visiblement, Oleg de Normandie ne s’appuie pas sur des sources, telles que des textes d’époque, mais il cite incidemment des études, c’est-à-dire des travaux issus de sources, dont on se rend compte qu’il n’en a lu que des extraits ou bien les tronque.

Pourtant, Oleg de Normandie affirme que ses interventions sont sourcées et que son ouvrage, Notre Dame d’Odin, est un des travaux les plus complets qui soient. Donc, pour résumer, il estime que ses sources sont les bonnes et que les autres sont fausses, le tout sans s’appuyer sur… aucune source au sens strict, n’invoquant que quelques auteurs dont il ne cite pas toujours les ouvrages et sur lequel nous reviendrons.

Reprenons ce qui est ici le problème : le fait que, selon Oleg de Normandie, les historiens, appuyés par l’Inquisition, omettent de parler de certains sujets, comme le 3 https://www.youtube.com/watch?v=_Cx3JaM68SY&t=2s, 00 :07 :20, consulté le 11 mars 2021. 4 https://www.youtube.com/watch?v=XWHGGWoyNZs&t=91s, 00 :03 :43, consulté le 19 janvier 2022 ; Oleg DE NORMANDIE, Notre Dame d’Odin, 2011, page 17. 5 Philippe JOCKEY, L’Archéologie, Paris, Berlin, 2013, pages 210 et suivantes pour les données archéologiques ; Nicolas OFFENSTADT, “Archives, documents, sources”, in Christian DELACROIX, François DOSSE, Patrick GARCIA, Nicolas OFFENSTADT, Historiographies, I, Concepts et débats, Paris, Gallimard, 2010, pages 68 à 78 pour les sources historiques.massacre des Gaulois par les Romains ou le massacre des Saxons par les Carolingiens.

L’idée qu’il présente là est que l’histoire a été reconstruite au profit des “vainqueurs”. Cette idée est résumée dans une phrase de son ouvrage : “car si c’est la francmaçonnerie de la philosophie des Lumières qui insuffle ses valeurs à notre société, c’est toujours le Vatican qui a la main sur l’Histoire”6 . Ici, nous avons tous les topos classiques sur l’histoire réactionnaire et complotiste : les Lumières et le Vatican. Et l’auteur d’ajouter qu’il existe des historiens méconnus “car trop brillants et trop honnêtes”, mais… qui ne sont pas nommés par Oleg de Normandie7 .

Au fil des lectures et en cherchant bien, il s’agit d’auteurs comme Maurice Guignard (1920-2001), qui fait le lien entre Templiers, cathédrales et Odin, ou encore Jürgen Spanuth (1907-1998), Jacques de Mahieu (1915-1990) et Thierry Wirth (né en 1947). Nous reviendrons sur ces inspirations. Ces auteurs “oubliés” ont certes publié, mais leurs travaux de recherche manquent cruellement de méthode et de sources.

Oleg aurait aussi accès à des archives sauvées des Inquisiteurs, mais sans les citer ni les montrer. Dans cet article, nous aborderons d’abord la thèse que l’histoire soit aux mains des religieux, qui s’appuieraient sur l’Inquisition et auraient occulté l’histoire de l’esclavage des blancs sous les Carolingiens. Une accusation à charge : la falsification de l’histoire par l’Église 6 OLEG DE NORMANDIE, Notre-Dame d’Odin, Apocalypse des bâtisseurs, op. cité, page 17. 7 OLEG DE NORMANDIE, Notre-Dame d’Odin, Apocalypse des bâtisseurs, op. cité, page 17.Le grand argument d’Oleg de Normandie est que l’histoire a été falsifiée et que tous les historiens, sauf les alternatifs dont il fait partie, sont complices.

L’histoire ne serait qu’une gigantesque manipulation, orchestrée par les inquisiteurs depuis la nuit des temps. Et pour lui, c’est le Vatican qui a la main sur l’histoire et son enseignement et qui cache leur identité celto-nordique aux Européens8 . Il estime que le « Nouvel Ordre Mondial (NOM) », qui est confondu avec l’Eglise catholique, ne veut pas que les Européens retrouvent leur “vraie identité”9 .

Il s’agit donc bien, aux yeux d’Oleg de Normandie, d’un complot contre la “vérité”. Rappelons que pour un scientifique et pour un historien, il n’y a pas de “vérité”, mais des connaissances ; la vérité, c’est une position de croyant. Revenons donc sur l’idée que l’histoire serait aux mains de l’Église et plus précisément de l’Eglise catholique.

La science historique, c’est-à-dire l’étude des sociétés du passé, émerge en effet au moment des Lumières10. Mais c’est sous l’ère romantique, dans un objectif scientifique, voire scientiste, que les sciences historiques prennent forme autour de Léopold von Ranke11 .

Ce que Ranke et ses collègues mettent en avant, c’est la critique des sources (Quellenkritik) : voilà le fondement de la recherche en histoire12 . 8 https://www.youtube.com/watch?v=XWHGGWoyNZs&t=91s, 00 :02 :13, consulté le 19 janvier 2022. 9 https://www.youtube.com/watch?v=XWHGGWoyNZs&t=2841s, 01 :02 :25, consulté le 24 janvier 2022. 10 Johnson KENT-WRIGHT, “History and Historicism”, in Theodore PORTER et Dorothy ROSS (edit), The Cambridge History of Science, vol 7, The modern Social Sciences, Cambridge, CUP, 2003, page 120. 11 Johnson KENT-WRIGHT, “History and Historicism”, in TCHoS, vol 7, op. cité, page 121. 12 Johnson KENT-WRIGHT, “History and Historicism”, in TCHoS, vol 7, op. cité, page 121.En France, la science historique s’est précisément créée contre l’Église. En 1866 paraît le premier numéro de la Revue des questions historiques13 . C’est une émanation de l’École des Chartes.

Elle cherche à contrer les historiens libéraux en usant de la méthode scientifique historique. En 1876 paraît le premier numéro de la Revue Historique, libérale, antireligieuse et fondée sur la méthode allemande14 ; la revue comprend de plus de nombreux historiens protestants, comme Gabriel Monod, un de ses deux fondateurs (avec Gustave Fagniez)15. Son éditorial est essentiel pour définir l’histoire. Il se présente en trois parties : une étude des progrès de l’historiographie depuis le XVIe siècle, une analyse de la conjoncture historiographique et une définition du programme des historiens pour la fin du XIXe siècle.

Dans cet éditorial, Gabriel Monod situe la revue dans l’ensemble de la nation. Il estime également que l’historien est le dépositaire de la mémoire nationale. En revanche, l’historien doit comprendre et non pas louer ou juger. Les historiens commencent par définir et préciser le métier et la formation d’historien. Ernest Lavisse joue un rôle considérable dans cette fonction.

Entré à la Sorbonne en 1880, il réforme le cursus universitaire, notamment la licence, l’agrégation, met en 13 Christian DELACROIX, François DOSSE et Christian GARCIA, Les écoles historiques en France, XIXe-XXe siècle, Paris, Follio, 2007, page 115. 14 Jacques REVEL, “History and Social Sciences”, in The Cambridge History of Science, vol 7, The modern Social Sciences, Cambridge, CUP, 2003, page 392. 15 Jacques REVEL, “History and Social Sciences”, in TCHoS, vol 7, op. cité, page 395.place le diplôme d’études supérieures (DES) et formalise la thèse. Il réforme également les programmes des études primaire et secondaire. Il rédige le Petit Lavisse en 1884, qui sert de manuel du primaire (mise en page novatrice par Armand Colin).

Il obtient en 1883 qu’il y ait des cours fermés à la Sorbonne. Il soutient la fondation en 1885 d’une association des étudiants en lettres. La méthode est définitivement établie par l’ouvrage de Charles-Victor Langlois et Charles Seignobos, Introduction aux études historiques publiée en 189816. Tout ce courant historique qui fonde la recherche et l’enseignement contemporain de l’histoire est donc essentiellement dirigé contre l’enseignement religieux, et spécialement catholique, du passé.

Par ailleurs, petit à petit, les historiens et l’histoire se sont développés et intéressé à d’autres sujets, notamment religieux. L’histoire des religions s’est totalement détachée de l’Église ; alors qu’il existait une archéologique biblique, il y a surtout désormais un travail sur l’Église. À partir des années 1920, sous l’influence de l’École de Annales, l’histoire a franchi une nouvelle dimension, sortant de l’étude des faits politiques, ce qu’on appelle l’histoire-bataille, pour aborder le temps long, l’économie, les sociétés et les 16 Jacques REVEL, “History and Social Sciences”, in TCHoS, vol 7, op. cité, page 393.mentalités17 .

Ce courant se détache encore plus de l’Église catholique qu’il critique ; pour les historiens, l’Église n’est plus un guide, et la religion devient un fait social. Enfin, depuis les années 1960, l’histoire en tant que science humaine couvre des champs de plus en plus variés. Elle est toujours totalement détachée de l’Église catholique, notamment dans les universités.

Donc, contrairement à ce qu’affirme Oleg de Normandie, la recherche et l’enseignement historique ne sont pas détenus par l’Église catholique. Ils sont le fruit du travail des historiens, professionnels ou non, qui s’appuient sur des méthodes lentement mises en place, et dont l’objet est la critique des sources afin, justement de sortir des croyances. En plus de cette invention, Oleg de Normandie estime que l’Inquisition catholique a effacé les traces de la “vraie histoire”. Contrôlée par l’Inquisition Si le terme d’inquisiteur n’est employé qu’une fois dans l’opuscule18 de cet auteur, il est en revanche très usité dans ses vidéos, notamment cette sorte de FAQ19.

Chez Oleg de Normandie, ce terme recouvre une sorte de milice de la pensée mise en place par la religion catholique pour supprimer toute trace de pensée “druido-odinique”. Cette milice existerait depuis l’aube des temps, notamment lorsque les Carolingiens auraient établi la religion catholique en Gaule et en Germanie.

En réalité, l’Inquisition papale, la plus ancienne, est annoncée dans une bulle seulement en 1184 ; elle est fondée en 1231 pour lutter contre l’hérésie cathare. L’institution est confiée à l’ordre dominicain20 . Le mot employé pour désigner cette institution papale, inquisiteur, 17 Peter SCHÖLTER, “Annales”, in Christian DELACROIX, François DOSSE, Patrick GARCIA, Nicolas OFFENSTADT, Historiographies, I, Concepts et débats, Paris, Gallimard, 2010, pages 33 à 41 ; Christian DELACROIX, François DOSSE et Patrick GARCIA, Les courants historiques en France, op. cité, pages 122 et suivantes. 18 OLEG DE NORMANDIE, Notre Dame d’Odin, op. cité, page 19 https://www.youtube.com/watch?v=-sl-PEvmNiU, consulté le 19 novembre 2020. 20 Anthony PERRON, “The Bishops of Rome”, in Miri RUBIN et Walter SIMONS (edit), The Cambridge History of Christianity, volume 4, Christianity in Western Europe c.1100-c.1500, Cambridge, CUP, 2009, page 35 ; Brian Patrick McGUIRE, “Monastic and Religious Orders”, in The Cambridge History of Christianity, volume 4, Christianity in Western Europe c.1100-c.1500, Cambridge, CUP, 2009, page 67 ; André VAUCHEZ, “The Religious Orders”, in David ABULAFIA (edit), The New Cambridge Medieval History, volume 5, c.1198-c.1300, Cambridge, CUP, 1999, page 237 ; Robert THURSTON, “Violence towards Heretics and Witches in Europe, 1022-1800”, in Robert ANTHONY, Stuartprovient du latin Inquisitio, onis, qui signifie enquêter.

L’institution n’est pas là pour exécuter mais, dans une formule devenue classique, enquêter pour livrer au bras séculier les coupables. Rappelons que l’Inquisition a pour objet de lutter contre les hérésies, à commencer par le catharisme ; elle remplace les missions précédentes confiées aux cisterciens21. Elle reçoit du pape Innocent IV en 1252 une autorisation de pratiquer la torture physique par la bulle ad Extirpam22. Cette inquisition papale a été renforcée à partir de la fin du XVe siècle par des inquisitions locales. La plus célèbre est l’inquisition espagnole, établie par les rois catholiques Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon en 1478, sous le mandat du pape

23 . Si l’Inquisition a commis des crimes nombreux, et plus spécialement l’inquisition espagnole, ses objectifs sont avant tout de ramener le “déviant” dans la foi catholique ; c’est en effet plus important et d’une plus grande portée qu’un hérétique reprenne le droit chemin, plutôt qu’il soit exécuté ; il devient la preuve vivante de la victoire de l’Église de Rome

24 . Donc on voit que l’Inquisition n’a pas pour rôle de masquer l’histoire, mais uniquement de s’attaquer à ceux que l’Église de Rome considère comme des hérétiques ou des déviants. CARROLL et Caroline DODDS PENNOCK (edit), The Cambridge History of Violence, volume III, 1500-1800 CE, Cambridge, CUP, 2020, page 513. 21 Anne BRENON, “Le catharisme méridional : questions et problèmes”, in BERLIOZ, Jean-Jacques, Le pays cathare, Paris, Seuil, 2000, page 85. 22 Anthony PERRON, “The Bishops of Rome”, in TCHoC, vol 4, op. cité, page 35. 23 Sara BEAM, “Violence and Justice in Europe: Punishment, Torture and Execution”, in Robert ANTHONY, Stuart CARROLL et Caroline DODDS PENNOCK (edit), The Cambridge History of Violence, volume III, 1500-1800 CE, Cambridge, CUP, 2020, page 391. 24 Bernard HAMILTON, “The Albigensian Crusade and Heresy”, in David ABULAFIA (edit), The New Cambridge Medieval History, volume 5, c.1198-c.1300, Cambridge, CUP, 1999, page 171.

Qu’en est-il du rôle de l’Eglise dans l’histoire et dans l’écriture de l’histoire ? Là encore, ce rôle est nul puisque tel n’est pas son objet. En revanche, à partir du XVIIe siècle, l’Église en France commence à se préoccuper de la conservation des archives, notamment celles des monastères. Ce sont les moines de la congrégation de Saint-Maur, des bénédictins, qui se préoccupent en premier lieu de conserver les textes des monastères, mais aussi de les critiquer et notamment d’identifier les faux. C’est d’abord Dom Mabillon qui développe une manière de lire les chartes, qui est la première critique des sources25.

Ainsi, en 1750, les Mauristes publient L’Art de vérifier les dates, dont l’objet est avant tout d’écarter les fausses chartes26. Donc si aux XVIIe et XVIIIe siècles, quelques moines s’occupent de traiter des sources, c’est avant tout pour les conserver et pour savoir les lire. Par ailleurs, il faut noter que l’Inquisition ne s’occupe absolument pas de conserver ou au contraire détruire de quelconques archives.

En tout cas, l’Inquisition, avec l’ensemble de ses procédures d’enquête, laisse plus d’archives qu’elle n’en détruit. Encore une fois, Oleg de Normandie plonge dans les clichés de l’occultation des sources historiques, afin de cacher sa fameuse vérité, chère à notre auteur. Et cette occultation serait nécessairement le fruit de l’Inquisition, non pas parce que Oleg de Normandie est capable de le démontrer, mais parce que le terme et l’institution sont des plus symboliques.

Et qu’est-ce donc que les inquisiteurs ont caché ? Pour Oleg de Normandie, c’est l’esclavage des blancs que l’Église aurait caché et que les historiens, au service de l’Eglise, auraient laissé de côté. Nous avons déjà vu que l’idée que les historiens sont au service de l’Eglise est fausse.

Nous allons voir en quoi cette vision est encore une fois fausse. L’occultation de l’esclavage des blancs par les historiens 25 POCOCK, Barbarism and Religion, Cambridge, CUP, 2004, page 154. 26 Matthew D’AURIA, The Shaping of French National Identity, Cambridge, CUP, 2020, page 218.Monsieur Oleg de Normandie explique que la réalité de l’esclavage des blancs à partir de la période carolingienne a été occultée, voire effacée par les historiens27.

Pour lui, il y aurait un gauchissement de la réalité historique, qui entraine aussi la construction d’un discours négationniste de la part des historiens académiques28. Par ailleurs, il s’étonne qu’il n’y ait pas de vidéos sur les réseaux alternatifs sur le sujet29. On relèvera d’ailleurs que l’important pour lui, c’est l’existence de vidéos et non d’articles, ce qui semble montrer qu’il se nourrit des premières et pas d’études documentées.

Commençons par une remarque : Oleg de Normandie parle de blancs, se démarquant de la traite négrière afin de bien créer une opposition entre les noirs et les blancs et montrer que s’il existe un oubli sur l’esclavage, c’est au détriment de la “race blanche”.

Cette occultation est liée, selon lui, au fait que la mise en esclavage de ces hommes ne concerne que des païens blancs et que l’Eglise catholique, au même titre que les juifs et les musulmans, participe à cette “traite”30 . C’est un discours qui fait écho à l’idée de racisme anti-blanc présente dans l’extrême droite française.

27 https://www.youtube.com/watch?v=VEcJgexu3_Y&t=13s, 00:01:24, consulté le 14 janvier 2022 ; https://www.youtube.com/watch?v=XWHGGWoyNZs, 00 :00 :13, consulté le 14 janvier 2022 ; https://www.youtube.com/watch?v=lfWk5HUrOJs, 00 :02 :47, consulté le 18 janvier 2022 ; https://www.youtube.com/watch?v=lfWk5HUrOJs 00 :04 :10, consulté le 18 janvier 2022 ; https://www.youtube.com/watch?v=XWHGGWoyNZs&t=91s, 00 :04 :32, consulté le 19 janvier 2022 ; https://www.youtube.com/watch?v=VEcJgexu3_Y&t=339s, 00 :06 :07, consulté le 25 janvier 2022. 28 https://www.youtube.com/watch?v=lfWk5HUrOJs, 00 :04 :25, consulté le 18 janvier 2022. 29 https://www.youtube.com/watch?v=XWHGGWoyNZs&t=91s, 00 :00 :37, consulté le 19 janvier 2022. 30 https://www.youtube.com/watch?v=XWHGGWoyNZs, 00 :00 :55, consulté le 14 janvier 2022 ; https://www.youtube.com/watch?v=XWHGGWoyNZs&t=91s, 00 :05 :24, consulté le 19 janvier 2022. .

Mais le discours d’Oleg parait ici encore peu convaincant. En effet, il parle d’occultation de l’esclavage des Saxons au Moyen âge, mais cite tout de même plusieurs auteurs. C’est donc que les historiens se sont intéressés à l’esclavage durant le haut Moyen âge et notamment celui des guerres saxonnes et que l’histoire de l’esclavage des Saxons n’a pas été occultée. Il cite ainsi un extrait de l’ouvrage d’Édouard Perroy, Le Monde carolingien, relevant que ce dernier indique que le commerce des esclaves devait être celui qui rapportait le plus de revenu

31 . L’auteur évoque également la ville de Verdun et la destination de ses esclaves vers l’Espagne musulmane, sujet sur lequel nous allons revenir. Rappelons qu’Édouard Perroy (1901- 1974) n’a rien d’un historien alternatif ; il est un des grands spécialistes du Moyen âge dans les années 1950 et 1960, professeur à la Sorbonne entre 1949 et 1971

32 . Oleg cite également Charles Verlinden, dont le livre principal est précisément L’esclavage dans l’Europe médiévale ; le tome 1 est consacré à la péninsule ibérique

33 . Oleg de Normandie se trompe sur le titre de l’ouvrage, qu’il n’a sans doute pas lu. D’autant que Charles Verlinden estime dans ses travaux qu’il n’y a plus d’esclavage dans le monde carolingien, mais uniquement du servage, c’est-à-dire des paysans qui sont chasés sur des terres34. Cela montre encore une fois le niveau de vérification de l’auteur de ces vidéos sur les études qu’il prétend employer.

En revanche, Charles Verlinden indique en effet dans L’esclavage dans le monde médiéval l’importance du commerce des esclaves vers le monde musulman35 . Oleg de Normandie s’appuie encore sur Jacques Heers, spécialiste de la ville et du commerce au Moyen âge. Oleg ne cite aucun ouvrage, mais il tire sans doute ses informations d’Esclaves et domestiques au Moyen âge dans le monde méditerranéen ou de l’ouvrage Les Négriers en terres d’Islam36 .

31 https://www.youtube.com/watch?v=lfWk5HUrOJs, 00 :02 :20, consulté le 18 janvier 2022, Édouard PERROY, Le Monde carolingien, Paris, Société d’édition de l’enseignement supérieur, 1974 ; https://www.youtube.com/watch?v=lfWk5HUrOJs, 00 :02 :20, consulté le 19 novembre 2020 ; Charles PERROY, Le Monde carolingien, Paris SEDES, 1974, page 82.. 32 Étienne FOURNIAL, “Édouard Perroy (1901-1974), note biographique”, in Cahier de civilisation médiévale, 1974, 17- 68, pages 399 et 400. 33 Charles VERLINDEN, L’esclavage dans l’Europe médiévale, tome 1, Péninsule ibérique -France, Bruges, 1955. 34 Alice RIO, “Slavery in the Carolingian Empire”, in Craig PERRY, David ELTIS, Stanley EGERMAN, David RICHARDSON, The Cambridge World History of Slavery, Cambridge, CUP, 2022, page 451. 35 https://www.youtube.com/watch?v=lfWk5HUrOJs, 00 :01 :08, consulté le 17 janvier 2022 ; https://www.youtube.com/watch?v=lfWk5HUrOJs, 00 :02 :34, consulté le 18 janvier 2022 ; Charles VERLINDEN,

L’esclavage dans l’Europe médiévale, tome 1, Péninsule ibérique-France, Bruges, De Tempel, 1955. 36 Jacques HEERS, Esclaves et domestiques au Moyen âge dans le monde méditerranéen, Paris, Fayard, 1981 ; Jacques HEERS, Les négriers en terres d’Islam, Paris, Perrin, 2003.Par conséquent Oleg de Normandie ment en expliquant que les historiens ne se sont pas intéressés à la question des esclaves durant le haut Moyen-âge. En réalité, l’auteur odiniste use d’un prêt-à-penser, celui de l’oubli volontaire d’un sujetparce que ce dernier serait trop sensible. Il emprunte cela à madame Rosa Amelia Plumelle-Uribe qu’Oleg de Normandie prend comme référence.

Cette autrice est une juriste ; elle a écrit des essais sur l’esclavage, notamment Traite des blancs, traite des noirs : Aspects méconnus et conséquences actuelles

37. Aux vues des développements qu’Oleg de Normandie produit dans ses vidéos, il a emprunté à cette dernière les passages présents sur le net

38 . Le travail de madame Plumelle-Uribe est critiqué pour son manque de rigueur

39. Cet ouvrage est en fait pour la période du Moyen âge un résumé, sans critique, de travaux anciens sur cette question. Dans ces pages, on trouve en effet mention de Charles Verlinden, de Jacques Heers ou d’Évariste Levy-Provençal. Les citations faites par Oleg de Normandie dans ses vidéos sont directement tirées du livre de Rosa Amelia Plumette-Uribe. Ainsi, la phrase de Charles Verlinden citée par Oleg “les esclaves étaient l’article d’exportation le plus important de l’Europe occidentale et centrale vers le monde islamique” est d’abord citée par l’autrice colombienne

40 . C’est aussi le cas de la citation de Jacques Heers “On assurait aussi que, les Musulmans s’y refusant, ces trafiquant israélites veillaient à la bonne tenue des centres de castration”

41 . C’est aussi le cas des deux sources citées par Oleg de Normandie, Ibrahim el-Qarawi et Ibn Khordadbeh, qui sont également les deux seules mentionnées par l’avocate colombienne

42 . On peut dès lors se demander si Oleg de Normandie a lu les autres livres qu’il cite… Surtout, l’ouvrage mentionné plus haut (Traite des blancs, traite des noirs…) porte essentiellement sur la traite des esclaves africains et ne se centre pas sur 37 Rosa Amelia PLUMELLE-URIBE, Traite des blancs, traite des noirs : Aspects méconnus et conséquences actuelles, Paris, L’Harmattan, 2008. 38 Rosa Amelia PLUMELLE-URIBE, Traite des blancs, traite des noirs : Aspects méconnus et conséquences actuelles, op. cité, pages 21 à 26. 39 https://www.conspiracywatch.info/un-avatar-du-complot-juif-mondial-les-juifs-et-lesclavage-des-noirs.html, consulté le 17 janvier 2022. 40 https://www.youtube.com/watch?v=lfWk5HUrOJs&t=746s, 00 :02 :38, consulté le 19 janvier 2022 ; Rosa Amelia PLUMELLE-URIBE, Traite des blancs, traite des noirs : Aspects méconnus et conséquences actuelles, op. cité, page 22. 41 https://www.youtube.com/watch?v=lfWk5HUrOJs&t=746s, 00 :12 :39, consulté le 19 janvier 2022 ; Rosa Amelia PLUMELLE-URIBE, Traite des blancs, traite des noirs : Aspects méconnus et conséquences actuelles, op. cité, page 23 ; citation de Jacques HEERS, Les négriers en terre d’Islam, Paris, Tempus Perrin, 2008, page 23. 42 Rosa Amelia PLUMELLE-URIBE, Traite des blancs, traite des noirs : Aspects méconnus et conséquences actuelles, op. cité, pages 21 ; Michael TOCH, “Jews in Europe”, in Paul FOURACRE, The New Cambridge Medieval History, volume 1, c.500-c.700, Cambridge, CUP, 2005, page 560.la période qu’Oleg prétend étudier.

Ainsi cet auteur n’a-t-il pas beaucoup cherché ; il s’est contenté de répéter sans vérifier une thèse controversée et ne concernant pas sa période, qu’il a trouvée sur le net. Ce qui en ressort, c’est que l’affirmation d’Oleg de Normandie indiquant qu’aucune étude n’a été produite sur l’esclavage est fausse, puisque lui-même en cite. Qu’en est-il réellement de la recherche historique sur l’esclavage et les marchés d’esclaves au haut Moyen âge ? Il est vrai que longtemps, les historiens ont estimé qu’à partir du IVe siècle, du fait de l’arrivée du christianisme, l’esclavage diminuait en Europe de l’Ouest.

Aussi, jusqu’après la Seconde guerre mondiale, il n’y a eu que peu de recherches sur l’esclavage à l’époque médiévale

43 . Si jusqu’aux années 1930, la question de l’esclavage médiévale est peu traitée, l’article de Marc Bloch, “Pourquoi et comment finit l’esclavage antique ?” ouvre le débat sur cette question

44 . Marc Bloch indique “À y regarder de plus près, des symptômes très clairs attestent que, dès le IXe siècle, l’esclavage était loin de tenir dans les sociétés européennes une place 43 Didier BONDUE, De Servus à Sclavus. La fin de l’esclavage antique, Paris, PUPS, 2011, page 18. 44 Marc BLOCH, “Pourquoi et comment finit l’esclavage antique ?”, in Annales. Économies, sociétés, civilisations, 2e année, n°1, 1947comparable à celle qui, précédemment, avait été la sienne”

45. Cette position relance les études sur l’esclavage au Moyen âge et entraine la première synthèse, celle de Charles Verlinden, parue en deux volumes en 1955 et en 1977, L’esclavage dans l’Europe médiévale

46 . Donc, avant même les années 1960, l’esclavage du Moyen âge est un sujet d’étude. Il est peut-être sous-estimé, comme le reconnait l’historienne du droit et de la justice médiévale Claude Gauvard dans une interview, mais il n’est pas négligé, comme veut le faire croire Oleg de Normandie

47 . D’autant qu’avec le développement de l’histoire économique, qui remet en avant la question de la force de travail, et surtout des subaltern stories et des post-colonial studies, l’histoire de l’esclavage au Moyen âge se développe fortement depuis les années 1970. Il faut ainsi évoquer l’ouvrage de Jacques Heers, dont Oleg de Normandie cite les passages mis en avant par l’autrice colombienne ; Jacques Heers a écrit deux ouvrages autour de l’esclavage, Esclaves et domestiques au Moyen Age dans le monde méditerranéen et Les négriers en terres d’islam

48 . Il n’est pas le seul médiéviste dans les années 1980 à publier sur cette question. Pierre Bonnassie qui a travaillé notamment sur la Catalogne, publie en 1991 un recueil d’articles sur la question, From Slavery to Feudalism in South-Western Europe

49. Ce dernier traite largement des esclaves en Europe de l’Ouest et de la question complexe de la différence entre esclave et serf. Donc, comme on peut le voir, l’histoire de l’esclavage au Moyen âge, et spécialement celle des esclaves blancs, n’a pas été occultée. Depuis les années 2000, l’esclavage est devenu un des sujets importants des études sur le haut Moyen âge. Citons ainsi deux exemples de ces études. La première est celle de Didier Bondue, De Servus à Sclavus, qui explique bien l’évolution de l’esclavage au haut Moyen âge

50. La seconde est le travail de synthèse très récent sur l’esclavage au Moyen âge publié par l’Université de Cambridge, dans le cadre d’une histoire générale 45 Marc BLOCH, “Pourquoi et comment finit l’esclavage antique ?”, op. cité, page 32. 46 Didier BONDUE, De Servus à Sclavus. La fin de l’esclavage antique, op. cité, page 19 ; Charles VERLINDEN, L’esclavage dans l’Europe médiévale, Bruges, 1955 et 1977. 47 “Moyen âge, le grand refoulement”, entretien avec Claude GAUVARD, in Les collections de L’Histoire. Depuis 5000 ans l’esclavage. Une histoire mondiale, n°93, octobre-novembre 2021. 48 Jacques HEERS, Esclaves et domestiques au Moyen-Age dans le monde méditerranéen, Paris, Fayard, 1981 ; Jacques HEERS, Les négriers en terres d’islam, Paris, Perrin, 2003. 49 Pierre BONNASSIE, From Slavery to Feudalism in South-Western Europe, Cambridge, CUP, 1991. 50 Didier BONDUE, De Servus à Sclavus, la fin de l’esclavage antique, Paris, Presse Universitaire Paris -Sorbonne, 2011.de l’esclavage

51. Cet ouvrage comprend une bibliographie assez exhaustive, témoignant de l’ampleur des travaux sur la question de l’esclavage au Moyen âge. Tous les ouvrages récents sur l’économie du Moyen âge abordent aussi la question de l’esclavage, que ce soit comme force de travail ou comme marchandise. Citons The Origins of European Economy, publié en 2001; The Carolingian Economy, publié en 2002; ou Framing the Early Middle Ages, publié en 2005

52 . C’est bien sûr également le cas d’ouvrages en français, comme ceux de Laurent Feller ou de Jean-Pierre Devroey

53. Enfin, un autre ouvrage en français, Les mondes de l’esclavage, vient de paraître, consacrant des articles sur l’esclavage du haut Moyen âge

54 . On peut admettre qu’Oleg de Normandie n’ait pas lu les ouvrages les plus récents ; en revanche, son affirmation qu’aucune étude n’a été produite sur l’esclavage est essentiellement due à son manque de travail et de recherches. Le cœur de l’argument de cet auteur est que l’histoire est contrôlée par l’Église de Rome et effacée par l’Inquisition – dont sans nul doute je fais maintenant partie aux yeux d’Oleg et de ses thuriféraires – tandis que les crimes contre les païens blancs ont été volontairement occultés. Mais Oleg ment sur tous les points. L’Église catholique n’est pas dépositaire du travail en histoire et, non, l’Inquisition n’a rien effacé, et encore une fois non, les historiens n’ont pas caché l’histoire de l’esclavage des blancs. Ici, on ne peut plus taxer Oleg de Normandie de n’être qu’un mauvais chercheur qui passe à côté des sources et préfère raconter son roman, mais on doit aussi admettre qu’il est un menteur. Et son mensonge, que nous pensons délibéré, est au service d’une vision délétère de la société, une vision racialiste et identitaire. Dans un dernier article, nous allons voir comment, à partir de ces mensonges, Oleg de Normandie déroule son discours identitaire qui vise directement les juifs et les musulmans. 51 Craig PERRY, David ELTIS, Stanley ENGERMAN, David RICHARSON, The Cambridge World History of Slavery, volume 2, AD 500-AD 1420, Cambridge, CUP, 2021. 52 Michael McKORMIK, The Origin of Medieval Economy, Cambridge, CUP, 2001 ; Adriaan VERHULST, The Carolingian Economy, Cambridge, CUP, 2002 ; Chris WICKHAM, Framing The Early Middle Ages, Oxford, OUP, 2005. 53 Laurent FELLER, Paysans et seigneurs au Moyen âge (VIIIe-XVe), Paris, Armand Colin, 2007 ; Jean-Pierre DEVROEY, Économie et Société dans l’Europe franque, Paris, Berlin, 2003. 54 Paulin ISMARD (dir), Les mondes de l’esclavage, Paris, Seuil, 2021.

 

Date de dernière mise à jour : 2024-12-05 19:11:43