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La connaissance chapitre deuxième année 2024.25

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DEUXIEME CHAPITRE 


                                         ELABORATION PROGRESSIVE DE LA PENSEE EN GRECE 


Pour comprendre l'état de la pensée d'aujourd'hui et tout spécialement ce qui concerne le problème particulier de la connaissance, il est indispensable d'en exposer succinctement l'histoire à ses débuts et de suivre tout au long des générations et des siècles son élaboration progressive et son évolution. 


C'est en Grèce que tout commence aux environs des IX° et VIII° siècle avant Jésus-Christ.  


I — Les premiers balbutiements 


De tout temps l'homme a réfléchi et s'est posé des questions face à l'univers, face à lui-même et face à sa destinée. Ce qu'on appelle les grands récits fondateurs : Véda, Upanishad, Tao Te King, Poème de la Sagesse, la Bible, en sont la preuve. En Grèce, Hésiode (700 av J-C), Homère (environ 850-750 av J-C), La Légende des sept sages, et Esope (environ 850-750 av J-C) élaborent déjà des cosmogonies, c'est-à-dire des théories sur l'origine de l'univers fondées sur des mythes ou des légendes ou liées à une métaphysique. En général, elles présentent la naissance du monde comme une lutte opposant les dieux à des démons, des demi-dieux ou des monstres. Il s'agissait de véritables récits fondateurs permettant de relier les hommes a une certaine transcendance (dieux ou ancêtres) et servant de fondement et de lien social à la cité antique. Ces textes si importants qu'ils soient, ne constituent cependant pas une pensée philosophique proprement dite. La réflexion philosophique commence lorsque l'intelligence cherche par un effort de la raison à répondre aux questions essentielles qu'elle se pose en rejetant toute explication mythologique, légendaire ou religieuse. 

 

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Dès les VII° et VI° siècles avant Jésus-Christ les penseurs grecs vont tenter de répondre de manière déjà rationnelle et non plus mythologiques à trois questions d'importance : 


- En quoi est le monde `?

- Y a t il un ordre dans le monde ?

- Y a-t-il une intelligence dans le monde ? 


I — En quoi est le monde ? 


C'est à Milet au bord de la mer Egée, dans un pays magnifique que l'on appelait alors l'Ionie (aujourd'hui la Turquie), que va naître une première réflexion sur la nature et l'origine du monde. Trois penseurs tentent alors de donner une explication du monde qu'ils ont sous les yeux et dans lequel ils vivent. C'est un monde étrange et foisonnant de mystères inexpliqués, un monde toujours changeant et contradictoire. Pour mieux le comprendre et l'appréhender, leur première démarche va être de réunir cette complexité et ce foisonnement en une réalité unique formant un tout. Au lieu de considérer ce qui les entoure sous une forme parcellisée ou dans le détail, ils vont le considérer dans son ensemble. 
C'est sur la totalité de l'univers qu'ils vont réfléchir, et leur première question sera : En quoi est-ce ? 

Thalès (vers 624-546 av. J-C) : L'eau principe universel 


Thalès, comme tous ceux que nous allons rencontrer est un esprit universel :

il est en effet à la fois géomètre, astronome, ingénieur, médecin et homme politique.

Il change radicalement la démarche de la pensée : au lieu de se contenter d'une explication légendaire pour expliquer le désordre apparent du monde, il considère l'univers comme un tout et recherche le principe unique du monde.

Comme le dira plus tard Aristote ce que cherche Thalès c'est « ce dont tous les êtres sont constitués, le point initial de leurs générations et le terme final de leur corruption. » C'est en réalité la cause matérielle de tout ce qui existe, cause de chaque chose en particulier, mais aussi de l'ensemble de l' univers. 


Il trouve cette cause, ce principe unique, cette matière primordiale dont tout ce qui existe est fait, et il affirme que c'est l'eau. Il pense que la terre flotte sur l'eau, car dit-il : « Toutes choses se nourrissent de l'humide et du chaud et le chaud lui-même en procède et en vit, or ce dont les choses viennent est pour toutes leur principe... (...) les semences de toutes choses ont une nature humide et l'eau est l'origine de la nature des choses humides. » 

 

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Anaximandre (vers 611-546 av.J-C) : l'Apeiron principe universel 
                 Grand esprit comme Thalès dont il prend la succession à la tête de l'école de Milet. Il pense que la terre est suspendue au milieu du ciel à égale distance de tout le reste et qu'elle a la forme d'une colonne plus haute que large dont nous habitons la partie supérieure. Comme son maître Thalès, il cherche lui aussi le principe premier et éternel, la matière dont toutes choses naissent, et en quoi redeviendra tout ce qui meure. 


Au cours de ses observations, il remarque que la nature est faite de réalités contraires qui s'opposent, se détruisent et s'engendrent les unes les autres dans un affrontement incessant. Par exemple la fin de la nuit fait naître le jour et à la tombée du jour revient la nuit. La chaleur engendre la sécheresse mais entraîne orages et pluies qui s'opposeront à la canicule et à la sécheresse. Ce ne peut donc être une chose déterminée qui soit à l'origine de tout, car à cette chose s'opposerait une chose contraire, elle-même source d'engendrement et de destruction, c'est donc en amont des réalités déterminées qu'il faut rechercher le principe unique, cause de tout l'univers. 


Ce principe, cette cause matérielle c'est, dit Anaximandre, une substance unique, infinie en grandeur et sans détermination. C'est 1 'Apeiron, « substance sans limite, éternelle et sans âge, elle embrasse tous les inondes. » Apeiron peut se traduire par indéterminé. Le principe unique de tout ce qui est, selon lui, est donc une matière infinie et indéterminée. 


Anaximène (vers 585-525 av.J-C) : L'air principe universel 


Ce troisième penseur de Milet est aussi à la recherche de la substance première du monde. Comme son prédécesseur, il pense que le ce en quoi tout est lita est quelque chose d'indéterminé. Pour lui il ne s'agit pas d'un pur indéterminé mais de quelque chose d'observable par tout un chacun et qui fait partie de la réalité concrète puisque c'est l'air. Pourquoi l'air ? Parce qu'il semble être partout et sans limite, parce qu'il est nécessaire à la vie et qu'il est comme un trait d'union entre tout ce qui est. « Notre âme, dit-il, parce qu'elle est de l'air est en chacun de nous un principe d'union, de même le souffle ou l'air contient le monde dans son ensemble.. » 


La terre est une surface plate posée sur l'air comme un couvercle, et qui maintient ainsi stable la masse d'air. Les astres ont également l'air pour support et tournent autour de la terre comme des meules de moulin autour de leur axe. 


Derrière l'apparente naïveté de ces premières explications du monde il faut reconnaître à ces hommes le mérite d'avoir engagé l'intelligence à la recherche de causes rationnelles et de ne plus se contenter d'explications mythologiques ou magiques. Leurs affirmations s'appuient sur l'observation, pour eux tout n'est encore que matière, et même s'ils croient à l'existence de l'âme humaine, c'est d'une âme matérielle qu'il s'agit. Rappelons-nous Anaximène : « Notre âme, parce qu'elle est de l'air... » 

 

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En ce qui concerne le problème de la connaissance leur pensée demeure liée à l'expérience sensible. C'est ce qu'on appelle le réalisme spontané, qui caractérise toute pensée à ses débuts. C'est ainsi la pensée du petit enfant qui naïvement pense que tout est tel qu'il le perçoit par ses sens. Il dira ainsi que la lune est un gros ballon.C'est aussi la marque d'une pensée rationnelle balbutiante qui commence à se poser des questions sur cet univers fascinant par sa diversité et les mouvements qui l'animent, toutes choses perçues d'abord par les sens. Le réalisme spontané affirme donc que tout est tel que nous le percevons, sans encore pressentir qu'il peut exister aussi des réalités invisibles et non perceptibles. 
                                                                        Le réalisme spontané est donc une pensée liée à la sensation et pour laquelle tout est tel que nous le percevons. 


2 — Y a-t-il un ordre dans le monde ? 


               C'est la deuxième question que vont se poser les grecs, et c'est Pythagore qui y répond le premier.  


Pythagore (vers 570-500 av.J-C)  


Né dans l'île de Samos non loin de Milet, il y passe sa jeunesse et s'installe en Italie vers l'âge de 40 ans. Il est mathématicien, astronome et philosophe, et sera le créateur d'une école qui n'enseignera pas seulement une théorie intellectuelle mais qui sera aussi un mouvement mystique, éducatif et politique. L'école pythagoricienne durera plus de dix siècles et exercera une profonde influence. 


Comme les milésiens, il cherche le principe unique du monde, source et origine de l'univers, et avec Anaximène, il pense que l'air infini est cette matière unique. Mais il va aller plus loin que la recherche de la cause matérielle. Grâce à l'acoustique : il remarque que la hauteur d'un son dépend de la longueur de la corde de la lyre, et que les intervalles musicaux peuvent être exprimés par des nombres Il constate également que les figures géométriques, le volume des corps et des astres peuvent aussi s'exprimer par des nombres. Il en déduit que l'air qui selon lui constitue la matière et l'étoffe du monde est taillé et organisé selon le nombre. Ebloui par sa découverte, il en conclut que tout est nombre, que la trame invisible du monde, sa réalité profonde inaccessible au profane, mais plus réelle que les apparences c'est le nombre. « Les éléments des nombres sont les éléments de toutes choses... et le monde tout entier est harmonie et nombre. (..) Toutes ces choses qu'il nous est donné de connaître possèdent un nombre et rien ne peut être conçu sans le nombre. » C'est définir le nombre comme l'essence abstraite des choses. 


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             Il faut comprendre ici ce que signifie en philosophie le mot essence. L'essence d'une chose c'est, au-delà des apparences sensibles et contradictoires d'un être concret, les caractères stables et définis que l'intelligence est capable de découvrir en cet être. C'est ce qui sous la mouvance du réel demeure et qui est fondamentalement constitutif de la chose. C'est ce qui fait que telle chose est précisément ce qu'elle est, et c'est ce qui la définit radicalement. L'essence est universelle et immuable alors que la chose concrète est particulière et changeante ; Quand je dis chien je me réfère à l'essence chien, c'est-à-dire à l'ensemble des caractères qui font qu'un chien est un chien : donc animal à quatre pattes, aux caractéristiques anatomiques et physiologiques bien définies . L'essence chien est commune à l'ensemble des chiens de tous les temps et de tous les lieux, que ce soient des lévriers, des chiens loups ou des bassets, qu'ils soient noirs, blancs ou roux, qu'ils pèsent cinquante kilos ou quelques centaines de grammes, qu'ils aient dix ans ou un jour. Mais quand je dis Médor, je désigne alors un animal concret, il s'agit de ce cocker noir enjoué et affectueux, et tout ce qui caractérise Médor ne s'applique qu'à lui. 


Donc, en chaque chose concrète particulière, l'intelligence est capable de découvrir l'essence, la nature profonde, stable et universelle dont participe cette réalité concrète, particulière et changeante. Et c'est cela que fait Pythagore lorsqu'il affirme que toute chose est nombre et que le modèle des choses c'est le nombre. Il est le premier à pressentir qu'au-delà de la réalité matérielle il y a peut-être autre chose qui serait le modèle ou l'organisation selon laquelle cette chose est constituée. Au-delà de la cause matérielle, il découvre ce qu'Aristote appellera la cause formelle. 


Au dessus du monde, Pythagore distingue une autre réalité : l'harmonie qui est la loi suprême et la plus belle des choses. Le nombre, en effet, ne peut suffire à lui seul à expliquer le monde. Qu'est-ce que l'harmonie ? « C'est l'unification du multiple et l'accord du discordant » (Philolaiis) C'est ce qu'exprime un traité pythagoricien :

- Qui a-t-il de plus sage ? - Le nombre.

- Qui a-t-il de plus beau ? — L'harmonie.

Le nombre, en effet, ne peut suffire à expliquer le monde, car il exprime toujours trois oppositions fondamentales : limité et illimité, impair et pair, un et multiple. L'harmonie règle toutes choses en équilibrant les contraires constitutifs des nombres. 


Avec Pythagore et son école la pensée franchit un pas décisif : jusque là, en effet, les philosophes de Milet avaient tenté de comprendre le monde en essayant de percer le secret de la matière unique, source et aboutissement de toute existence. Pythagore dépasse ce problème et pose une nouvelle question : Y a t il un ordre dans le monde ? Ou encore : Y a-t-il un modèle selon lequel tout est fait ? C'est pressentir qu'au-delà de la matière il y a une autre réalité invisible mais bien réelle puisqu'elle régit le concret.C'est-à-dire que la matière dans laquelle nous sommes immergés comporte un ordre, une harmonie, un modèle selon lequel elle est agencée et elle fonctionne. C'est le premier effort pour dégager l'essence abstraite des choses, effort qui permettra l'élaboration d'une pensée spéculative rationnelle. L'apport de Pythagore c'est encore l'affirmation que les lois mathématiques gouvernent l'ensemble de l'univers, ce qui constituera la pierre d'angle de toute la recherche scientifique des siècles suivants. 

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3— Y a-t-il une intelligence dans le monde ? 


Avec Pythagore nous étions allés en Italie, nous retournons maintenant en Ionie, à Colophon rencontrer Xénophane. Nous sommes à la fin du VI° siècle avant Jésus-Christ. Xénophane est un rapsode, un chanteur qui va de ville en ville en récitant des poèmes, c'est ainsi qu'il diffuse et transmet l'essentiel de sa pensée. Lui, ne va pas se contenter d'observer le monde et d'en rechercher le principe premier, il dépasse ce point de vue, il dépasse la physique, il dépasse l'essence abstraite entrevue par Pythagore, il s'élève au-delà du matériel, au-delà de la pure sensation, au-delà du polythéisme, pour accéder à la raison qui va lui permettre de poser au dessus de tout une intelligence supérieure. 


Xénophane de Colophon (VI' siècle avant J-C) 
Ses contemporains croient à une multitude de dieux, c'est le polythéisme, par là ils expliquent tout ce qu'ils ne comprennent pas et surtout, et c'est ce que leur reproche Xénophane, ils se sont fabriqués des dieux à leur image, affligés d'imperfections et de défauts humains. Il faut rendre au divin sa vraie grandeur, dit Xénophane, le débarrasser de tout ce qu'il a d'humain et de passionnel pour le faire accéder à une vraie moralité. Il faut aussi, au lieu d'aduler et d'admirer les athlètes, remettre les choses à leur juste place et respecter la hiérarchie des valeurs, car : « il n'y a pas non plus de justice à estimer la force par-dessus la bonne sagesse. » 


La bonne sagesse c'est bien pour Xénophane la valeur suprême. La sagesse pour les grecs c'est la recherche de la vérité, et seule la pensée en est capable lorsqu'elle se dégage des apparences toujours changeantes du monde matériel pour tenter de raisonner logiquement. Pour lui, cette connaissance rationnelle demeure cependant relative comme la connaissance sensible : « La vérité, jamais personne ne l'a connue, ni ne la connaîtra...mais sur toutes choses on peut se faire des opinions valables. » Pensée émouvante, qui traduit déjà tout l'effort de l'intelligence pour accéder à une pensée rationnelle et qui doit continuellement remettre l'ouvrage sur le métier. 


Découverte d'une intelligence sommet de toutes les réalités 


« Ayant tourné son regard vers l'ensemble du monde, il a dit que l'un c'est Dieu. » (Aristote)

A une description du monde assez fantaisiste et beaucoup moins élaborée que celles de ses prédécesseurs, il oppose un dieu unique, qui est une intelligence unique immergée dans le monde qu'elle gouverne. Il est supérieur à tout, que ce soit dans l'ordre matériel ou divin. Il est tel que : « par la puissance intelligente de sa pensée (il) donne sans peine le branle à tout, (c'est un dieu) qui tout entier voit, tout entier pense, tout entier entend. » Dieu immobile, on ne peut imaginer en lui aucun changement, aucun devenir donc il est éternel.Ce serait cependant une erreur de voir dans le dieu de Xénophane un dieu semblable à celui de la Bible, c'est-à-dire un pur esprit transcendant au monde, et sans commune mesure avec lui. Le dieu de Xénophane semble plutôt être une intelligence immanente au monde, éternellement présente en tout et ordonnatrice de tout. 

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Pendant ce VI° siècle avant Jésus-Christ nous avons rencontré des hommes qui par les questions qu'ils ont posées et les réponses qu'ils ont données ont fait naître les germes de l'ensemble des courants philosophiques des siècles suivants jusqu'à nos jours. D'abord les physiciens de Milet : Thalès, Anaximandre et Anaximène qui cherchent la cause matérielle du monde, sont à la source de la pensée matérialiste qui explique l'ensemble de l'univers par la matière : Tout n'est que matière . Ensuite les Pythagoriciens qui sont les premiers à pressentir l'essence abstraite des choses et un ordre invisible rationnel, ainsi que l'omniprésence des mathématiques. Ce sont les ancêtres du maihématisme' de Descartes et de l'idéalisme2 : Tout est tel que je let pense et comme je le pense, ou encore Je ne connais que mes idées. Enfin Xénophane qui affirme l'existence d'une intelligence unique à l'oeuvre dans le monde et pose ainsi les fondements de la métaphysique. Au cours des siècles suivants, les grecs approfondiront ces questions et affineront si bien leurs réponses qu'elles demeurent aujourd'hui encore les fondements de toute la philosophie moderne. 

                                                                             II — Le problème de l'Un et du multiple 


1 — Le dilemme 


L'être est-il ou n est-il pas ? Est-il unique et immobile malgré les apparences, ou l'univers n'est-il que changement et peuplé d'objets éphémères et insaisissables ? Tel est le dilemme que vont poser à leurs contemporains et presque en même temps Héraclite et Parménide. 


Héraclite (vers 450-480) 


Héraclite est originaire d'Ephèse, tout près de Milet. C'est un prestigieux personnage qui fit beaucoup parler de lui et dont on parle encore aujourd'hui.11 est prestigieux par sa naissance car il est de famille royale et sacerdotale et destiné à d'importantes fonctions publiques, auxquelles il renoncera pour mener une vie d'ermite. 


Opposition et identité des contraires : « Le conflit est père de tout » 


Comme ses prédécesseurs de Milet, il considère le monde comme un tout, et pose une cause matérielle unique dont tout est fait et à quoi tout revient : le feu. « Ce monde-ci, dit-il, le même pour tous les êtres, aucun des dieux ni des hommes ne l'a fait, mais il a toujours été, et il est et ïl sera un feu toujours vivant, s'allumant avec mesure, s'éteignant avec mesure. » Il s'oppose à Pythagore : pour lui, il n'y a ni harmonie ni ordre dans le monde, celui-ci n'est qu'un tissu de contradictions et d'oppositions. Il n'y a entre les hommes que haine et affrontement, et dans la nature que mouvements, destructions, absorptions et transformations. Il est fasciné par ce flux perpétuel, ce changement incessant 


I Mathématisme : doctrine selon laquelle les mathématiques suffisent à expliquer l'ensemble de tout ce qui est.                                                                                                                                                              2 Idéalisme : doctrine qui affirme que nous ne connaissons que nos idées. 

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o .Le conflit est pere de toutes choses, roi de toutes choses « C'est le meme d'etre ce qui est vivant et d'être ce qui est mod, eveille ou endormi, jeune on vieux, car par le changement ceci est cela, et par le changement cela est a son tour ceci. » Et il ajoute cette phrase bien connue « Tout conic, tout s'ecoule, rien ne demeure. » ou encore : « On ne se baigne pas deux fois dans le meme fleuve. »: 
Ainsi, pour lui, la rose nest jamais a deux instants la meme : le matin elle est en bouton, a midi a peine &lose, le soir la voit dans tout r eclat de sa beaute, et le lendemain ses petales gisent a terre. De toutes ces roses successives laquelle est la vraie rose ? De meme pour l'homme lequel est le vrai, le bebe qui vient de naltre, !'enfant turbulent, le jeune homme fringant, l'homme dans la plenitude de sa maturite ou le vieillard extenue ? Un tel univers comment le comprendre ? Il n'y a rien en lui de stable a quoi la pensee puisse s'amarrer. Sa vision du monde est donc un dynamisme, c'est-a-dire qu'il voit l'univers comme un grand etre vivant anime d'une force interne. 
ll va tenter de trouver malgre tout une loi a cette instabilite generale, c'est-d-dire quelque chose qui donne une comprehension a ce qui est apparemment incomprehensible, une unite a ce qui semble inconciliable. Il est le premier a parler d'un Logos qui gouverne et juge de tout. Le Logos West pas un esprit mais le feu dans son mouvement continue! : o C'est quelque chose de common a tout, qui domine tout autant lui plait, qui suffit en tout et surpasse tout » Les hommes doivent donc &outer le Logos, pensee divine circulant eternellement dans le monde, au lieu de cela ils preferent les apparences du sensible, ils sont comme des 'dries qui o aiment mieux la paille que l'or. » 
La pensee d'Heraclite apporte a la recherche quelque chose de profondement original : le premier, en effet, il met en lumiere !'omnipresence du changement et la coexistence des contraires dans une seule et meme chose. Sa philosophie est un monisme du devenir. Dans un tel systeme il est impossible de dire ce qu'est reellement une chose puisqu'elle est en perpetuel changement, on peut seulement dire qu'elle devient. L'etre n'est pas ii devient, comment alors le connaltre ? Bien sin- Heraclite unifie les contraires grace au Logos, mais ce qu'a retenu la posterite c'est surtout le changement pose comme loi universelle du monde et !Identification des contraires. Et pourtant !'experience quotidienne montre que ce n'est pas la meme chose que &etre vivant ou mort, petit ou grand, heureux ou malheureux... 
Parmenide (540470) 
II faut maintenant nous rendre arautre extremite du monde grec, a Elee en Grande Grece d'aujourd'hui). C'est ici que vit Parmenide, autre geant de la pensee. II nait vers 515 avant Jesus-Christ, et de sa vie on ne sait pratiquement rien car les temoignages se contredisent. II semble qu'il fut releve de Xenophane et lie a des pythagoriciens, il a donc certainement subi leur influence, mais sa pens& est d'une originalite et d'une puissance telles qu'elle les &passe infiniment. C'est par son seul ouvrage un poeme intitule De la Nature, et dont il reste d'importants fragments que nous connaissons ses idees. 
3 Monisme : systeme scion lcquel it n'y a qu'une scaler ou un. soul Principe qui explique tout, ici lc mouvement on le devenir. 

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11 s'oppose vigoureusement à Héraclite et en prend l'exact contre-pied. Au lieu de ne voir dans la nature que du mouvement au point de ne plus savoir ce qui est, il va poser une question nouvelle : Est-ce ou n'est-ce pas ? Trois réponses sont possibles : • C'est et ce ne peut pas ne pas être : ce qui signifie que tout être est nécessaire. • Ce n'est pas et ne peut pas être, donc rien n'existe réellement. • C'est et ce n'est pas, donc il n'y a pas d'être il n'y a que du devenir, c est la position d'Héraclite. 
Seule, la première réponse est conforme à la vérité répond Parménide : l'être est, il n'a ni commencement ni fin, il est unique et immuable. Il fait de l'Etre un absolu qu'il identifie au tout du monde et dans lequel toutes les réalités existantes sont confondues. Dans son poème, il décrit l'Etre comme une sphère parfaitement achevée et limitée : « car il ne lui manque rien sinon il lui manquerait tout » Donc l'Etre est, et seul l'Etre existe, mouvement et multiplicité ne sont que des mots que les hommes ont inventés mais n'ont pas d'existence réelle. 
Analyse du poème 
Au début, le poème décrit le voyage qui « des palais de la nuit » va emporter le narrateur vers la lumière du savoir. C'est une sorte de parcours initiatique qui va s'accomplir, menant le jeune homme auprès de la déesse qui l'instruira de ce qu'il doit savoir : 
« Les cavales qui m'emportent, m'ont entraîné Aussi loin que mon coeur en formait le désir, Quand en me conduisant, elles m'ont dirigé Sur la voie renommée de la Divinité, Qui de par les cités porte l'homme qui sait. J'en ai suivi le cours, sur elles m'ont porté, Attelés à mon char, les sagaces coursiers. Des jeunes filles nous indiquaient le chemin L'essieu brûlant des roues grinçait dans les moyeux, Jetant des cris de flûte. (Car de chaque côté, Les deux cercles des roues rapidement tournaient), Cependant que déjà les filles du soleil, Oui avaient délaissé les palais de la nuit, Couraient vers la lumière en nie faisant cortège, Ecartant de la main les voiles qui masquaient L'éclat de leur visage. Là se dresse la porte Donnant sur les chemins de la Nuit et du Jour Un linteau et un seuil de pierre la limitent Quant à la porte même élevée vers le ciel, C'est une porte pleine aux battants magnifiques, Et Diké (la justice) aux nombreux châtiments, en détient Les clefs, dans les deux sens contrôlant le passage, Pour la séduire et la gagner les jeunes filles Usèrent à son chef de caressants propos, Afin d'habilement la persuader d'ôter, 

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Rien qu'un petit instant le verrou de la porte. La porte bascula, ouvrant un large espace Entre les deux battants, en faisant pivoter Les gonds de bronze ciselés sur leurs paumelles Retenues par des clous et d'épaisses chevilles. C'est alors que, par là, tout droit les jeunes filles Poussèrent à s'engouffrer le char et les cavales Sur la route déjà tracée par les ornières. 
Après cette course folle qui mène le poète aussi loin que son désir l'entraîne à la recherche du savoir, le voici enfin en présence de la déesse : 
« La déesse avec bienveillance me reçut. Elle prit ira main droite en sa main et me dit : Jeune homme, toi qui viens ici accompagné De cochers immortels porté par des cavales Salut ! Car ce n'est point une Moire (une.fatalité) ennemie Oui t'a poussé sur cette voie (hors des sentiers Qu'on voit communément aux hommes emprunter.) Mais Thémis (la loi) et Diké. Apprends donc toutes choses, Et aussi bien la vérité bellement circulaire, Que les opinions des mortels, dans lesquels Il n'est rien qui soit vrai ni digne de crédit; Mais cependant aussi j'aurais soin de t'apprendre Continent il conviendrait que soient quant à leur être, En toute vraisemblance les dites opinions, Qui toutes vont toujours passant 
Notons au passage l'opposition de la vérité « bellement circulaire », apanage du coeur, c'est-à-dire de la raison, aux opinions des mortels dans lesquels il n'est rien qui soit vrai. La vérité, pour Parménide, on y accède par la raison. Les opinions, c'est-à-dire tout ce qui nous vient par la sensation, ne sont que les apparences du monde concret, elles ne sont ni vraies ni dignes de crédit car, comme l'avait souligné Héraclite, le monde n'est qu'un affrontement permanent de forces opposées, de contraires qui se détruisent et s'engendrent. perpétuellement, il n'offre rien de stable sur quoi la pensée puisse s'appuyer. Cependant la déesse va enseigner au jeune homme aussi bien la vérité que les opinions car, si « en celles-ci ne résident pas une croyance vraie, il finit tout de même les connaître afin de savoir quel jugement porter sur elles. » 
Les voies de la vérité 
Deux chemins sont possibles : le premier affirme que l'Etre est et qu'il ne peut pas ne pas être, il est nécessairement, c'est la seule « voie réelle et véritable », le deuxième affirme que l'are n'est pas, donc le non-être ou néant est : « voie impensée, inommée,car elle n'est pas la vraie. » 
« Il ne fut jamais ni ne sera puisqu'il est maintenant Tout entier à la fois, un, continu. Quelle origine, en effet, lui chercherais-tu ? Comment et d'où aurait-il pris sa croissance ? De ce qui n'est pas ? 

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Je t'interdis de dire ou même de penser Que l'Etre pourrait provenir du non-être, Car on ne peut pas dire ou penser qu'il n'est pas. Quelle nécessité l'aurait poussé à être Ou plus tard ou plus tôt si c'était le néant Qu'il avait pour principe ? Aussi faut-il admettre Qu'il est absolument ou qu'il n'est pas du tout Jamais non plus la force attachée au discours Ne pourra admettre que quelque chose d'autre puisse naître Ainsi ni de naître ni de périr la justice Ne lui donne licence en relâchant les liens Où elle le tient La décision là-dessus stipule : Il est ou il n'est pas. Or il est nécessaire D'abandonner l'une des voies impensée innomée, Car elle n'est pas la vraie cette voie ; Et suivre l'autre comme réelle et véritable. Car comment dans la suite des temps pourrait-il Venir à exister l'être ? Comment pourrait-il une fois Y être venu ? S'il est venu à l'existence il n'est pas, Non plus que si un jour doit venir où il sera. Ainsi s'éteint la genèse, ainsi disparaît la mort. 
Description de l'Etre : 
De ces deux voies, celle qui affirme que l'être est signifie que l'être est absolument. En effet, s'il avait commencé d'être un jour cela veut dire qu'il n'existait pas auparavant, et s'il doit mourir un jour qu'il n'existera plus après. Donc s'il peut y avoir des moments où il n'est pas il n'est pas absolument. Et d'ailleurs, s'il devait naître d'où lui viendrait son existence ? De l'être ? Alors il était déjà. Du non-être ? C'est impossible car rien ne naît du néant : « ainsi s'éteint la genèse, ainsi s'éteint la mort. » 
« II n'est pas non plus divisé, puisqu'il est tout entier ensemble. Il n'y a pas ici un plus qui romprait sa continuité ; Ni là un moins : il est le tout plein d'être. Ainsi tout est continu car l'être touche l'être. Si distantes que soient les choses, Contemples les à ta pensée fermement présentes : Car tu ne pourrais couper l'être de l'être, Soit pour le disperser tout entier, en tout sens Dans le monde, soit pour le rassembler... De plus immobile dans les bornes de liens inéluctables Il est sans commencement sans fin puisque genèse Et mort ont été bannies au loin repoussées par la vraie foi, Le même demeurant dans le même, en soi-même il repose De la sorte immuablement au même lieu il demeure ; Car la pesante nécessité le maintient dans les liens De la limite qui enserre tout son contour. Ainsi d'être inachevé, l'être n'a pas la permission du destin. Car il ne lui manque rien : sinon il lui manquerait tout Quelle extraordinaire description pour décrire l'absolu de l'Etre ! Il n'est pas divisé, il est tout plein d'être, égal en chacune de ses parties. De ceci il résulte qu'il est immobile, puisque d'une densité parfaitement égale en tout point de lui-même. Il est aussi immuable et éternel puisqu'il ne connaît ni naissance ni mort 

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C'est la même chose que penser Et ce par quoi il y a pensée, Car sans l'être en lequel il est exprimé, Tu ne trouverais pas le penser : Et rien en effet n'est ni ne sera D'autre en dehors de l'être Puisque la destinée l'a enchaîné Dans une intégrité close et immuable. Aussi n'est-ce que pur nom Tout ce que les mortels ont institué Croyant que c'était vrai, Naître et périr, être et ne pas être. Et changer de lieu, Et varier d'éclat en surface En outre puisqu'il a une limite Oui le détermine, il est achevé De toute part semblable à la masse D'une sphère parfaitement ronde. Du centre en tous sens Egalement distant, Car ni plus grand ni moindre, Il ne saurait être ici ou là 
Il se présente donc comme une sphère parfaitement achevée et limitée. En effet s'il lui manque une seule chose il n'est plus l'Etre dans sa plénitude, dont tout peut lui manquer. 
Pour bien comprendre ce poème, il faut essayer de définir quel est cet être dont Parménide affirme l'existence et trace le portrait. L'Etre de Parménide c'est le monde dans son ensemble, ce tout du monde que les philosophes grecs ne cessent de scruter, pour essayer de mieux le comprendre. Face à Héraclite qui affirme que rien n'existe mais que tout ne fait que devenir, il affirme l'existence de l'être. Les choses existent, il en est certain, mais sous les apparences changeantes du monde concret il y a quelque chose de stable qui demeure, et ce quelque chose c'est l'être, et c'est cela seul qui existe. Mais Parménide analyse l'être comme un être en plénitude, et être en plénitude c'est être un et être tout, donc il n'y a qu'un seul être c'est le tout du monde. De plus l'être en plénitude ne peut changer puisqu'il est tout et possède tout, il est donc immobile, immuable et éternel. Tout le reste, dit Parménide, les êtres particuliers comme leurs changements, n'est qu'illusion. 
La vérité, affirme-t-il, ne m'est pas donnée par les apparences du monde concret mais par ma raison. Et le tout du réel, il le voit comme sa raison le conçoit et selon les exigences de sa raison qui, pour penser, a besoin de s'appliquer à quelque chose de stable et d'immuable. C'est pour cela que Parménide est appelé le père de rationalisme. car le rationalisme affirme en effet que le réel est tel que nous le concevons par notre intelligence. 

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L'objet de la pens& c'est l'Etre 
o Sans l'etre en lequel it est exprime to ne trouverais pas le penser. » Pour penser reellement it faut penser quelque chose, it faut avoir un objet de pensee, et cet objet de pensee doit exister, car penser rien c'est ne pas penser, et je ne peux penser que quelque chose qui existe. Le neant, le non-etre sont impensables. On ne pense le 'leant que par negation de ce qui existe, ainsi je peux penser des chimeres mais je les construis a partir de quelque chose qui existe : ainsi une sirene est une femme (cela existe) au corps de Poisson (cela existe aussi). 
Parmenide est ebloui par cette decouverte de l'etre, objet de pens& et sans lequel it est impossible de penser. Si rien n'existe, et s'il n'y a que du mouvement et du changement je ne peux pas penser, et ce qui fait ma specificite humaine : l'intelligence, ne peut alors s'exercer. Parmenide sait que notre intelligence pour fonctionner exige d'avoir un objet stable, alors emerveille par sa decouverte, it va trop loin, et fait de l'Etre le Tout de l'univers, sans mouvement et eternel. 11 en fait cette grosse sphere immobile et majestueuse et du coup en oublie les titres particuliers et concrets, acteurs et temoins de noire vie quotidienne. 
En ce qui concerne le probleme de la connaissance on peut dire que la pens& de Parmenide est un rationalisme affirinant que tout est tel que nous le pensons et comme nous le pensons. Ce n'est pas tine pens& fond& sur la sensation, comme celle d'Heraclite, mais une pens& fond& sur l'idee en nous du reel. 
Et voila pose le fameux dilemme : comment accorder ces deux evidences apparemment contradictoires ? D'une part l'evidence sensible affirm& par Heraclite : le monde concret n'est qu'un foisonnement de contradictions incomprehensibles, puisque tout est son contraire : l'Etre n'est pas it devient. D'autre part, 1' evidence rationnelle de Parmenide l'Etre est I' objet de la pens& et, comme tel, it est un, immuable et eternel, semblable a une sphere immobile : seul, it existe reellement. 
2 — Les reponses au dilemme 
Tous les penseurs qui se succederont pendant le V° siecle avant Jesus-Christ essayeront de resoudre le dilemme qui dresse face a face Heraclite et Parmenide. Il doit etre possible de trouver un moyen terme entre l'etre intelligible (ciest-a-dire pose par la raison) de Parmenide et le tout coule tout s'ecoule » d'Heraclite, (fonde sur la sensation). Trois homme ont tente de resoudre, chacun a sa fawn, le probleme, ce sont Empedocle, Democrite et Anaxagore 
Empedocle (484-424) 
L'essentiel de sa pensee s'exprime dans deux poemes au souffle puissant : Les Purifications et De la Nature. 11 a retenu l'essentiel de la pens& de Parmenide, pour lui l'Etre est, et it n'y a que l'Etre, l'Etre du tout du monde. 

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Comme Parmenide, encore, it decrit I-Etre du tout du monde comme une sphere parfaitement une, immuable et etemelle, c' est le sphairos. Face a cette unite du sphairos, Empedocle introduit la diversite et le mouvement. 11 resout ainsi a sa maniere le dilemme fameux : le sphairos an lieu d'être tout entier homogene, o tout plein d'être », comme le voulait Parmenide, se trouve divise a l'infini en une multitude de particules eternelles et immuables. Ces particules se divisent en quatre categories : le feu, Pether (Pair), Peau et la terre. Nous y reconnaissons les quatre elements constitutifs de la realite dont tout le Moyen Age parlera. Empedocle fait de ces quatre categories les o les racines de tout (...) elles sont le gerine vient tout ce qui a ate, tout ce qui est et sera. » . L' ensemble des particules de feu, d'eau, d'ether et de terre sont brassees an sein du sphairos par deux forces, deux vents contraires : l'Amour et la Haine. La vie cosmique est un cycle eteraellement recommence, qui comporte deux phases principales : 
D'abord l'Amour qui, toulours tend a rassembier vers le centre de la sphere les particules elementaires pour reconstituer le tout. Le sphairos est alors « bien arrondi, joyeux ether de son independance. » C' est la *lode oft PAmour est roi, it domine la Haine, c'est un temps d'immobilite totale et &unite. 
* Ensuite la Haine penetre cette unite immobile et travaille a la dissocier. C'est au debut de cette periode que se situe 1' age d' or dont Phomme a la nostalgic en effet, c'est aux seules periodes de transition que peut apparaitre la vie, mais a ce moment précis on est encore tellement pres de Punite et du repos total que, malgre les efforts de la Haine, tout semble encore baigner dans Pharmonie de l'Amour. La Haine parvient enfin a dominer l'Amour : comme un vent violent elle disperse les elements vers les limites exterieures du sphairos, l'Amour se refugie au centre de la sphere et quand viendra le temps pour lui de reprendre l'avantage, ii reconstituera l'unite perdue et laissera la Haine exilee aux limites exterieures. Et tout recommence ainsi de suite indefiniment 
Ces deux forces contraires : Amour et haine, en lutte perpetuelle, sont fecondes par leur lutte meme. Ce sont elles qui par melange, association et division des differentes particules elementaires vont produire ou detruire toutes choses. Ainsi, Empedocle reste fidele Parmenide : 1'Etre est un, et it n'y a ni naissance ni mart, simplement reunion temporaire ou separation des particules qui, cites, sont eternelles : 
Il ley a pas de naissance pour aucune des choses inortelles, it n'y a pas de fin pour la inort funeste fly a seulement melange et dissociation des conTosants du melange, naissance West qu'an nom donne de ce fait par les hommes. Quand les elements melanges viennent a la luiniere du four sous la _forme d'un honnne ou d'une bete salvage, ou d'une plante ou d'un oiseau, alors ors dit qu'il y a naissance. Ouand les elements se se'parent, on emploie le mot de mart douloureuse, mais ce nom ne se justifle pas. 
Et c'est la proportion des melanges qui assure la diversite de tout ce que nous connaissons. Cependant avec Heraclite, it reconnait existence du multiple, de La diversite, du mouvement et surtout de cet affrontement perpetuel des contraires, generateur et destructeur a la fois. 11 ne resout pas le dilemme, mais tente de conciliar les deux positions opposees par Falternance de 1' un et du multiple, ce qu'il exprime ainsi : rr Mon propos sera double, en effet, tantbt augmente Jusqu'au point d'être seal existant a partir du multiple ; et twit& de nouveau se divise, et ainsi de l'un sort le multiple. o 

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Sa theolie de la connaissance 
suffit pour qu'i1 y ait connaissance que le connaissant ait en lui les memes elements que ceux qui constituent les choses : o Le sembhible est connu par k semblable », et c'est parce que rame est faite a la fois d'eau, d'air, de terre et de feu qu'elle peut connaitre 1' eau, 1' air, la terre et le feu : « C'est par la terre que nous connaissons la terre, par l'eau l'eau, par raker le divin ether, par le feu le feu destructeur, par l'Amour rumour par la Haine la haine » 
Ce que nous dit Empedocle, c'est qu'i1 suffit d'une identite specifique (et non numerique comme avec Parmenide) entre le connaissant et le connaissable pour que la connaissance se produise. C'est ce que signifie radage : Le semblable est connu par le semblable. 
Pour Empedocle, comme pour Heraclite la pens& demeure encore identifiee a la sensation, et le reel West considers que comme materiel et sensible. Pour eux les choses sont telles que nous le percevons par nos sens, c'est un realisme spontane. Thomas d'Aquin quelques siecles plus tard analysera la position des penseurs qui 1' ont precede et reconnaitra rapport d'Empedocle : on ne peut connaitre reellement que ce qui nous est semblable, c'est-d-dire une realite avec laquelle nous aeons quelque chose de commun. Cela est vrai, l'erreur crEmpedocle est d'avoir cru comme la plupart de ses contemporains que la chose connue existe en nous comme elle existe dans le monde ou en elle-merne : « Les anciens philosophes ont tits conduits a leur theorie selon laquelle l'ame connaissante est composee de tous les elements, parce que contraints par l'evidence sensible, ils entrevoyaient la verik comme dans un reve. Or la Write c 'est que la connaissance se .fait par la ressemblance du connu dans le connaissant. Malheureusement les anciens philosophes imaginaient gu .fallait que cette ressemblance du connu existe dans le connaissant selon l'existence que le connu possede en lui-meme. En effet, disaient-ils, it Taut que le semblable snit connu par le semblable. Par consequent, si 1. 'dine connalt toutes choses it faut qu'elle possede en elle-meme la ressemblance de toutes choses, selon l'existence naturelle, makrielle. Its ne savaient pas distinguer le mode d'etre de la chose dans 1 'intelligence, rwil ou l'imagination et le mode d 'etre de la chose en elle-meme. » (Thomas d Aguin. Commentaire du Traits de lAme) 
‘r Le semblable est connu par le semblable » Par cette formule, plus qu'aucun de ses predecesseurs, Empedocle met en lumiere cette notion d'une ressemblance, d'une similitude necessaire entre le connaissant et le connaissable. 11 s'agit la d'une mise en lumiere definitive des conditions de la connaissance. 

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Democrite (457-399) 
Democrite est ne dans la yule d'Abdere en Thrace, au nord de la mer Egee. Il s'attaque lui aussi au probleme de l'epoque : comment concilier l'unite et l'immobilite de l'etre avec la multiplicite et le mouvement que nous presence la nature ? 
C'est en scientifique qu'il aborde la question : it ne voit plus comme ses devanciers le monde comme un grand etre vivant anime de forces plus ou moms obscures et divines ; it le considere exclusivement comme de la matiere, et regi par les lois de la matiere. II constate que le mouvement existe, on ne peut le vier et que la multiplicite est egalement partout presente. Alors, ce grand tout du monde, 1'Etre un et eternel de Parmenide, it le divise, lui aussi, en une multitude de particules : les atomes, qui auront chacun separement tous les attributs de FEtre de Parmenide_ Chaque atome est un, inengendre, etemel et immuable. Chacun est l'Etre en miniature, et ids sont tous qualitativement egaux, faits de meme matiere, et ne se differencient seulement que par leur forme et leur grandeur. Its peuvent etre convexes, concaves ou munis de crochets, et de tailles differentes. 
Face a cet etre parcellise en une multitude d'atomes, Democrite pose le non-etre, le vide, afin qu'i1 y ait un &placement possible, et ici, it s'oppose a Parmenide pour qui cr Le tout plein d'être », egal en tout point de la sphere, interdit tout &placement et tout changement. 
De toute eternite les atomes chutent librement et indefiniment dans le vide, it se produit entre eux des chocs, des frottements, des rebondissements, des interactions et le mouvement initial se complique peu a peu pour devenir circulaire et tourbillonnant. II se constitue alors au gre de ces tourbillons des amas plus ou moms volumineux d'atomes : les atomes les plus lourds formant une sorte de noyau au centre de la sphere tourbillonnante, tandis que les atomes les plus legers se trouvent renvoyes a la peripherie. C'est ainsi qu'un monde se forme peu a peu. Une infinite d'autres mondes se constituent de la meme maniere en d'autres points de l'espace. Ces mondes n'auront qu'un temps et se desagregeront, car d'autres mondes ou des amas d'atomes pourront les percuter et les faire voler en éclat. Les fragments issus de ces explosions en s'agglornerant enfanteront de nouveaux mondes. La formation des etres vivants et de tout ce que contient la nature s' explique pareillement. 
L'univers est donc fait uniquement d'atomes et de vide, sa formation et son fonctionnement ne s'expliquent que mecaniquement, au gre de forces et d'assemblages geometriques. Nous sommes ici en presence de la premiere explication purement scientifique et materialiste de l'univers, explication qui pose an depart une matiere et un mouvement sources de tow les Otres et phenomenes de la nature. II n),, a ici aucune place pour les dieux, l'homme est seul face a l'univers. 

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s'agit d'un micanidsme atomistique, done Wm materialism. On emend par mecanicisme une explication de l'imivers ou sont dorm& d'emblee une matiere et tme force ou mouvement. Le mouvement est exterieur a la matiere cconsideree comme inerte. Un tel systeme s'oppose a Phylozoilme (du grec ule : inatiere et zeion : vivant) qui considere que toute matiere est vivante, et volt l'univers comme un grand vivant doue d'une Sine : Fame du monde_ 
Sa theorie de la connaissance 
Lame humaine est egalement constituee d'atomes plus subtiles et donc plus mobiles, car its sold ronds et lisses. Chaque objet emet ainsi des atomes subtils a sa ressemblance qui penetrent en nous par les pores de noire peau et reconstituent un double en miniature ou simulacre de l'objet dont ils proviennent Nous connaissons l'objet par son double present en nous_ Une double question objection s' impose ici * En quoi le fait d'avoir un double en soi de 1' objet fait-il que soit connu ? Nous ne connaissons pas necessairement tout ce qui est present en nous materiellement, I' experience quotidienne le prouve. * Si on admet que la connaissance soit ainsi possible, ce que l'on commit-raft ce ne serait pas l'objet lui-meme mais son double ou sa representation. Or connaltre la representation de quelque chose ce n'est pas connaltre cette chose elle-meme. 
D'autre part, Democrite semble preserver la multiplicite et la diversite des titres. Mais en realite si les differents objets qui peuplent le monde qu'il nous decrit semblent nombreux et differents, ils sont tous faits du meme materiau : les atornes4 et done tous de meme nature. Il en est ici comme de plusieurs objets faits de cuivre, ils sent multiples cedes, de formes differentes, mais fondamentalement de meme nature : si on les fond, ils constitueront a eux tous un lingot de cuivre, et Tien d'autre. Specifiquement rien ne les differencie. f? Plus ou moths d'une chose ne fait pas autre chose. o (HP). 
Avec Empedocle et comre Parmenide, Democrite of rime que pour connaitre, it suffit y ait une unite specifique entre connaissant et connaissance, soient 1' un et l' autre de meme nature. Mais i1 s'oppose I Empedocle en reconnaissant que la connaissance n'est pas inn& en nous, mais que nous devons l'acquerir. Connaitre ce nest done pas settlement etre semblable specifiquement a I'autre, mais c'est acquerir cette ressemblance. Et ici nous retrouvons nos intuitions du debut et nous devons reconnoitre qu'il a raison : la connaissance est ix' devenir, i1 y a un avant et un apres la connaissance. Mais si la connaissance consiste, quelque sorte, a devenir et etre route, cormne nous le disions aussi, l'erreur de Democrite est d' imaginer que devenir et etre l' mitre c' est le devenir et I' etre materiellement, scion son existence naturelle physique. 
4 11 faut noter que pour Democrite, seuls ics atomes sont des titres it part entiere, les differentes chows anim6es ou non que nous connaissons n' ont pas d'estre en elle-meme, dies ne sant pas reellement, elites ne sent que des agglornerats d'atomes, 

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Aristote conservera les intuitions de Parmenide, Empedocle et Democrite, mais ii montrera que la connaissance ne se reduit pas a tin phenomene physique. Le devenir et l'union du sujet connaissant et de I'objet connu, ne sont pas de nature physique. Et c'est ce que Thomas d'Aquin resumera en disant qu'iLs n'ont pas su distinguer dans l'acte de connaitre le mode d'être de la chose en elle-menze et le mode d'être de la chose en nous soit clans les sens soit dans l'intelligence. 
La connaissance est in devenir, il ne sunlit pas d'être semblable a Pobjet pour le connaitre, mais ii faut etre en sa presence et gull agisse stir nous pour que la connaissance se declauche. Par 11 Democtite met en lumiere tine des conditions indispensables de Ia connaissance. 
Anaxagore (500-428) 
Et void que maintenant surgit celui qui essaye, comme Empedocle et Democrite, de trouver une solution an dilemme de l'Un et du multiple, de l'immobilisme et du mouvement, et qui tente lui aussi d'hannoniser les exigences de la raison et les evidences sensibles de la realite quotidienne. Cet Homme, Anaxagore, natt vers 500 avant Jesus Christ a Clazomene, ville situde sur Ia cote Ionienne et a pro?dmite immediate d'Ephese, de Samos, de Milet et de Colophon. Tout jeune, it quitte sa vine natale pour s'installer Athenes, on avec lui, dira-t-on, la philosophie s'installe. Jusque la, en effet, l'ensemble des penseurs venaient soit de lonie soit de Grande Grece (L'Italie actuelle.) Athens est alors au sommet de son rayonnement culturel et artistique, bier que ravagee par des guerres contre les Perses ou entre les cites grecques elles-memeComme Socrate plus tard, Anaxagore sera accuse d'impiete pour avoir dit que le soleil n'etait qu'une « meule de pierre embrasee » et non tin dieu. II fut oblige de fair a Lampsaque en Ionie on it mourut 1' age de 72 ans. 
L'essentiel de sa pensee est contenue dans tin traite en prose : Physique, dont ne nous sont parvenues qu'une centaine de lignes. Avec Parmenide it professe Finite de l'etre qui ne peut ni rial.tre ni perk, avec Empedocle, it affirme que tout se fait et se defait par association et dissociation. Avec Democrite, enfin, ii auribue l'ensemble des mouvements a des causes mecaniques. 
Mais tine fois ces concessions faites a ses predecesseurs, it va dormer un élan nouveau et puissant a. Ia reflexion philosophique. Oui, au debut, dit-il, a toutes chases etaient ensemble et infusies en nuiltitude, aussi hien qu'en petitesse, mais aucune n'apparaissait distinctement a cause de cette petitesse. C'etait un melange confus de germes ne se ressemblant en rien les uns les warm Toutes choses etaient en repos etemellement Pour lui, it n'y a plus quatre elements, comme le voulait Empedocle, mais tine multitude infmie de particules, tellement minuscules qu'elles sont indiscemables a. l'ceil humain, mais visibles seulement par la raison.Ces particules sont faites de la matiere de chacune des choses existantes, iI y a done des particules de chair, d'artere, de cheveux, d'herbe, de pierce, de sang, d'or... et indefiniment de tout : e Tout est en tout h►, mais selon des proportions differentes, et ce sont ces proportions qui determinent la nature des choses. Ainsi, dans l' or c'est la quantite d'or qui domine, dans l'os la quantite d'os, 

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dans le marbre Ia quantite de marbre... 
Le a tout en tout » explique aussi Ia nutrition et la croissance : c'est parce que dans I'herbe que mangent les animaux ii y a des particules d'os, de sang, de chair, et de pails qu'ils peuvent grandir et se conserver. 
Au debut, donc touter choses etaient melangees et face a cette multitude infinie de la matiere, Anaxagore dresse l'Un, le non mélange, ''Esprit ou 'Intellect qu'il appelle le Nous : 11 est une chose infinie, maltresse absolue,seul it est en soi-meme et pour soi-meme,i1 n'est melange a aucune chose Et c'est l'Esprit, le Nous, cette intelligence separee de tout le reste donc de toute matiere, pur et sans melange ) qui commenca mouvoir les choses, N it y eut separation de tout ce qui se trouvait en nwuvement (_.) pour le mettre en ordre. ff 
C'est la premiere affirmation chez les grecs dune intelligence exterieure a Ia matiere, cause du mouvement et de l'organisation de la matiere. Anaxagore depasse Democrite qui ne trouvait a la nature que des causes mecaniques, it constate qu'il y a un ordre dans le monde et que nen ne nail du hasard ni de la necessite. Oui dit ordre dit intelligence, pease Anaxagore, et intelligence separee de ce qu'elle ordonrze.» (HP) Par la, it &passe Xenophane qui intuitivement proclamait un dieu unique intelligence puissante re qui d.onnait le branle a tout ». Mais le dieu de Xenophane etait inunerge dans le monde, comme une dine presente en tout Le Nous d'Anaxagore, au contraire, est separe de la matiere pour pouvoir la dominer et l'ordonner, ii est radicalement autre = it est pur et sans mélange c'est-a-dire immateriel. 
Le premier, Anaxagore, pan/lent a. distinguer l'esprit de la matiere, mais ensuite comme Demooite it retombe dans le mecanicisirne. Um l'impulsion initiate donee, une foil la nature ordonnee, tout s'explique par le seul jen des forces mecaniques, et c'est ce que Jul reprochera Aristote le Nous n'intervient que comme un dens ex mackina, lorsqu'll est a court d'explications. Cependaut 'Impulsion est donee : il n'y a pas au monde que des causes materielles : derriere le desordre apparent de la nature it y a de l'ordre, de 'Intelligence done de l'esprit. C'est cette vole ouverte par Anaxagore qu'emprtmteront et avec quelle fecondite Socrate, Platon et Aristote. 

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III — Des Sophistes a Socrate 
A partir de la deuxierne moitie du V° siecle avant J--C, on assiste en Grece a tin tournant spectaculaire de la pens& : ce n'est plus de l'univers qu'il est question, ni de sa constitution, de ses causes ou de son mode de fonctionnement, mais c'est l'homme qui devient le centre des reflexions ? On s'interroge sur sa place dans la cite, ses relations sociales, la defense de ses interets, le but de son existence, en un mot stir sa valeur propre. Cette nouvelle orientation de la pensee se concretise avec les sophistes et Socrate. 
1— Les Sophistes 
Ce sont eux qui detiennent le savoir et c'est leur metier de le transmettre, ce qu'ils font pour de l' argent. Ce sont aussi des penseurs, proposant leurs doctrines, allant de ville en vine, enseignant et confrontant leurs idees a celles des habitants de chaque cite. Its acquierent ainsi tin sens critique et repandent leurs idees et les idees a la mode. Ce sont les premiers professeurs an sens modeme du terme puisqu'ils se font remunerer, nouveaute qui fut mal vue de beaucoup de leurs contemporains et successeurs. Jusque la, en effet, ceux qui savaient recherchaient la sagesse, et s'ils avaient des disciples, c'est gratuitement qu'ils enseignaient. 
Les sophistes sont nombreux, ceux que l'histoire a retenu se normnent : Protagoras et Gorgias, pour les plus connus, mais it y cut encore Lycophron, Prodicos, Thrasymaque, Hippias, Antiphon, etc. 
Leur methode 
Athenes est une democratic, et la loi impose a celui qui a un proces ou qui brigue une magistrature de presenter lui-rneme sa defense ou son programme electoral, pour cela it est imperatif de savoir puler en public et de posseder la technique et l'habilete qui pen-nettent de convaincre. Les Sophistes sont done avant tout des maitres de rhetorique et d'eloquence en vue du succes. 
Ce sont aussi des hurnanistes : ce qui les interesse, c'est tout ce qui concern la vie sociale et civique de leurs contemporains. Ce sont d'ardents defenseurs des arts et des techniques, et ils font eux-memes des travaux sur la grammaire (Protagoras) ou stir les synonymes (Prodicus) sans compter les progres qu'ils font faire a la rhetorique et a I'art du langage en general. IN affirment aussi l'autonomie de l'homme face a la loi et a la politique, qu'ils considerent comme une creation humaine arbitraire et artificielle et s'oppose a la nature. Quant aux dieux its se montrent le plus souvent sceptiques a leur egard. 
Protagoras (vets 490-420 ou 411) 
II tande sa pensee sur celle d'Heraclite qui disait : rr Tout coule, tout s'ecoule, rien ne demeure ». Comme lui, it pense que le monde n'est qu'un changement continue!, tine perpetuelle transformation. Dans un tel univers, it est impossible de rien affirmer, les seules chases que je peux dire dependent done entierement de moi et de la vision que j'ai d'elles. Je peux ainsi dire qu'il fait chaud dans eette piece, mais celui qui est malade dira qu'il fait froid, car it grelotte de fievre. Je peux trouver telle personne laide et mon ami la dira belle, ou encore cette boisson me brille alors que mon voisin de table la trouve froide, 

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etc. Qui dit alors la verite ? Chacun de nous, car toutes ces qualites contraires existent ensemble dans les chosen_ 11 reprend l'idee d'Anaxagore : tout est en tout, et Platon lui fera dire dans un de ses dialogues : Rien n'esf soi-meme par soi-meme, 1117. » La verite au sens ou nous l'entendons s'evanouit puisque tout &re n'etant qu'un tissu de contradictions, s'identifie momentaneinent et successivement avec chacune de ses apparences fugitives. 
Done, affirme Protagoras, K L'hontnte est la ntesure de toutes choses, des chases qui sont (..) et des choses qui ne sont pas. ce qui veut dire que si la boisson me Wilk alors que mon voisin la trouve froide c'est qu'elle est a la fois chaude et froide, ces deux qualites coexistent en elle maintenant, et nous avons tous les deux raison : les choses sont telles qu'elles nous paraissent et telles que nous les percevons, et peu impute si nos avis different. A chacun sa verite, la chose est vraie puisque je la percois telle et l'autre a egalement raison Iorsqu'il affirme le contraire_ 
La connaissance est clone identifiee a la sensation : l'objet est tel que nous le percevons, mais en toute chose, dit Protagoras, ii existe toujours deux logos (ce que l'on pout en dire) qui s'opposent Fun a l'autre. Dans chaque objet on decouvre une serie de propositions opposees (doux-amer, chaud-froid, grand-petit, beau-laid, etc.) ce qui signifie que l'objet est a la fois l'un et l'autre, scion ce que chacun ressent, mais en fin de compte on est incapable de rendre compte de ce qu'iI est reellement. La connaissance est condamnee a rester ambigue et relative. 
Gorgias (490- vers 390) 
Pour lui rien n'existe et si par extraordinaire quelque chose existait, nous ne poun-ions rien en dire, et meme si nous le connaissions nous ne pourrions pas le communiquer aux autres. 11 s'oppose ainsi a Pannenide qui proclamait : l'Etre est un, immuable, eternel, semblable a une sphere immobile.» II lui est facile de relever les contradictions de cette position et du coup, il fait du neant la valeur supreme, et introduit ses auditeurs au scepticisme 
Le discours a une valeur supreme et il lui accorde <c autant de puissance qu'aux dieux, l'amour ou a la violence » (P-B Grenet) : « Le discours est tine grande puissance, lui qui avec un corps tout petit et tri?s peu visible, acconplit des (euvres vraimeni dipines H II y a le mente rapport entre la puissance du Logos (discours) et l'ordonnance de ?Arne qu 'entre l'ordonnance des remedes et la nature du corps. 
C'est done le discours qui expiime le mieux la verite et qui l'exprimera d'autant mieux sera fort, c'est-a-dire capable d'entrdiner l'adhesion de tous par l'emotion. Un tels discours, dit Gorgias, est un veritable medecin des dines puisqu'il les sort de Fincertitude a laquelle elles sont condamnees, en les entriinant a adopter un point de vue determine. 
Si avec Protagoras la verite devient relative donc s'evanouit, Gorgias va plus loin encore et conduit an scepticisme complet : nous ne pouvons en realite rien affirmer, ici aussi la verite disparait et devient inaccessible a l'homme. 

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Cette nouvelle maniere de penserdes Sophistes aboutira au debut du IV° siècle au cynisme politique, le pouvoir n'etant plus qu-un moyen de satisfaire une ambition (Alcibiade) et a une parole consideree comme un pur jeu intellectuel , le discours ne valant que par sa virtuosite et son efficacite, consequence d'une demarche menee non vers la recherche de la verite mais vers le succes. 
2 — Socrate 
11 est ne a Athenes vers 469, son pere etait scuipteur et sa mere sage-femme. 11 est de famille modeste, marie it a trois fils dont deux seront encore petits an moment de sa mort. II est laid, mais ce qui le caracterise c'est le courage dont it fera preuve tout an long de sa vie, courage physique d'abord : par deux fois it participe aux conflits militaires et it sauve sur le champ de bataille son ami Alcibiade, sa bravoure restera legendaire, courage moral ensuite : a deux reprises et a des periodes troublees, it s' opposera au pouvoir en place pour ne pas commettre d'injustice et cela au peril de sa vie. 
Toute sa vie, it parcourt les rues d'Athenes enseignant les jeunes gens et dialoguant avec les notables, it a tout d'un sophiste, it semble utiliser les memos methodes et pourtant it en differe profondement car it recherche la verite et it a des convictions qu'il paiera de sa vie. 
Sa pens& 
Sa pens& se presente comme une double quete : celle de la verite et celle de l'universel. 
Recherche de la verite. Lors de son proces, Socrate raconte qu'un jour l'oracle de Delphes, la Pythie sur son trepied, repond a celui qui lui demandait quel etait le plus sage des hommes : o Il n 'est personne au monde de plus sage que Socrate ». Socrate fut stupefait de cette reponse : o Que vent dire le dieu, se demanda-t-il, car moi j'ai conscience de n-etre ni sage 121 peu ni beaucoup et pourtant le dieu ne peut mentir.»11 se rend donc aupres des hommes politiques, des savants, et des poetes et it les interroge, it s'apercoit que malgre les apparences, ces hommes ne sont que des personnages ordinaires de peu de savoir et de sagesse. 
En s'en allant, it comprend qu'il est encore plus sage qu'eux, non par le savoir, mais parce qu' eux croient qu'ils savent quelque chose, alors que lui suit qu'il ne salt rien Et c'est la premiere verite qu'it decouvre et qu'il 'a s'attacher a faire decouvrir aux autres avec une ironie decapante. Il se fera ainsi des ennemis tout au long de sa vie. Par ses questions, it oblige chacun a se contredire et a decouvrir qu'en realite it ne sait rien. En voici un exemple rapporte par Xenophon6 : 
- « Vous savez sans doute ce qu'est une denwcratie ? demanda-t-il a Euritheme. - Je le sais fort hien. - Croyez-vous snit possible de connaltre la democratie sans connaitre le people 
5 Alcibiade : Eleve de Socrate et general athenien, chef du parti democratique it entraina sa patric dans l'aventureuse expedition de Sicile (415). Accuse de sacrilege, it du s'enfuir et mourut assassins en exil. 6 Xenophon (v. 430-v.355 av J6C)) Philosophc et homme politique, it fut disciple de Socrate et ecrivit un traits consacre a celui-ci : Les Memorables. 

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 Croyez-vous qu'il snit possible de connaltre la democratie sans connaitre le peuple ? - Je ne pense pas. Qu'est-ce que vous appelez le peuple ? - Les eitoyens pauvres. - Vous savez qui sons les pauvres ? - Comment l'ignorer. - Et ce que c'est que les riches ? - Tout aussi bien. - Qui appelez-vous pauvre, qui appelez-vous riche ? J'appelle pauvre ceu-v qui Wont pas assez pour les depenses necessaires et riches emu: qui ant plus qu'il ne leur faun - Avez-vous remarque que certaines gens n'ayant que pen de chases, en ant cependant assez et font encore des epargnes ; et que d'autres avec de Brands biens n'ont pas le necessaire ? - Cela est certain (...) je sais meme des souverains a placer dans la classe du peuple ; et des gens qui possedent peu mais qui savent economiser seront comptes parmi les riches... Euritheme n'a plus qu'a s'en alter desoriente et ebranle dans ses convictions. 
Le but de Socrate est-il de proclamer le scepticisme universe! comme les sophistes ? Non, il s'agit pour lui d'accoucher les esprits de la verite qu'ils possedent sans le savoir, et de faire decouvrir a chacun qu'il ne sait rien : ( Connais-toi tai-metre ». Tu ne sais rien, je ne sais rien non plus, mais cherches la verite comme je le fais moi-meme. 
Recherche de l'universel A la difference des sophistes, Socrate n'enseigne pas puisqu'il ne sait rien, mais it aide les autres a decouvrir la verite. 11 demolit leurs fausses certitudes et les met dans l'embarras. Lui-meme affirme : ne salt rien d'autre que les chases de l'ainour ». Cette verite qu'il cherche et qu'il aide les autres a chercher ce nest pas la verite de run ou de l'autre en particulier, ce n'est pas une verite subjective ou opportuniste, c'est l'universel. Ce qu'il cherche, en fait, c'est le Bien absolu, le Beau absolu, valeurs permanentes sur lesquelles chacun doit fonder sa vie pour etre un homme digne de ce nom. Si nous nous trompons et si nous faisons le mal, dit Socrate, c'est parce que nous sommes dans rignorance l'homme doit continuellement chercher la verite pour vivre bien. Si pour les sophistes le langage est mercantile et purement utilitaire, pour Socrate le langage est le chemin qui conduit a la verite, la verite universelle, l'Absolu, ce que chacun se doit de rechercher pour vivre mieux. Socrate aime tellement la verite qu'il mourra a cause d'elle. 
A partir de Socrate, on pressent de mieux en mieux qu'au-dela du monde visible, it existe peut-etre d'autres realites invisibles, probablement plus vraies et plus certaines que les choses materielles soumises au changement permanent. C'est cela que Socrate a cherche toute sa vie et it a ouvert ainsi la voie dune rnaniere magistrale a ces geants de la pensee que furent Platon et Aristote. 

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Pour Aristote, la matiere n'est pas l'etre, le principe unique des choses. La matiere n'est pas un etre existant a part. Comme la forme elle n'est pas un etre, mais un principe d'etre. 
Aristote retient donc la notion d'idee-forme de Platon, mais it ne fait pas de !Wee, un etre a part entiere existant de facon autonome et a Pecan des realites materielles. I1 soutient, au contraire, que l'Idee-forme, oufornte, comme i1 l'appelle plus simplement, est presente en chaque chose existante. 
Cela est tres important en ce qui concerne la connaissance, car cela signifie que tout objet existant, tout 'etre, possede en lui-meme son intelligibilite, donc qu-il peut etre compris et connu par notre intelligence. Nous pouvons donc le connaitre reellement. Et ce qui le prouve, c'est que, depuis les temps les plus anciens, les hommes ont etudie la realite, persuades de pouvoir la connaitre et la comprendre au-dela de ses aspects exterieurs (sensibles). Et l'effort scientifique d'aujourd'hui et ses succes, confirme bien que les etres naturels sont intelligibles en eux memes. Bien sur, la connaissance que nous en avons est plus ou moins parfaite, mais elle est reelle, et demande a etre approfondie toujours davantage. 
Aristote va donc rejeter les theories qui font soit de la matiere soit de l'Idee-forme des etres a part entiere. Matiere et forme sont des principes d'être, repete-t-il constamment, ils n' existent jamais a l'etat separe, et c'est bien ce que l' experience confirme. En effet affirmer 1' existence d'Idees-formes a l'etat separe est bien difficile, et il est encore plus difficile de concevoir l'existence d'une matiere sans forme, c'est a dire sans determination aucune. Toute matiere que nous rencontrons est matiere de quelque chose : de l'eau, du silex, de la rose, de la mouche, du chat, ou de l'homme. Et cette matiere est manisee selon un modele bien demi qui fera qu'elle sera la matiere caracteristique de l'eau, du silex, de la rose, de la mouche, du chat, ou de l'homme. Et si on analyse une portion infime de matiere provenant de l' un ou l'autre de ces etres, on pourra en reconnaitre a coup sin- sa nature : ce sera la matiere de l'eau, ou de la rose ou de l'homme, car la matiere n'existe clue deterininee par telle ou telle forme. La matiere a l'etat pur, sans forme, sans organisation, donc purement indetenninee n'existe pas dans la nature. On peut toujours discerner dans la matiere, meme quand elle est divisee a l' extreme : des electrons, des atomes, des molecules, des ondes, de l'energie, etc. L'analyse scientifique peine a penetrer l'infiniment petit de la matiere, mais elle reconnait son organisation et la nature de ses composants. 
Si, ni la forme ni la matiere n' existent a 1' etat separe, elles existent ensemble en chaque etre concret, et Aristote dit que chaque etre n'est pas une association ou une juxtaposition, mais, un compose de forme d de matiere. Compose indissoluble tant que cet etre existe. 
Pour lui, et il ne cesse de l'affirmer, l'etre est un. Supposer qu'en lui matiere et forme soient juxtaposees ou simplement associees, detruit l'unite de l'etre. Une juxtaposition, un assemblage peuvent toujours se dissocier et chacun des elements n'est alors ni detruit, ni denature pour autant. Mais separer les elements qui composent un 'etre naturel et le font etre ce qu'il est, revient a. le detruire. En effet, si d'un etre naturel je supprime la forme, il disparait totalement puisqu'il n'y a pas de matiere sans forme, et si de ce meme etre nature!, donc materiel, je supprime sa matiere, it n' en reste rien, it disparait egalement, it n' est plus. 

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Ainsi done, la forme donne a la matiere le statut d'existence dont elle est le principe formel. C'est la forme qui donne Pete a une matiere, done a un individu naturel et concret, quel qu'il soit. Et c'est cet individu seul qui a l' titre, qui existe, matiere et forme n'etant que les principes de son 'etre. 
Forme et matiere sant done correlatives l'une a l'autre et se donnent mutuellement existence. L'une ne peut exister sans l'autre, et c'est leur existence commune, leur composition qui donne existence et unite au mixte ontologique qu'est tout etre naturel et concret. « Matiere et forme constituent un seul etre, parce que depourvues l'une et l'autre d'existence propre, elles communient l'une et l'autre en une existence unique qui les realisent a la fois : la matiere n'a d'existence que par et sous la forme qui la lui donne, et la forme n'a d'existence que parce qu'elle est l'existence en acte de la matiere. Elles n'ont done qu'une existence commune : celle 'Willie de l'etre individuel, naturel et concret qu'elles constituent ensemble ». (HP) 
La notion de forme chez Aristote appelle une precision supplementaire, car it pule twit& de forme substantielle, twit& de forme accidentelle. 
- La forme substantielle est celle qui donne absolument l'etre, l'existence, a un etre naturel et concret. On dira ainsi la forme du schiste, la forme du chine, du chien, ou de l'homme. - La « forme accidentelle est celle qui donne a un 'etre nature!, déjà existant et compose de matiere et de forme, une nouvelle maniere d'être dont it etait en puissance. Ainsi un bloc de marbre est un compose de matiere et de forme en acte, auquel le sculpteur va imposer laforme accidentelle « statue » dont ce marbre etait en puissance. 
Cette maniere de concevoir la nature s' appelle l'hylemorphisme2 dont l'essentiel s'exprime ainsi: c'est la forme et non la matiere qui donne Titre, l'exister, l'existence a tout individu naturel et concret. C'est la forme et non la matiere qui donne l'etre a tout individu naturel et concret, puisque en donnant l'etre a la matiere, elle donne l'etre au mixte ontologique qu'est tout individu naturel et concret. On comprend alors, pourquoi Aristote rejette les theories de la connaissance elaborees par les physicistes ou mecanicistes 3 qui, affirmant que tout n'est que matiere, et que c'est la matiere seule qui donne l'etre, en deduisaient que la connaissance n' est qu'un phenomene materiel. 
Ainsi Empedocle, qui disait que pour qu'il y ait connaissance, it faut que le connaissant et le 
2 Du grec hule : matiere et morphe : forme. Hylemorphisme signifie la forme dans la matiere. 3 Le mecanicisme est un naturalisme qui n'admet rien en dehors de la nature (physis) pour expliquer le monde et ce qu'il contient, et refuse un principe transcendant, cause universelle et principe de tout. Dans le mecanicisme on se dome deux elements premiers, la matiere et le mouvement auquel on en ajoute un troisieme, le vide. (Theorie de Democrite ou de Leucippe. 

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connaissable soient de meme nature materielle : « C 'est parce que nous sommes fails de terre que nous connaissons la terre, d 'eau que nous connaissons l 'eau, de feu que nous connaissons le feu etc. A cela, Aristote repond que connaitre ce n'est pas avoir en soi une matiere identique a ce qui est connu, ni recevoir en soi la matiere du connu. 
De plus, notre Arne, qui commit, n'est pas faite de terre, d' eau de feu ou d' air. Elle n'est pas materielle et si elle l'etait, le fait de recevoir en elle des elements materiels venus du dehors, l'obscurcirait plutot que de les lui faire connaitre : « On n'a pas une Pierre ou un homme dans l'eline 
Democrite qui disait que pour connaitre it faut que le connaissant recoive en lui un double minuscule du connu (une idole). Ici la reponse est la meme; connaltre ce n'est pas recevoir en soi une copie materielle de 1' objet et l'assimiler comme lorsque l' on mange. Et meme si cela etait on ne connaitrait alors que la representation de l'objet mais non l'objet lui-meme. Or connaitre une chose ce n'est pas connaitre sa representation ou son double, mais c'est connaitre la chose elle-meme.  
Inversement Aristote maintient que connaltre c'est devenir en quelque sorte l'autre, tout en respectant son autonomic et son individualite, c'est a dire en le laissant 'etre lui-meme, ce n'est donc pas se l'assimiler. Connaitre c'est devenir l'autre en recevant en soi ce qui le fait etre ce qu'il est. Or, Aristote et plus tard Thomas d'Aquin, ne cessent d'affirmer que : ce n'est pas sa matiere qui fait qu'une chose est ce qu'elle est, mais sa forme. Car c'est la forme qui donne etre et existence a tout 'etre, donc a tout compose de matiere et de forme, c'est donc la forme qui qualifie la matiere de cet etre la, et le fait etre ce qu'il est dans toutes ses determinations. 
Ainsi donc connaitre l'autre, c'est grace aux sens, recevoir les formes sensibles (les caracteristiques physiques), et grace a l' intelligence recevoir la forme de l'autre, mais sans en recevoir aucunement la matiere. - les formes sensibles expriment la maniere d'etre de la chose. - la forme intelligible ou substantielle expiime l'etre meme de la chose, sa nature radicale, ou son essence ; ce qui fait qu'elle est substantiellement de telle ou telle nature : atome, caillou, sauterelle, chene, chien, ou homme. 
On voit par la, que la connaissance n'est pas un phenomene d'ordre physique, mais d'ordre formel. S'il en est ainsi, on peut affirmer que la matiere du connaissant et la matiere du connaissable sont etrangeres au processus de la connaissance. 
La connaissance n'est donc pas un phenomene materiel 
3 - Les quatre causes 
Apres avoir defini la nature comme principe et cause de tout ce qui existe physiquement, et apres avoir demontre que tout etre naturel est un compose de forme et de matiere, Aristote passe a l'etude des causes de la nature, et des causes a l'ceuvre dans la nature. On retrouve ici son souci permanent d'acceder a une connaissance la plus complete possible. A chaque fois, precise-t-il, pour bien connaitre une chose it faut en decouvrir le ou les principes, c'est a dire son origine  ou sa cause pour ensuite en comprendre la raison et la destination. I1 n'est jamais suffisant de decrire, d'analyser ou de dissequer les choses pour decouvrir comment elles sont faites et comment elles fonctionnent, it faut aussi, et c' est essentiel, decouvrir leur raison d'etre, c' est a dire pourquoi et en vue de quoi elles existent. 
Pour cela donc: (Il faut faire porter l'examen sur les causes, rechercher ce qu'elles sont et leur nombre Puisque noire etude a pour objet le connaitre et que nous mimes ne croyons connaltre rien avant d'en avoir saisi chaque foil le pourquoi N (Phys. II, 3) 
II y a quatre causes : nous avons tendance, en general, a ne trouver comme cause a une chose ou a un evenement que celle qui nous paralt la plus proche et la plus evidente.Aristote montre que note recherche est trop hative et manque de penetration, car, lui decouvre dans la nature et tout ce qui advient quatre causes: la matiere, la forme, Pagent et la fin. 
- La cause materielle 
« ...la cause est ce dont une chose est faire et qui y demeure immanent, par exemple l'airain est la cause de la statue et l'argent de la coupe » (Phys. IL 3) En effet, tout ce qui nous entoure et que nous connaissons est fait de matiere, c'est elle qui agit sur nos sens, et si les objets n'etaient pas materiels nous ne les connaItrions pas, puisque toute connaissance, pour nous, part des sens. Prenons l'exemple d'Aristote : celui de l'architecte qui construit une maison, ou du statuaire qui fait une statue, si le premier ne reunit pas les materiaux necessaires a la construction et si le second ne dispose pas d'airain, i1 n'y aura ni maison ni statue. Les exemples utilises ici concement des etres fabriques par l'homme ; mais on voit bien qu'il en est de mime pour les etres naturels physiques, ils sont faits de matiere : si la matiere de l'eau, du caillou ou du chine disparalt, it n'y a plus ni caillou, ni eau, ni chine. Donc la matiere est bien cause de ce qui existe. Sans matiere: pas d'etre materiels et concrets. 
- La cause formelle 
La cause o en un autre sens c'est la forme et le modele, c'est a dire la definition de la quiddhe 4 et ses genres. » (lb id) Si la matiere est necessaire pour qu'existe naturellement une chose ou pour en produire une, elle ne suffit pas, car on l'a vu, la matiere n'existe jamais a l'atat brut et indetermine. Nulle part nous ne rencontrons en ce monde de matiere sans forme. 
Si l'architecte n'organise pas les materiaux scion un plan précis, done scion une forme, un idee ou une definition, (l'idee d'abri) it n'y aura jamais de maison, mais tout au plus un tas informe ou une collection de materiaux, mais en aucun cas une maison. Si le statuaire ne coule pas le bronze ou l'argent dans un moule concu par Partisan, it n'y aura ni statue, ni coupe, mais seulement un lingot de metal. Donc la forme qui organise la matiere, qui lui donne une unite substantielle ou accidentelle, pour la faire etre ceci ou cela, est bien une cause indispensable a tout ce qui existe. Comme on l'a vu dans l' etude de la nature, ces deux causes, forme et matiere, sont correlatives l' une a 1' autre. Elles s'appellent et s' exigent l' une 1' autre: it n'y a pas dans la realito concrete de matiere sans forme, pas plus qu'il n'existe de forme dans matiere. 
4  Quiddite: ce que nous connaissons de l'essence d'une chose en repons a la question : quid (qu'est-ce que c'est?)  
- La cause efficiente ou cause motrice 
En un autre sens (la cause), c'est ce dont vient le commencement du changement; par exemple l'auteur d'une decision est cause de cette decision, le pere est cause de l'enfant, et en general l'agent est cause de ce qui est fait, de ce qui produit le changement, de ce qui est change. o (Ibid) 
Cette troisieme cause, appelde habituellement cause efficiente, est celle que nous retenons le plus souvent comme cause de ce qui nous entoure et se produit, car c'est la plus apparente et la plus immediate. La cause immediate, donc efficiente, de la maison, c'est le macon et tous les autres artisans qui reunissent les materiaux et construisent avec eux la maison. La cause de la statue c'est le statuaire qui fond le metal et le coule. Dans la generation, la cause de l'enfant ce sont ses parents. Sans ces causes efficientes, it n'y aurait ni maison, ni statue, ni enfant. La cause, ici, est exterieure a l' titre cause alors que les deux premieres causes, matiere et forme, lui sont intrinseques. Aristote montre bien ainsi l'interaction generale gull y a dans la nature entre les differentes realites: tout est lie, rien ne peut exister, se faire, ni advenir par soi-meme, sans intervention d'un autre. Il met en evidence ainsi le grand principe que rien ne passe de_soi-meme de la puissance a l'acte. II faut un agent en acte, c'est a. dire une cause efficiente qui fasse passer ce qui change ou ce qui advient de la puissance a l'acte. Ici c'est le macon qui fait passer les materiaux en puissance de devenir maison a. l'acte d'être maison construite.C'est le feu, chaud en acte, qui fait passer la main froide a. etre chaude en acte, c'est la professeur, en acte latiniste, qui fait passer l'eleve de l'ignorance a la connaissance du latin. 
- La cause finale 
La cause, « en dernier lieu, c'est la fin, c'est a dire k cause finale: par exemple la sante est cause de la promenade; en effet pourquoi se promene-t-il ? C'est dirons-nous pour la sante, et par cette re'ponse nous pennons avoir donne k cause. » (Ibid.) 
Cette derriere cause est la plus importante de toutes, bien qu'elle semble souvent peu evidente. Reprenons les exemples d'Aristote : dans le cas de la maison a construire, si l'architecte n'a pas l'intention de construire une maison, it n'y aura jamais de maison, ni de materiaux reunis, ni de plans, ni d' artisans recherches et mis en action. Dans le cas de la statue, si l'artiste n'a pas le projet et l'idee de la statue a realiser, it n'y aura pas de bronze recherché et achete, it n'y aura pas de modele ni de moule realise et encore moins d'artisan a l'izeuvre pour fondre et par le metal. 
La cause finale, c'est a dire le but recherché, le projet, l'intention, est donc la cause de toutes les autres causes: materielles, formelles, et efficientes. Cela est evident en ce qui conceme les titres accidentels faits de main d'homme, ce l'est peut-etre moins pour les titres naturels. Ici la conclusion depend d'une attitude contemplative profondement realiste face au monde. Si nous sommes capables d'y reconnaltre une ordre et une harmonie independants de nous, nous sommes alors contraints d'admettre, avec Anaxagore, une intelligence a l' origin de cet ordre, car qui dit ordre dit intelligence, et nulle intelligence n' agit pour rien, n'ordonne pour le plaisir d' ordonner, ce serait absurde et ce ne serait plus alors le fait d'une intelligence. L'intelligence agit toujours en vue de quelque chose, et ce quelque chose c'est la fin, c'est a dire la raison d'être de chaque chose et de chaque etre. 

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ne faut cependant pas imaginer dans le deroulement des evenements naturels une intention exterieure a l'ceuvre dans la production de chaque nouvel etre ou de tout changement. Les etres naturels ont en eux une multitude de puissances et, tout mouvement, changement, ou production n' est que le passage de la puissance a l' acte de ces &res. La nature se transforme et vit selon ses propres determinismes et selon son ordre propre sans qu'il soit besoin d'y voir une action venu de l'exterieur, mais it faut par contre affirmer l'existence d'une finalite propre l'ensemble de la nature, et a chaque etre particulier qui la compose. 
On comprend alors que, non seulement la cause finale est la cause de toutes les causes, mais aussi, qu'elle est a la fois l'origine et le but de tout ce qui existe et advient. 
Les trois premieres causes repondaient a la question comment ? - comment cette chose est-elle constituee, c'est a dire de quoi se compose-t-elle ? Cause materielle - Comment est-elle organisee et fonctionne-t-elle ? Cause formelle - Comment est-elle venue a l' existence ? Cause efficiente 
La cause finale, seule, repond a la question la plus importante : pourquoi ? Et elle seule precise l'origine et la fin de tout ce qui existe, son principe et sa raison Tete. Ainsi la maison tire son origin de la pens& de l'architecte, de son idee de maison, et elle existe en vue d'abriter quelqu'un. On comprend donc, alors, que la cause finale est la cause de toutes les causes, et qu'elle est aussi le principe et le but de tout ce qui existe.5 faut encore preciser que, de meme que les causes materielles et formelles sont correlatives l'une a l'autre et intrin,seques a l'etre, de merne les causes efficientes et finales sont correlatives entre elles Toutes deux sont des causes extrinseques a l'etre et an changement dont it est affecte, et elles ont entre elles un caractere de reciprocite: l'une ne va jamais sans l'autre. Ainsi, dans le cas de la maison, i1 faut que l'architecte ait eu l'idee et fait les plans de la maison pour que le macon se mette a l'ceuvre, reciproquement it faut que le macon construise la maison pour que la cause finale se realise et que la maison soit construite. L'une est donc bien cause de l'autre: elles sont donc bien reciproques et correlatives rune a l'autre. 
Cette etude des causes montre pourquoi Bien des penseurs ant pu etre conduits a l'erreur en n'acceptant comme cause que les causes materielles et efficientes et en meconnaissant les cause formelles et finales dont on a vu l'importance. Une telle attitude est coherente avec une conception toute materialiste du monde, mais si on rejette le materialisme it faut absolument redecouvrir l'ensemble des quatre causes, leur interaction, et leur reciprocite ; sinon on aboutit comme le montre une certaine pensee modern a une vision du monde et de l'homme totalement absurde et privee de sens. 
5 o L'etre en acte dont la realisation constitue le terme du changement qui n'aura lieu que par la cause efficiente s'appelle LA FIN du changement parce qu'avec sa realisation ce changement sera o fini » au determine. Mais ce changement n 'existe qu'en etant dirige ou oriente vers cette fin car s'il n'etait dirige vers rien it n'y aurait aucun changement. » (Jean Daujat. Y a-t-il une verite ? p.86) 

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4 - Puissance et acte 
Avant d'exposer ce que sont la puissance et I'acte pour Aristote i1 faut preciser le sens précis qu'il donne a ces mots. - Puissance ne signifie pas comme dans notre langage courant: force et pouvoir. La puissance selon Aristote, c'est l'etat d'être, ou une maniere d'être non realises, mais pouvant etre realises. Ainsi un chaton est en puissance d'etre un chat adulte, un enfant ignorant est en puissance d'être savant, le bois est en puissance de briller. - Acte ne signifie pas agir, ou resultat d'une action. L'acte scion Aristote c'est la realite existentielle d'un etre, ou une maniere d'etre effectivement realisee. Ainsi le chene est en acte parce qu'il existe, la maison construite existe, elle est donc en acte, mon voisin existe, il est vivant, il est en acte. Devenir mere, pour une femme, c'est acquerir une nouvelle maniere d'exister: elle est mere en acte, mais avant la conception de on enfant elle ne l'etait qu'en puissance. 
Cette etude de ce qui est mu , donc de l'ensemble de la nature et de I'univers, a montre les principes, les conditions et les causes du changement, et tout au long elle a fait appel aux notions de puissance et d'acte qu'il faut definir maintenant. Aristote a toujours le souci d'analyser avec precision et de fawn exhaustive, ce qui fait la realite exacte et profonde de chacun des titres que nous sommes ou qui nous entourent, et pour atteindre cette profondeur it va, on l'a vu, jusqu'au point de vue metaphysique, c'est a dire jusqu'aux principes propres de ce qui est. Ii distingue ainsi l'etre substantiel et l'etre accidentel, les categories de l'etre, la forme et la matiere, et enfin l' acte de la puissance, qui resultent directement de son etude du mouvement, et de la structure matiere-forme de chaque etre concret. 
La matiere est pure puissance, c' est a dire qu'elle est apte a revetir nsimporte quelle forme. En elle menme, elle n'est rien concretement, tant qu'elle n'est pas unie a une forme, et actuee par cette forme, car il n'existe nulle part de matiere sans forme. On peut donc dire que la matiere, en elle-meme, n'existe pas a l'etat brut et indifferencie, elle n'existe qu'unie a une forme qui la fait etre tel etre precis : marbre, rosier, escargot, cheval, ou homme. 
Cependant la matiere n'est pas rien, car elle est en puissance d'être ceci ou cela. Il y a ainsi une grande difference entre le neant pur et simple et la matiere: element metaphysique capable de devenir le constituant materiel de telle ou telle chose. La matiere est donc puissance, et puissance toute relative a l'etre, toute dependante de l'etre puisqu'elle est en vue de l'etre. 
Donc, la matiere substrat, la matiere premiere n'est pas un corps, elle n' a pas d' existence concrete, elle est un pur indetermine, puisqu'elle est capable de revetir toutes les formes possibles d'existence. Elle est correlative a la forme. A elle seule elle n'est que pure puissance. Elle n'est cependant pas rien, elle n'est pas neant, elle est toute relative a rare. Aristote dit qu'elle aspire a la forme i comme la femelle qui desire le male, comme le laid qui aspire au beau. » (Ib id) 
Pour Platon, comme pour Parmenide, la matiere etait un non-etre, inintelligible en soi. Pour Aristote, au contraire, la matiere est pure puissance toute ordonnee a l'etre, et en ce sens elle est intelligible, et ale manifeste que le monde physique est tout entier soumis au devenir et au changement. Car la matiere, en elle-meme, est instable, nous le constatons quotidiennement : tout change, tout se transforme, tout disparait, tout est apparu un jour, tout se corrompt. Mais ce qui change, ce qui se transforme, ce qui apparalt, c'est d'abord et avant tout de la matiere qui a revetu ou acquis une forme nouvelle dont elle etait en puissance. 

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    La forme, quant a elle, donne l'etre et l'existence, elle actue la matiere et la fait devenir matiere dune chose determine. Si la matiere est puissance, la forme est acte. Tout etre est donc un compose de puissance et d'acte, comme it est un compose de matiere et de forme. C'est en ce sens qu' on dit que Paine est l'acte du corps, car c'est elle, en tant que forme substantielle, qui le fait exister concretement, qui le fait etre en acte. 


      Definition de l'acte et de la puissance 
* La puissance est done, selon Aristote, une disposition naturelle dun changement ou encore un pouvoir de changement qui peut se realiser ou non. 


     C'est une disposition naturelle : c'est a. dire que cette disposition, cette puissance resulte de la nature de la chose capable de changer. Une chose ne se transforme pas n'importe comment ni en n'importe quoi : l'eau ne bout qu'a 100 degres, l'homme n'engendre que des hommes et pas autre chose

     La puissance tend toujours vers une forme determinee, par exemple la chaleur, le savoir, l'etat adulte, ou un nouvel etre engendre. Mais pour que le mouvement vers une forme dorm& snit possible it faut existe dans le sujet qui change ou se transforme une disposition naturelle a cette forme, et cette disposition resulte de la forme substantielle du sujet. La forme substantielle, en effet, donne l'etre et l'existence a la chose, mais elle en est aussi le modele ideal. Quand done, la forme actue une matiere pour former un compose de matiere et de forme, elle perd de son amplitude pour n' etre plus que la forme d'un etre précis, avec les determinations qui lui sont propres, et tout ce qui en lui n'est pas realise de ce qu'implique la forme, constitue les puissances de cet etre-la. Ainsi un homme est en puissance di aimer, d'engendrer, d'acquerir tel ou tel savoir, de tomber malade ou de guerir, etc., car tout cela fait pantie de la nature humaine Mais i1 ne sera jamais en puissance de fondre a. la chaleur comme un metal, ou de voler comme un oiseau, ou de vivre dans l'eau comme un poisson, car ces facultes ne resultent pas de la nature humaine, done de la forme substantielle homme. 


* L'acte " L 'acte, donc, est le fait pour tine chose d'odster en rialite et non de la facon dont nous disons qu 'elle existe en puissance, quand nous disons par exemple qu'Hermas est en puissance dans le bois, ou la demie ligne dans la ligne entiare parce qu'elk en pourrait etre tiree, ou quand nous appelons savant en puissance celui qui ne specule pas, s a la faculte de spaculer : eh Bien l'autre fawn d'exister est l'existence en acte, (..) l'acte sera alors comme Mire qui batit est a l'etre qui a la faculte de bestir, l'etre &dile a l'etre qui dort, l'etre qui voit a celui qui a les yeux fermis mais possade la vue, (..), ce qui est elabord a ce qui nest pas e7abore. Donnons le nom d'acte an premier membre de ces diverses relation, I 'autre membre c 'est la puissance, (Aristote.Metaphysique) 

     L'acte tel que le definit Aristote, est le fait d'exister : l'homme que je vois, qui se live, qui marche, done qui existe est un homme en acte ; le chien que je rencontre, le chine ou le caillou qui sont sur mon chemin existent, ils sont chien en acte, chine en acte, caillou en acte Mais tous les etres existants s'ils sont en acte sont aussi en puissance pour tout ce qui n'est pas realise en eux selon leur nature propre. L'homme est en puissance de devenir pere, le chien d'etre dresse, le chine de grandir, et le caillou d'être cassé. 

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     Donc chaque 'etre selon les modalites de sa propre existence est bien un compose de puissance et d'acte II est en acte pour tout ce qui est deja realise en lui, par exemple pour un homme le fait d'exister, de savoir marcher, lire et compter Mais le meme homme est en puissance pour tout ce qui n'est pas encore realise en lui de ce qu'implique sa nature, donc sa forme sub stantielle Ainsi it peut etre en puissance d'être architecte un jour, de construire une maisori, de devenir chauve ou malade, d'apprendre le chinois, etc.

     Le mouvement, le changement ou la generation sont proprement le passage de la puissance a 1 acte a partir d'une privation Ce passage realise l'acquisition d'une nouvelle forme que 1' etre qui change ne possedait pas encore La puissance et l'acte sont done toujours relatifs a l' etre : ce sont des manieres d'etre


En résumé on peut dire que:

- La puissance est une maniere d'être non realisee.

- L'acte, (gull ne faut pas confondre avec 1 'action), est une maniere d'être realisée. 


Nul ne peut passer de la puissance a l'acte par lui-meme. 


La puissance est passive et elle implique une privation qui est un non 'etre relatif. Or du non etre rien ne peut venir, de rare en acte seul quelque chose peut provenir. Pour tout changement, mouvement ou generation il faut un agent en acte qui fasse passer ce qui est en puissance dans le sujet a l'acte. Ainsi c'est le feu chaud en acte qui chauffe l' eau et lui permet de bouillir, c'est le professeur savant en acte qui fait passer reeve de la puissance a l'acte de savoir. L'agent en acte, qui fait passer une chose de la puissance a l'acte, agit bien comme une cause, it s' agit de la cause efficiente etudiee ci-dessus. 


« Changer depuis les modifications les plus superficielles (ex :se deplacer) jusqu'aux naissances et destructions(« generations » et « corruptions 4 c 'est passer de la puissance a l'acte, donc acquerir une maniere d 'etre gu'on n'avail pas encore, ce qui ne peut se concevoir que sous l'action d'un etre, ou d'une partie de soi-meme, deja en acte, en un mot,d'un moteur, au sens metaphysique, ce qui implique de la part de celui-ci une veritable efficience. » (Louis Jugnet. Pour connditre la pensee de Saint Thomas d'Aquin) 


11 faut ajouter, mais nous y reviendrons, que l'acte precede toujours la puissance, et que celle-ci lui est toute relative. Il n'y a pas de changement sans terme ni but, et ce terme, ce but, c'est l'acte realise, dont rare qui a change etait en puissance. De plus, un agent en acte est toujours requis pour l'actualisation de quelque puissance que ce soit. L'acte, on le voit, precede la puissance, et la puissance implique toujours l'acte auquel elle est ordonnée. 


5 - Les differentes sortes de changements ou mouvements 

     Aristote distingue plusieurs sortes de changements ou de mouvements. En prealable, it remarque que retre peut se dire de plusieurs manieres, selon la facon dont on le considere. Ces differents points de vue que nous pouvons avoir sur les choses sont les categories de l'être qui « nous aident puissamment a classer nos concepts, autrement dit a juger droit. Ce sont les categories de l'entendement parce que ce sont les categories du reel. (..). Genres supremes entre lesquels se repartissent toutes les choses, et non pas simples especes classificatoires, elles 

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 appartiennent donc a la logique dans leur exercice, eta l'ontologie dans leur nature. » (Louis Millet ; Aristote p.158) 


    Il distingue donc dix categories de l'etre ou dix manieres d'être de tout etre : substance, quantite, qualite, relation, lieu, temps, position, &at, action, passion. (cf: ci-dessus p.10) En tete de ces dix categories ou fawns &etre vient la substance, qui est l'etre proprement dit en tant qu'il existe, puis ses differentes manieres d'être, qui sont toujours de l'etre, mais qui ne sont pas des êtres. o Ainsi etre se prend en plusieurs sens, mais c'est relativement a an terme unique. (Metaphysique) 


Les differentes especes de changements 
Ils se definissent d'apres les categories de I' etre que le mouvement affecte. S' it s' agit de :

La substance, il y a apparition d'un nouvel etre ou destruction d'un etre déjà existant, donc generation ou corruption ; ce n'est pas un changement ou devenir ordinaire, c'est une transformation radicale, essentielle : un etre vivant est engendre ou meurt, un etre inanime nouveau surgit ou se decompose selon les lois de la chimie et de la physique, ainsi l'eau peut disparaltre en tant qu'eau pour se decomposer en oxygen et en hydrogen. La matiere, le substrat a revetu tine forme nouvelle, done a acquis un nouveau statut d'existence : c'est le changement substantiel. 


La quantité, le changement est alors accroissement ou diminution : ainsi l'enfant grandit.

La qualité, c'est l' alteration : l'enfant devient sportif ou paralyse.

La relation, c'est le changement de proportions par rapport a un autre : Jean a rattrape la taille de Paul.

Le lieu, le temps, la position, il s'agit du mouvement local et de ses modalites, donc des &placements : l'enfant s'est leve, et il est sorti rapidement de la maison.

L'etat, c'est le changement de situation : il est en tenue de sport.

L'action, la passion, commencement ou cessation d'une activite, augmentation ou diminution de ce qui est subi : it marche, il est malade, il est heureux. 
Tous ces changements, au contraire du premier, sont des changements accidentels. C' est a dire qu'ils n'affectent pas la substance ou la nature de ce qui change, et que cette substance ou nature demeure sous le changement. Elle passe bien, comme l'affirme Aristote, d'un contraire l'autre, mais elle conserve son identite radicale, son essence. C'est l'enfant qui grandit, qui devient sportif, qui est aussi grand que Paul, c'est encore lui qui se leve, qui sort rapidement de la maison, qui est en tenue de sport, qui marche, qui est malade, et qui est heureux ; il a subi une multitude de changements qui l'ont modifie dans sa facon d'être, mais lui, il est demeure lui-meme, malgre tous ces changements, qui sont des modifications accidentelles de ce qu'il est mais qui n'ont pas modifie son identite profonde, son essence. 


L'apport d'Aristote par rapport a ses successeurs 


    Nous sommes ici en presence d'une decouverte fondamentale d'Aristote. Oui, comme le disait ses predecesseurs, le changement est bien le passage d'un contraire a l'autre, d'un non-etre a l'etre et inversement. Mais it n'y a pas que cela, et si on en reste la on ne voit plus que le mouvement, et on supprime l'etre qui disparalt au profit du devenir qui demeure alors la seule vraie realite. C'est ce que disait Heraclite : Tout coule, tout s'ecoule, rien ne demeure, ou 

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encore : le conflit est pere de tout. Tout, alors, devient inintelligible : it n'y a plus d'essences, it n'y a plus fien de fixe ni de determine a quoi la pensee puisse s'amarrer6, i1 n'y a plus qu'un mouvement perpetuel et un brassage indefini de tout. 


    Aristote montre que le mouvement n'est pas, non plus, le passage d'un non-etre absolu retre, car du neant rien ne peut sortir, donc rien n'aurait jamais ete. Ce n'est pas non plus de rare que peut venir quelque chose car s'il est déja it ne vient pas a l'existence de nouveau. C'est ce que Parmenide affirmait en disant : Fete est, donc rien de nouveau ne peut naitre et donc rien ne change jamais, it n'y a que l'Etre absolu, parfait, immuable, et eternel, et tout le reste naissance ou mort, mouvements et changements ne sont que des mots, donc des illusions. 


     Ce que tous ces philosophes n'avaient pas vu, dit Aristote, c'est que si tout changement vient bien de l 'etre, it n'y a pas qu'un être absolu, mais des êtres, et que ces etres peuvent etre affectes d'un non-etre rebid : la privation. Its ne sont pas completement acheves, ils ne sont pas parfaits, ils sont en puissance d'acquerir de nouvelles qualites et de subir des changements. Le mouvement ou changement n'est donc que le passage, pour un etre en acte, d'un non-etre relatif a retre, d'une privation a une perfection ou inversement, mais celui qui subit le changement demeure malgre celui-ci.Il en est de meme lorsqu'il s'agit d'un changement substantiel : ici, it y a apparition ou disparition d'un etre inanime, ou naissance et mort d'un vivant, qui cependant ne sort pas du neant ni ne retoume au neant. L'etre nouveau se constitue a partir d'un substrat qui lui preexiste : la matiere premiere, qu'Aristote appelle le substrat du changement. Cette matiere, nous l' aeons vu, n'existe pas a retat concret ; la matiere primordiale que recherchait les anciens n'existe pas, car it n'existe nulle part au monde de matiere sans forme, de matiere sans statut d'existence. Cette matiere-substrat, dont parle Aristote, est un des principes metaphysiques constituant de tout etre materiel, c'est la matiere pure puissance, apte a recevoir n'importe quelle forme qui lui donnera d'exister de telle ou telle facon. Et lorsqu'un etre disparait, it ne retoume pas au neant absolument, mais la matiere dont it est compose revet une nouvelle forme. J'appelle matiere le substrat premier pour chaque chose, d'oll quelque chose est engendre et qui demeure en lui et cela non par accident. » (Phys.) 

Pour resumer : 


* Le mouvement peut toujours se &fink comme un passage de la puissance a r acte, ou comme l'acquisition d'une forme nouvelle. 


'11 y a, selon Aristote, deux categories de mouvements ou de changements : le changement substantiel et le changement accidentel 


Le changement substantiel : fait qu'il y a apparition d'un etre nouveau ou destruction d'un etre kid existant, donc generation ou corruption. Ce n'est pas un changement ou devenir ordinaire, c'est une transformation radicale et essentielle un être vivant est engendre ou meurt, un etre inanime nouveau surgit ou se decompose. 


6 En effet, comme l'avait bien vu Parmenide, at comme le dit le Principe d'identite, nous ne pouvons penser que le stable et le determine. Si je pense eau, je pense determinement a de l' eau, je ne pense ni a l'hydrogene ni a l'oxygene qui la composent, ni a l'eau froide ou chaude ou evaporee ou bouillante, ou suer& ; et bien entendu je ne pense pas non plus a toutes les choses qui contiennent de l'eau, ou que 1' eau modifie. Je pense d'abord a l'eau et ce n' est qu'ensuite que je l' envisage selon ses manieres d'etre.Et pour pouvoir penser eau, it faut que l'eau soit toujours de l'eau at pas de la pierre un chien ou un chat, sinon on ne peut plus ni penser ni se comprendre. 

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      Ainsi l' eau peut disparaitre en tant qu'eau pour se decomposer en oxygene et hydrogene. La matiere, le substrat a revetu une forme nouvelle, donc a acquis un nouveau statut d'existence. Dans le cas de I'engendrement, quelque chose preexistait : les gametes ou cellules reproductrices des parents, qui etaient en puissance de former un oeuf feconde. Une fois la fecondation realisee, leur matiere subsiste mais a acquis une forme nouvelle, un nouveau statut d' existence : celui de l'embryon. 
     Le changement accidentel : ici la nature de ce qui change demeure, ce qui change ce n est pas la substance de rare mais une de ses manieres d'être. C' est l' enfant Pierre qui grandit, qui se leve, qui court, qui don, qui est malade, qui devient savant, etc. it a subi une multitude de changements, qui ont modifie sa facon d'être, mais lui, it est demeure lui-meme, Pierre, malgre tous ces changements, qui sont des modifications accidentelles de ce qu'il est, mais qui n'ont pas atteint son identite reelle, son essence. 


6 — Hasard et fortune 


Apres son etude du mouvement, Aristote etudie le hasard, it essaye de le definir, pour pouvoir repondre aux penseurs de son époque qui, comme certains aujourd'hui, affirmaient que le hasard pouvait 'etre cause de beaucoup de choses et meme de ('organisation et du fonctionnement du cosmos, alors que certains en niaient l'existence, et que d'autres pensaient que hasard et fortune etaient d'origine divine. (Le moyen par lequel les dieux intervenaient sur le cours des choses.) 


a) La fortune 


Si on considere les faits dus a la fortune, on constate que :

- Ils se produisent ni toujours de la meme facon, ni frequemment, ni habituellement, ce sont donc des faits d'exception.

- De tels faits peuvent produire des effets benefiques ou non pour l'homme, on pane alors de bonne ou de mauvaise fortune. Aristote donne ainsi l'exemple d'un homme qui se rend sur une place pour s'y promener et qui y rencontre, alors qu'il n'y etait pas venu pour cela, un de ses debiteurs qui justement vient de toucher de l'argent, et qui peut ainsi lui rembourser ce qu'il lui doit. Il s'agit bien d' une bonne fortune, et si on analyse cet exemple on voit que :

- le debiteur est venu en ce lieu en vue de toucher de l'argent.

- ni l' un ni rautre ne se rencontrent frequemment en cet endroit, ni n'ont l' habitude d'y traiter leurs affaires. 


     II s'agit donc bien d'un evenement exceptionnel, qui a produit fortuitement un fait heureux pour le creancier : le remboursement de sa dette, ce qu'aurait peut-etre aimer eviter ce jour la son debiteur ; et ce fait n'avait ete ni prevu ni organise par aucun des deux hommes. Si la fortune est un fait exceptionnel, it faut ajouter que ce fait est aussi accidentel, car it ne resulte pas du but ou de la fin que chacun des deux protagonistes s'etait assigne en venant sur la place. D'ou la definition de la fortune que donne Aristote : « la fortune est une cause par accident survenant dans les choses qui &ant en vue de quelque fin, relevent en outre du choix. (Dom de la volonte d'une personnel Par suite, la pensee et la fortune sont du meme ordre car le choix ne va pas sans la pensee. » (Physique,I1,6,197a) 


Donc

- La fortune est une cause par accident

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- La fortune est contraire a la raison,
car la raison ordonne dans un but précis de facon constante, mais la fortune, on l'a vu, est exceptionnelle et n'a pas de raison d'être, car elle n'est pas en vue de quelque chose.

- la fortune est indeterminee, mais certains faits de fortune sont plus probables que d' autres.

- la fortune est peu sure car elle est un fait d'exception ni régulier ni fréquent. 


b) le hasard 


     Le hasard a un sens plus large que la fortune car tous les faits de fortune sont des hasards. La fortune existe la ou it y aurait pu avoir un choix humain : il est venu pour se promener, mais ce choix produit par accident un fait non prevu et non voulu : il a touche son argent.

     Le hasard concerne, en plus des faits de fortune tous les faits qui concernent des etres incapables d' agir intelligemment, c'est a dire en vue de quelque chose , " parce gulls n'ont pas la faculte de choisir. (...) Quant au hasard, it appartient aux animaux et a beaucoup d'etres inanimes : ainsi on dit que la venue d'un cheval est un hasard, quand par cette venue it a trouve le salut, sans que le salut ait ete en vue. Autre exemple : la chute du trepied est un hasard, si apres sa chute it est debout pour servir de siege, sans qu'il soil tombe pour cela. » (Ibid. II, 6, 1 97b) 


      Le hasard et la fortune peuvent donc se definir comme la rencontre accidentelle de deux causes finales, ou de deux actions en mouvement, orientees chacune vers leur propre fin, et sans que cette rencontre elle-meme ait une cause. Le hasard appartient done a tout ce qui peut etre cause accidentelle sans avoir la faculte de decider par soi-meme, et la fortune provient de ce qui peut decider par soi-meme. Pour reprendre l'exemple ci-dessus, on est bien en presence de deux causes finales :

- celle du creancier qui a en vue la promenade,

- celle du debiteur venu pour toucher son argent.

     Ces deux causes finales se rencontrent bien de facon accidentelle : ce n'etait ni prevu ni voulu, et de fawn exceptionnelle : ils ne se rencontrent pas la habituellement, et ils n'ont pas coutume d'y traiter leurs affaires. Cependant cette rencontre aurait pu etre voulue et organisee, it s'agit done ici d'un hasard qui est en plus une bonne fortune. 


     Dans le cas dune tuile qui tombe du toit et qui tue un chat passant par la, it s'agit d'un hasard et on ne parle pas de fortune. Ici encore, it y a bien rencontre accidentelle de deux causes finales :

- la tuile tombe en raison de la gravite, et en vue de rejoindre son lieu naturel, dirait Aristote,

- le chat passe par la pour aller manger sa pâté ;

mais la tuile n'est pas tombee en vue de tuer le chat, qui n'est pas passé par la pour se faire assommer. Ce qui s' est produit est bien un hasard, c'est a dire un fait accidentel, exceptionnel, possible et non nécessaire. 


La conclusion d'Aristote 


Le hasard est donc une cause par accident, puisqu'il est la cause reelle de choses et d'evenements. Dans les exemples ci-dessus, c'est grace au hasard que le creamier est paye, et c'est par hasard que la tuile tue le chat. 

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     Mais si le hasard est la rencontre fortuite de deux causes finales ou de deux actions en mouvement, orientoes les ones et les autres vers leur propre fin, on voit Bien que toujours des causes finales le precedent. Ce qui est premier ce sont les causes finales, donc sans finalite point de hasard. 
     ll serait donc absurde d'en faire la cause de l'univers comme le voulait Democrite7 ou comme ceux qui aujourd'hui pensent qu'il resulte du o hasard et de la necessite ». 


                                      Le hasard ne peut done etre la cause premiere de tout ce qui est Il n'est qu'un accident de la finalite  


7 - Le Premier Moteur 


     Aristote a Mini la nature comme " principe premier du mouvement et du repos » de l' ensemble des realites physiques. (Voir ci-clessus p.60) 
     Le mouvement est en effet present en permanence dans la nature et Aristote montre qu'il est eternel et continu. C'est ce qu'avait déjà constate Heraclite disant : Tout coule tout s'ecoule rien ne demeure. Mais pour qu'il y ait mouvement it faut tine cause motrice, et c'est cette cause qu'il faut maintenant decouvrir. 

Comment, en effet, y aura-t-il mouvement s'il n'y a pas de cause motrice en acte, Rien n'est mu par hasard, rien ne s'eleve par soi de la puissance a l' acte : le bois brut ne se meut que par Fart du charpentier ; rien ne peut etre puissance et acte en meme temps et sous le meme rapport. En un mot a tout mobile it faut un moteur. » (..T. Chevalier, Hist. De la pensee) 

a) Il y a plusieurs sortes de mouvements 

L'observation de la nature montre que les mouvements qui raniment peuvent etre soit naturels soit artificiels. 

- Les mouvements naturels ou spontanes sont ceux par lesquels chaque chose tend a rejoindre son lieu nature' le feu le haut, la terre le has, Fair et l' eau plutot le milieu. De tels mouvements semblent venir du mobile lui-meme.

- Les mouvements artificiels contrarient les mouvements naturels, et sont imposes de 1' exterieur aux corps mobiles par traction, poussee, portage ou roulement. Pour en saisir l'intelligibilite, it faut se referer aux mouvements naturels qu'ils contrarient ou equilibrent. Pour Aristote, la mecanique est Fart qui sail combiner ces diverses forces pour construire des machines utiles a l'homme, telles que le levier, la balance, le treuil. 

b) les corps ne se meuvent pas eux-memes 

     Les mouvements naturels ou spontanes qui semblent provenir des chases elles-mêmes viennent dune autre realite, car « aucune chose ne se meat » Ce quelque chose qui meut, Aristote I `appelle un moteur, et les moteurs sont differents selon la nature de ce qui est mu : elements, titres vivants, ou objets celestes. 

7 Dernocrite ne voit comme cause du mouvement, qui produit les agglomerats d'atomes constituant les differents titres corporels, que des causes purement mecaniques et exelue de ce processus toute cause finale. S'il n'y a aucune fin en vue, si les forces mecaniques se produisent sans plan ni direction, a I'aveuglette, pourrait-on dire, c'est bien dire qu'elle se produisent par hasard, et c'est donner comme cause ultime de tout ce qui est le seul hasard. 

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- les éléments qui se dirigent vers leur lieu naturel, tel le feu vers le haut ou la terre vers le bas, trouvent la cause de leur mouvement dans leur propre nature ou forme : car c'est bien de leur essence que resulte leur tendance a monter ou a descendre ; de plus, si un obstacle empeche le mouvement naturel, celui-ci se produira des qu'il n'y aura plus d'empechement : « par exemple, si on retire en dessous la colonne de soutien, ou si on enleve la pierre de sur une outre plonges dans l' eau » (Phys.VIII,4,b,255b), la disparition de l' obstacle est aussi une cause du mouvement. Leur moteur c'est donc a la fois leur nature et les circonstances exterieures. 

- les êtres vivants qui decident de leers mouvements sont mils par leur ame qui leur presente l'objet de leur desk, mais surtout par cet objet qui les attire. Ainsi le chien se dirige vers sa pâté, le carnivore vers sa proie. A la difference de ce qui se produit pour les elements, le vivant decide lui-meme de se mettre en mouvement ou de s'arreter. Son moteur c'est donc son ame qui lui presente l'objet de son desk et le fait vouloir, et c'est aussi ce qui est desiré. 

Note importante : Pour nos oreilles modemes it semble étrange d'affirmer d'une part que : rien ne se meut de soi-meme, et de dire ensuite que le moteur de l' element c' est sa nature ou forme, et que pour le vivant c'est son ame. Aristote analyse toujours avec minutie le moindre fait, s' it affirme que la forme ou Fame sont moteurs c'est pour bien montrer que tout etre agit selon ce qu'il est donc selon sa nature propre, qu'il ne tient pas de lui-meme mais de sa ou ses causes Et it prend bien soin plus loin de preciser que « si les choses ont en elles un principe de mouvement, c'est un principe non de motricite, mais de passivité. » Elles sont donc bien mues toujours par autre chose qu'elles memes : l'element est toujours mu par les causes qui font qu'il est lourd ou leger et par des forces exterieures, et le vivant par sa nature donne par un autre, et ce qui suscite le desir en lui. 

- Les objets celestes. Platon comparait les mouvements du ciel a ceux d'un animal, et en attribuait la source a. l' ame du monde, car disait-il " notre monde (...) est un vivant, doue d'une tune pourvue d'un intellect » (Timee). Aristote refute avec vigueur cette idee : pour lui le ciel n'est pas vivant, et comme tout ce qui se meut dans la nature le ciel a un moteur qui lui est propre. 

c) Nécessité d'un premier moteur immobile. 

La notion de moteur : On vient de demontrer que tous les mouvements exigent une cause, car aucune chose ne se meut elle-meme_ 11 faut donc, selon Aristote, un agent qui mette les chosen en mouvement, et cet agent necessaire i1 l'appelle moteur. Or le moteur dont it est ici question n'a pas le sens que nous lui donnons aujourd'hui : celui d'une machine plus ou moins complexe fabriquee par l'homme, et capable de produire une force utile. 

Le moteur, selon Aristote, est quelque chose de tout a. fait different : ce peut etre bien sur une machine construite par l'homme, tel un levier ou un treuil, mais c'est aussi et surtout un agent en acte, capable de faire passer de la puissance a. I' acte une chose susceptible de mouvement ou de changement. Et un agent en acte peut etre bien autre chose qu'une machine quelconque : le medecin qui guerit, le professeur qui 

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enseigne, le bien qui attire, la nature qui provoque un phenomene meteorologique, l'objet qui declenche la connaissance sont des agents en acte moteurs de changements. 

Le premier moteur est necessairement immobile, car s'il etait mu par un autre it ne serait pas premier. 

Puisque le mouvement est &erne' et continu, it a obligatoirement pour origine un moteur eternel, car s'il s'arretait un seul instant de mouvoir tout mouvement s'eteindrait, or l' experience nous montre un univers ofi tout est en mouvement perpetuel. De plus, si le mouvement est continu le premier moteur doit etre un : « car ce qui est toujours est continu, tandis que le consecutif n'est pas continu. Cependant s'il est continu, it est an. Or, it sera an, si le moteur est an et si le ma est an ; car si le moteur et le ma sont toujours autres, le mouvement total n'est pas continu mais consécutif » (Phys.VIII, 5,259a) 

Et Aristote conclut ainsi son traite de Physique : « Le premier moteur meat a la verite d'un mouvement &erne! en un temps infini ; on volt donc qu'il est indivisible, sans parties et gull n'a aucune grandeur8. » 

d) Le Premier Moteur est Acte Pur 

     Si le Premier moteur, ainsi defini, meat tout eternellement par lui-meme, cela signifie qu'il est perpetuellement en acte, et cela d'autant plus qu'il n'est mu lui-meme par rien. En effet, si un autre moteur le precedait et le mettait en mouvement, it dependrait de lui et serait en puissance d'être mu par cet autre pour toute la suite des temps. Or, Aristote a demontre que cela n'est pas. II en deduit donc :

 que le Premier moteur est toujours en acte

 et qu'i1 n'y a en lui nulle puissance,

'où la conclusion que TOUT est réalisé en lui, il est, et lui seul Acte Pur 

8 11 n'a aucune grandeur car Aristote a demontre que toute grandeur est soit fink soit infinie. II est impossible qu'il ait une grandeur fink, car g rien de fini ne peut mouvoir pendant un temps infini ni avoir une force infinie ». D 'autre part un objet corporel ne peut avoir une grandeur infinie. Le premier moteur est donc sans grandeur. 

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                                                                                          II - Le vivant et l'âme 
I — Le vivant 
Apres avoir etudie la realite physique consideree comme ce qui est mu, Aristote montre qu'au sein de la nature it existe des etres d'un genre particulier qui, non seulement sont mus, mais qui se meuvent eux-memes, nous les qualifions habituellement de vivants.  


L' etude de la nature qu'il fait dans son traite intitule Physique debouche naturellement sur l'etude du vivant et de 1" ame le traite De Anima — De l'Ame — expose le fruit de ses recherches. 


Il est clair que pour lui, comme pour Saint Thomas plus tard, l'etude de l'ame fait partie integrante de l'etude de la nature : its constatent que certains etres corporels sont vivants, gulls presentent des proprietes et des comportements d'une grande complexite et inconnus du monde inanime, it faut donc qu'i1 y ait en eux un principe qui leur soit propre et qui rende compte de ces faits. Comment comprendre et expliquer le principe qui les fait vivre et agir ainsi ? Il s'agit donc bien d'une recherche naturaliste et biologique. 


Nous sommes ici aux antipodes de la mentalite actuelle qui, a la suite de Kant, a fait de lame une realite metaphysique inconnaissable par voie rationnelle et ne concemant que les croyants.9 Pour la plupart de nos contemporains, en effet, Fame West qu'une donne religieuse laquelle nous sommes libres d'adherer ou non. I.1 y a ainsi une separation radicale entre la connaissance scientifique, reputee seule capable d'apporter une certitude, et l'etude de toute realite non materielle comme Fame, qui est releguee dans le domaine de l'imaginaire, de l'irrationnel, noire de l'esoterisme. 


La psychologie qui, etymologiquement signifie Science de 1 'âme, etudie aujourd'hui noire mental, notre sensibilite, nos comportements, tout sauf Fame elle-merne. La psychologie contemporaine se veut science a part entiere, et a ce titre « ne considere que des phenomenes externs, observables, mesurables, et reproductibles. S'il n'est pas possible de faire abstraction de l'experience interne, caractere specifique de cette discipline, elle-meme doit etre analysee a la fawn d'une manifestation exteme.» (G F. Delaporte. Lecture du commentaire de Th.d'Aquin sur le De Anima d 'Aristote) En résumé, pour nos contemporains, seule la science peut dormer une certitude, alors que toute dorm& metaphysique, comme Fame, n'est qu'une croyance parmi d' autres, qui ne vaut que pour celui qui y adhere. 


Pour Aristote et Thomas d'Aquin, fame, comme principe et cause de l'etre vivant, fait partie de la nature, et est objet de science comme les autres causes du monde sensible. 


9 Pour Kant seule la foi peut affirmer l'existence de Dieu et de Fame. ce qu'il exprime ainsi : « Je dus abolir le savoir pour faire une place a la foi. » (Critique de la raison pure) 

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Qu'est-ce qu'un etre vivant ? 
" Parmi les corps naturels, les uns ont la vie, les autres ne Pont pas ; la vie telle que je I'entends consiste a se nourrir soi-meme, a croftre, a dep &ire Aussi tout corps nature! done de vie sera-t-il une substance, en prenant substance au sens de compose. » (De Animail,1) 


Des le debut du De Anima, Aristote expose ainsi son sujet : certains titres naturels ont la vie, c'est a dire gulls assurent eux-memes leurs operations vitales. De plus ces titres vivants, au meme titre que taus les autres 'dues naturels sont des substances, (c'est a dire des titres a part entiere), donc des composes de matiere et de forme et de puissance et d'acte. 


Notre experience quotidienne 


Dans un premier temps, pour determiner ce quest un vivant, it faut rechercher ce qui dans notre experience la plus habituelle, nous fait dire qu'un etre est vivant. 11 semble qu'en premier lieu ce soit le mouvement : je regarde au loin et a la lisiere du bois j'apercois une forme qui bouge, j'en conclue immediatement qu'il s'agit probablement d'un animal, donc d'un etre vivant. 11 semble encore que le changement caracterise aussi le vivant, puisque tout ce qui vit grandit, vieillit, deperit, et meurt. 


Cependant ces premieres constatations sont insuffisantes, et on ne peut &fink le vivant seulement par le mouvement et le changement, car bien des titres inanimes bougent, comme les nuages, la pierre qui roule, ou le feu qui crepite et se propage; et ils peuvent aussi changer de couleur, de forme et d' aspect. Le changement et le mouvement ne suffisent done pas a definir le vivant, it faut affiner la recherche. 


Caracteristiques du vivant 


Pour distinguer plus precisement ce qui distingue le vivant du non vivant, Aristote montre tout ce qui fait l'originalite du vivant, en un mot ce qui le caracterise : 


Le vivant possede une organisation ahvsique differenciée : le corps vivant est d'abord un corps naturel soumis a l'ensemble des lois physiques et chimiques de la nature. Mais a la difference des corps inanimes, le corps vivant n'a pas une structure interne homogene. L' eau, dans la plus petite de ses parties est de l'eau, et sa composition est la meme en chaque point de son volume : toutes ses molecules sont de meme nature et semblables, et it en est ainsi pour le marbre, le fer, ou l' or. 


Le corps vivant, au contraire, est pourvu d'organes bien differents, ayant chacun leur fonction propre : la tete n'est pas la main, ni le pied, ni l'estomac ; les racines ne sont ni la lige, ni les fleurs, ni les feuilles, et chacune agit de facon difference. Pourtant, le corps vivant a une unite evidente depuis sa conception, jusqu'd sa maturite et sa mort : it se developpe, se complexifie, se perfectionne, et deperit tout entier, ce n'est pas un organe ou une partie plus que l'autres qui sont concernes. Un vivant est tout entier jeune ou tout entier vieux, lorsqu'il souffle ou qu'il est a l'aise c'est lui tout entier qui est bien ou souffrant. Cette unite dans la complexite ne se constate pas chez les mineraux. 

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Le vivant s'accroit lui-meme par la nutrition : it pulse au dehors ce qui est necessaire a. sa vie et a son developpement, le transforme, et en fait sa propre substance, ce que le mineral ne fait pas. « Se noun-ft-, c'est transformer l'aliment en la propre chair du vivant, en vue de maintenir l'individu dans l' existence. La nutrition, premiere operation du vivant, est celle qui assure la vie. » (A.Lizotte.La Personne humaine) 


Le vivant se reproduit a l'identique il est le seul des titres naturels a. etre capable de donner naissance a. un etre semblable a lui et doue de vie. Le mineral peut accroitre sa quantite, peut se diviser, voire s'emietter, mais c'est toujours lui qui s'accroit ou se divise, it n'y a jamais apparition d'un etre totalement nouveau, separe, autonome, et vivant de surcroit. 


" La plus naturelle des fonctions pour tout etre vivant parfait, qui West pas incomplet (...) c'est de produire un autre vivant semblable a soi : l'animal produit un animal, la plante une plante, pour participer a l'eternel et au divin (10 )  autant que possible ; tous les titres en effet y aspirent et c'est a cette fin gulls agissent en toute leur activite naturelle. » (DA, 4) 


Certains vivants se meuvent eux-memes c'est a dire qu'au lieu d'être soumis uniquement et passivement a des forces exterieures, comme retre inanime, it sont de surcroit capables de se *lacer par eux-memes et meme de resister aux forces qui leurs sont imposees. Ainsi la pierre qui route subit passivement l'effet de la gravite qui l'entraine vers le bas de la cote, le flocon de neige est totalement soumis aux caprices du vent. La plante, au contraire, grandit par elle-meme et se hausse vers la lumiere, la biche fuit le danger, le Chien court vers son maitre, l'homme marche face au vent ou se hisse le long d'une paroi verticale. 


                                          L'etre vivant est done celui qui possede des organes differencies, qui se nourrit, qui croft, et se reproduit. Certains vivants sont                                                                                                                              en outre capables de se mouvoir par eux-memes. 


2 — Facultes vitales et modes de vie. 
Pour completer cette etude des caracteristiques du vivant, Aristote ainsi que Saint Thomas d'Aquin distinguent : 


- Cinq sortes de facultes vitales : la nutrition, la motricite, la sensation, le desir, et l'intelligence. Ces facultes sont propres au vivant mais, excepte l'homme, tous les vivants ne les possedent pas toutes_ 


10 Pour Aristote, tout etre nature! tend a sa perfection, chacun selon ce qu'il est. Ainsi la pierre roule viers le bas pour atteindre son equilibre, le vivant se nourrit et grandit pour atteindre son developpement parfait, it se reproduit pour que la race se perpetue et soit comme eternelle. Perfection et etemite sont des attributs divins. Aristote dit que la nature entiere est soulevee par un desir de perfection divine. o Dieu meut tout par amour o, dit-il, cela ne veut pas dire que le Dieu d'Aristote agit directement en mouvant les titres, mais que le desk de sa perfection attire et meut !'ensemble des titres naturels. En ce sens Dieu est bien un moteur immobile. 

 

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Ces facultes vitales vont caracteriser : 


- Quatre modes de vie : vie biologique ou vegetative, vie sensitive sans locomotion, vie sensitive avec locomotion (donc vie plus parfaite), vie intellectuelle. 


Pour etre capable des operations et facultes vitales que nous venons d' enumerer, it faut qu'il y ait dans le vivant un principe autre que ceux matiere et forme — qui rendent compte de l'existence des etres inanimes. Aristote, a la suite de l'ensemble des penseurs qui Font precede, affirme que "l'âme est pour le corps vivant cause et principe " (DA 11,4,2) 


Nous avons dit plus haut que c'est la forme qui donne aux etres naturels leur statut d' existence et que c'est elle, avec la matiere, qui est cause de leur etre ; la forme fait exister en acte la matiere en puissance, et constitue avec elle un etre determine. Chez le vivant on donne a la forme le nom d'ame, pour bien montrer qu'il s'agit d'un 'etre anime, vivant, et doue de plus grandes perfections que le simple mineral ; on appelle corps la matiere du vivant, dont on peut dire qu'il est un compose de corps et d'âme. 


Dire que Fame est cause du vivant ne signifie pas que par un coup de baguette magique et arbitrairement on introduit ici subrepticement une notion nouvelle d'origine religieuse. Il ne faut jamais oublier qu'Aristote entend faire de la philosophie en se degageant de toute pensee religieuse. Ce qu'il faut dire ici, c'est qu'il constate que certains etres sont vivants et manifestent des qualites tout a. fait particulieres, superieures, et inconnues du regne mineral. Il en conclue qu'il existe necessairement un principe particulier qui explique le fait de la vie, et ce principe it l' appelle ame, comme l'ensemble, de la tradition l'a touj ours fait. Il ne part d' une idee preconcue de ce qu'est mais it va tenter d' en decouvrir les traits essentiels a partir de l' observation des vivants. 


3 — Les differentes sortes d'ames 


                  Dans un premier temps, if va distinguer trois sortes dames, a partir des trois grandes especes de vivants que sont les plantes, les animaux et les hommes. 


L'ame vegetative : c'est le principe de la vie et de toutes les facultes des vivants du regne vegetal. Comment se manifeste la vie chez les plantes ? Par la nutrition, la croissance, et la reproduction. L'ame vegetative est donc principe et cause de chaque vivant du regne vegetal. Elle le fait 'etre ce qu'il est, c'est a dire qu'elle est cause de l'organisation particuliere de sa matiere lui permettant de realiser ses fonctions vitales_ 


L'ame sensitive animale : qui est principe et cause de la vie et de toutes les facultes des vivants du regne animal Elle fait d'abord que I' animal soit ce qu'i1 est, c'est a dire qu'elle est cause de l'organisation particuliere de sa matiere. En plus, elle est principe de sa vie vegetative, et ensuite de la vie sensitive propre a ranimal. On distingue deux degres de vie dans le regne animal : celui des animaux incapables de se &placer, et celui plus parfait de ceux qui le peuvent. 

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              Ce qui caracterise l'animal, c'est la faculte de sentir, grace a la presence d'un systeme nerveux meme rudimentaire. L'animal peut donc connaitre de facon plus ou moins developpee selon la perfection de son systeme nerveux.Cette connaissance est Bite sensible car elle resulte uniquement des sensations, et ne renseigne que sur les qualites physiques des objets connus. L'animal, puisqu'il connait, peut souffrir et eprouver du plaisir, desirer et agir par lui-meme. 


L'ame intellectuelle : qui est principe et cause de la vie et de toutes les facultes humaines. L'ame intellectuelle fait etre l'homme ce qu'il est en etant cause de l' organisation particuliere de sa matiere. En plus, elle lui donne la vie vegetative commune a tous les vivants, elle lui donne ensuite la vie sensitive qu'il possede en commun avec les animaux. Mais au dela, elle lui donne la vie intellectuelle qui n'appartient qu'd lui seul, et qui lui donne la capacite de penser et de vouloir. Il est donc capable de connaissance sensible, mais en plus et c'est la sa specificite propre, it est doue de connaissance intellectuelle. C' est a dire que grace a son intelligence et a partir de ses sensations, it est capable de &passer la connaissance sensible des choses, qui est la connaissance de leurs aspects exterieurs, pour penetrer jusqu'au coeur de I'objet et en decouvrir la nature profonde et radicale, ce qu'on appelle en philosophie l'essence. L'homme, et lui seul, est capable de repondre a la question qu'est ce que c 'est ? Il le peut grace a son intelligence qui lui permet de connaitre jusque la, donc de saisir l'etre de la chose, son essence, ce qui la definit radicalement. 


Grace a son intelligence encore, it peut determiner ce qui est bon et avantageux pour lui, et par sa volonté il est capable de poursuivre et d'obtenir ce bien. L'animal aussi est capable de poursuivre, parfois avec tenacite, ce qui est bon pour lui, mais it s'agit toujours d'un bien sensible, donc materiel : ii cherche sa nourriture, la chaleur du feu, ou la caresse de son maitre. L'homme, par la volonte, cherche aussi des biens materiels, mais aussi et davantage des biens immateriels : justice, egalite, amour, beaute, verite, bonte ; touts biens dont 1' animal ne soupconne meme pas l'existence. 


                                                L'ame humaine a deux facultes qui la caracterise et qui lui appartiennent a elle seule : l'intelligence et la volonté 


4 - Unite substantielle du vivant 


A partir de ce que nous venom de voir nous constatons qu'Aristote rejette de sa doctrine : 


* Le dualisme anthropologique : l'âme et le corps ne sont pas deux substances, dont l'une, lame, serait l'homme, en sorte que ce qui connaftrait ce serait l'dme et l'dme seule. 


Non, pour Aristote, l'âme et le corps sont deux principes constituants de l'homme, comme de tout etre vivant.Comme tout vivant, l'homme est un composé, un mixte ontologique d'ame et de corps, donc ce qui cionnalt en lui c'est le compose, c'est le vivant tout entier. Par la s'explique le passage en lui de la connaissance sensible a la connaissance intellectuelle, c'est dire le passage de l' image a l'idee, du sensible à l'intelligible. 

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La connaissance humaine, en effet, commence toujours par la connaissance sensible qui aboutit a une image mentale ; et rimage ensuite est " lue » par l'intelligence qui en degage ou en abstrait 1. intelligible. Ainsi, si je suis en presence d'un lapin : j' en connais d'abord rasped physique grace a mes sens et j' en ai une image mentale, c'est la connaissance sensible. Ensuite mon intelligence, a partir de cette image, est capable de dire ce qu'est cet objet percu par mes sens : c'est un lapin. Mon intelligence a saisi l'essence de cette chose, c'est la connaissance intellectuelle.

* le dualisme cosmologique du monde sensible et du monde intelligible. Pour Aristote, le monde n'est pas coupe en deux, comme le voulait Platon, rintelligible West pas separe du sensible. II n'y a pas d'un cote les choses intelligibles que sont les Idees, et d'un autre les objets materiels sensibles. L'intelligible et le sensible ne sont pas deux etres, deux substances existant par soi,

Distinguer n'est pas séparer : pour connaltre, nous avons besoin d'analyser et de decouper la realite, pour y distinguer les elements qui la composent : matiere et forme, puissance et acte, sensible et intelligible. Mais ce n'est pas parce que nous connaissons en divisant et en analysant que la realite en elle-merne est ainsi divisée.

                                      Les conditions de noire connaissance ne sont pas les conditions de la realite.

Le sensible et l' intelligible, la substance et l' accident, r etre et l'agir, Fame et le corps sont distingués par l'esprit, mais la chose qui en est le sujet est une en elle-meme. Va-t-on dire que le sensible parce qu'il est connu par les sens, et r intelligible parce qu'il est connu par l'intelligence sont reellement separes l'un de l'autre, que ce sont deux choses ayant chacune reellement leur existence propre. Autant dire, parce que je distingue le nez du visage, que le nez existe separe, a part du visage ! (HP)

Donc, comme ii affirme runite substantielle de la matiere et de la forme darts robjet inanime, Aristote affirme avec autant de force runite de Fame et du corps chez le vivant. L'etre vivant ne se decoupe pas en chacun de ses composants, sinon on le tue et it disparait ; non, it y a en lui une unite substantielle evidente : le vivant est un compose de corps et d'ame, un mixte ontologique et non pas une simple adition ou juxtaposition. Lame est bien la forme du corps. Ici it conserve la grande intuition de Platon qui faisait des Idees-Formes le principe d'etre et d'intelligibilite des choses. Mais ce principe qui chez Platon etait exterieur et transcendant a la chose sensible, Aristote affirme qu'il est present en elle, immanent et non transcendant.

Le propre de la connaissance humaine est done d'extraire, d' abstraire de l'image mentale cette idee que la chose incarne, et cette idee c'est la forme : c'est elle qui donne r etre a la chose, qui fait qu'elle est precisement ce qu'elle est — bref que Socrate est un homme, et non un oliviers, un oiseau ou un chien.

Nota : ici, le mot « forme » n'a pas le sens que nous lui donnons habituellement c'est a dire celui de « figure », de « configuration », d'ensemble des contours d'une chose : ainsi, on parle de la forme d'un visage. La forme ainsi entendue signifie une notion de limite, de trace, de surface, d'etendue, de volume. C' est une notion exprimant une quantite, une grandeur, elle est d'ordre quantitatif.

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Mais pour qu'un objet ait une grandeur, dirait Aristote, it faut avant tout qu'il soit, qu'il existe, qu'il soit en acte. Et ce qui fait exister en acte une chose, c'est la forme. La forme, au sens aristotelicien c'est " une forme d'existence" car la forme donne rare, I' existence a la matiere : elle la determine, organise, la qualifie a etre matiere du rosier, du chat ou de l'homme. La forme, au sens aristotelicien et thomiste donne à la matiere, un statut d'existence. Si elle actue la matiere, elle actue de ce fait meme le compose matiere-forme, c'est a dire un etre individuel et concret. La forme ainsi comprise est d'ordre qualitatif


Aristote et Thomas d'Aquin, pour bien specifier la necessite de ne pas confondre i< forme » et « figure », nous disent la figure, la configuration d'une chose ne donne pas l'etre a cette chose ; en elle-meme, la figure nest qu'une maniere d'être de la chose : it faut donc pour que la chose ait une maniere d'être, qu'elle soit en acte. (C'est a dire qu'elle existe) Une maniere d'être n' arrive (accidit) qu'a une matiere déjà actuee, bref qu'a un etre individuel et concret déjà existant — a un sujet -. Thomas d'aquin ecrit : « L' titre du sujet ne provient pas de quelque chose qui lui arrive, ce qui lui arrive est un accident (une maniere d'être). En effet, ce n' est pas d'être gros ou maigre, petit ou grand, blond ou brun, chevelu ou chauve, manchot ou cul de jatte, etc., qui donne l'etre a l'homme. » (HP) 


                                                    Ainsi, au sens aristotelicien et thomiste, la « forme » est ce qui donne l'etre, l'exister, l'existence -forma est quae dat esse. 


Ajoutons qu'Aristote et Thomas d'Aquin distinguent encore : 


* La forme substantielle : qui donne l'etre, l'exister, l'existence absolument. La forme substantielle donne a la matiere ce qu'elle est par elle-meme : une idee d'existence, donc un statut d'existence. *

la forme accidentelle : qui donne l'etre, l'exister, l'existence a un accident, donc a une « maniere d'être », a un 'etre déjà existant, a un sujet. Par exemple, pour un homme d'être petit ou grand, maigre ou gros, lourd ou leger, ignorant ou savant. 


Ainsi donc, cette « forme substantielle » cette « forme d'existence » que recoit et revet la matiere pour 'etre, exister de telle ou telle fawn, donc qui actue un etre individuel nature]. et concret, c'est cela motile qu'Aristote et Thomas d'Aquin appellent " la forme "


Et la « forme », lorsqu'il s'agit d'une matiere actuee vivante, on l'appelle l'âme


D'où cette « echelle des êtres », déjà esquissee par Platon, mais elaboree de facon plus complete par Aristote, et reprise plus tard par Thomas d'Aquin 


*Au bas de rechelle, pourrait-on dire, il y a la simple forme, qui donne l'etre, ].'exister, l'existence a l'etre individuel et concret inanime qu'est le corps brut, inanimé et mineral. (Atome, argile, caillou) 

 

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* Vient ensuite, par ordre de perfection croissantell, la forme ou âme vegetative, qui donne roue et la vie vegetative a l'etre concret, individuel et vivant qu'est la plante. 


* Plus parfaite est ensuite la forme ou ame sensitive (ou animate comme on l'appelle encore), qui donne l'etre et la vie vegetative et sensible a l'etre individuel, concret et vivant qu'est l'animal. 


• Vient ensuite la forme ou ame intellectuelle, laquelle donne l'etre, et la vie vegetative, sensible, et intellectuelle a l'etre individuel, concret et vivant, a cet « animal raisonnable », comme le definit Aristote, qu'est l'Homme. 


Puisque dans le monde on nous vivons tout les titres sont materiels et sensibles, ce qui recoit l'etre, l'exister, l'existence, c'est la matiere, et ce qui fait exister en acte la matiere, c' est la « forme d'existence » - la forme qu'elle recoit et revet. 


Ce qui signifie que : 


- La matiere n'a pas d'existence concrete par elle-même : ce qui lui donne l'etre, l'exister, l'existence, c'est la forme qu'elle recoit et revel En effet, tous les titres que nous connaissons, qu'il s'agisse de mineraux, plantes, animaux, ou hommes sont organises selon une forme qui les fait etre ce qu'ils sont precisement. Tous les êtres materiels sont donc, sans aucune exception, des composes de matiere et de forme. Mime la plus petite parcelle de matiere decouverte par la science a une forme, on dira ainsi c'est une molecule, c'est un atome, c'est un electron, c'est un quark, etc. ce qui signifie n'existe pas de matiere sans forme ou ce qui revient au mime de matiere non organisee, de matiere brute, de matiere qui ne soit que matiere. 


- Ce n'est pas la matiere qui donne l'etre, l'exister, l'existence, absolument a une 'etre nature!, individuel et concret — comme le crurent les anciens physicistes et le croient a nouveau les materialistes d'aujourd'hui. Ce qui donne l'etre absolument a un etre nature!, individuel et concret, c'est la forme qui, dormant l'etre a une matiere, donne de ce fait l'etre a cet etre particulier, lequel est donc bien qualifié et determiné par la forme que revolt et revel la matiere 


De la ces formules sans cesse repetees par Aristote et Thomas d'Aquin : 


- « La forme est ce qui donne Fete a la matiere ».

- « La forme fait exister en acte la matiere ».

- « La forme est l'existence en acte de la matiere ». 


Ces formules permettent de comprendre l'erreur y a de séparer (distinguer n 'est pas separer) la forme d'existence de la matiere d'avec cette matiere en existence. Comment separer la forme d'existence d'une chose de cette chose 


La matiere et la forme, on ne le repetera jamais assez, ne sont pas chacune en elle-mime deux choses, deux substances, elles n'existent qu'ensemble. La matiere n'a d'existence que par et 


11 11 ne s'agit pas ici d'une perfection morale mais d'une perfection ontologique ; c'est dire que certains titres ont une plus grande richesse d'être que d'autres, parce que leur constitution leurs permet d'agir de maniere plus ou moms elaboree. Ainsi l'homme est-il plus parfait ontologiquement que le chien, lui mime plus parfait que la plante ou le caillou. 

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sous une forme (d'existence), et la forme n'a d'existence que par le fait qu'elle est l'existence en acte de la matiere. 


Ainsi done, seul a 1' etre, l'exister, 1' existence, le compose, le mixte matiere et forme, et ce compose c'est l'etre naturel existant. II n'y a done qu'une seule existence pour la matiere et la forme, et cette existence c'est l'existence meme de l' individu naturel et concret, qui est comme taus les autres un compose de matiere et de forme, qu'il s'agisse, par exemple, de cet atome, de ce caillou, de ce chene, de ce chien ou de cet homme. 


Certes, matiere et forme ne se confondent pas, l'une n' est pas l'autre et leurs essences sont irreductibles. Mais elles ne sont cependant pas deux choses ou deux substances a part entiere et se suffisant a elles-memes. Elles sont en realite les deux principes qui constituent tout etre naturel et concret : 

la matière est principe quantitatif  c'est grâce à elle, on l'a vu plus haut, qu'un être a telle taille, telle grandeur, tel volume, tel aspect, et qu'il peut être perçu et mesuré.

la forme est principe quelitatif: qui qualifie, détermine la matière et lui donne son statut d'existence. Cette matière reçoit ainsi un statut d'existence qui la fait être matière du marbre, du rosier, du cheval, ou de l'Homme.

        Mais ce qui existe réellement ce ne sont ni la matière ni la forme à l'état isolé, c'est l'être naturel composé de matière et de forme. Or tout être est un, et ce qui fait son unité, c'est la commune existence de sa matière et de sa forme. Elles n'existent jamais à l'étzat séparé, mais elles se donnent mutuellement l'existence . Dépourvues l'une et l'autre d'existence propre, elles communient l'une et l'autre en une existence unique qui les réalient à la fois et qui du même coup, fait être cet individu précis. (HP)

 

       La matière n'a d'existence que par la forme, et selon cette forme, et la forme n'a d'existence que par le fait qu'elle est l'existence en acte de la matière. Cette                            existence commune de la matière et de la forme c'est l'existence même du composé matière-forme, donc de tout être individuel, naturel et concret.

5 - Le cas particulier dse l'âme humaine

l'âme est donc le nom donné à la  forme qui donne l'être et la vie à tout être vivant. L'âme donne l'être à une matière douée de vie: l'âme est l'existence en acte, d'une matière organisée pour la vie - bref l'âme actue un être naturel du genre vivant.

Pas plus que la matière et la forme ne sont deux choses ou deux substances, lorsqu'il s'agit d'un être inanimé, le corps et l'âme, pour le vivant, ne sont pas deux choses, deux substances: ce sont, ici comme là, les deux principes constituants de tout être vivant, y compris l'Homme. L'Homme n'est il pas, comme tout être naturel et concret de la matière actuée? (HP) 

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Pas plus donc que l'on peut dire que la matiere et la forme s'unissent, l'on ne peut dire que Fame et le corps s'unissent. Il n'y a pas au prealable une ame et un corps existant chacun a part et s' unissant a un moment donne. Corps et ame sont vraiment un, et se donnent mutuellement existence pour realiser ensemble une unité substantielle qui n'a rien a voir avec une union temporaire, ou une juxtaposition. Par la communaute de leur existence, ils constituent un seul etre, une existence unique qui les realise et les fait exister Fun et l'autre a la fois. 


Ce qu'il faut dire, c'est que Fame et le corps, puisqu'ils se donnent mutuellement existence apparaissent en meme temps, et demeurent ensemble tant que l'etre vivant qu'ils constituent existe ; ils disparaissent egalement en meme temps, lorsque celui-ci meurt. 


Mais qu'en est-il de l'âme humaine dont les traditions les plus anciennes ainsi que l'ensemble des religions affirment qu'elle est immortelle ? Il semble y avoir ici une contradiction puisqu'on n'a cesse de repeter que ame et corps ne peuvent exister a l'etat separé. 


Aristote s' est abstenu de rechercher ce que devient Fame humaine apres la mort ; mais, l'ayant etudiee en detail d'apres ses diverses operations, ii est parvenu a. etablir que Fame douee de vie intellectuelle, donc capable de penser et de vouloir, a ainsi une activite spirituelle, c'est a dire qui depasse les capacites de la matiere seule. Cette partie de l'ame qui, grace a. ''intelligence et a la volonte, a acces a. des realites immaterielles a quelque chose de « divin » et devrait etre immortelle et &emetic. Je peux affirmer, dit-il, que cet intellect a quelque chose d'etemel, mais comment existe-t-il de cette maniere separe du monde physique, je l'ignore. On reconnait ici sa rigueur scientifique : v du point de vue de la philosophic du vivant, it ne peut affirmer que l 'dine connaissante est immortelle ; it affirme settlement que l 'intellect agent'`' indique qu'il y a quelque chose d'immortel en l'homme. » (M.D.Philippe.Introduction a la philosophic d 'Aristote, p.147) 


Saint Thomas reprendra le probleme et demontrera13 que Fame humaine est immortelle parce que, par l'intelligence et la volonte, elle a une vie propre qui dépasse les capacites de la matiere.

En effet, la vie intellectuelle a pour objet l'universel et Fintelligiblem qui en eux-memes sont incorruptibles et etemels, donc Fame capable d'en &abater le concept et de les penser est elle-meme eternelle et incorruptible, puisque tout etre agit selon ce qu'il est. (Alors que la matiere qui est par definition corruptible, particuliere, et ephemere, ne peut etre a. l'origine de quelque chose qui est son exact contraire.) 


L' ame humaine a donc une vie propre qui excede les capacites de la matiere, et c'est pour cela que l'on dit qu'elle est subsistante apres la mort, mais cela ne signifie pas qu'elle soit en 


12 Selon Aristote, l'intellect agent est cette partie de Fame qui nous permet d'elaborer des idees et de les penser. 13 Nous traiterons dans un autre tours des preuves de l'immortalite de Fame humaine 14 La vie intellectuelle a pour objet des idees qui sont universelles at intelligibles. Par exemple penser animal, c'est penser une notion qui n'a rien de physique, et qui est bien universelle, puisqu'elle s'applique a tous les animaux possibles et imaginables. D'autre part l'idee animal est intelligible, c'est a dire qu'elle n'est saisissable que par l'intelligence, et jamais par les sens. Penser de meme le beau, le juste, le vrai, Fare humain, la plante, le mineral, c'est penser de l'universel et de l'intelligible a l'exclusion de tout sensible. L'idee ainsi comprise est bien incorruptible (elle ne change pas) et etemelle (le temps n'a pas de prise sur elle). L'animal qui n'a pas de vie intellectuelle n'a jamais acces a l'universel et a l'intelligible. 


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elle-meme une substance separee et autonome — elle le devient en quelque sorte, lorsqu'elle se separe du corps qu'elle actue et dont elle est par nature l'existence en acte. Ce qu'il faut donc comprendre, c'est que lorsqu'un corps se desagrege, se &fruit, la forme d'un etre inanime , ou Fame d'une plante ou d'un animal sont detruites, alors que pour l'homme, lorsque son corps se decompose et perd tout statut d'etre vivant, l'ame humaine subsiste et n'est pas d etruite, parce qu'elle est intellectuelle et qu'elle possede ainsi une vie propre depassant la matiere, et capable de se perpetuer en toute independance du corps. (HP) 


6 — La puissance et l'acte permettent de classer l'ensemble des titres selon leur perfection 


a) Approfondissement des notions de puissance et d'acte 


De tout ce que nous venons de dire, it ressort que tour les titres, y compris les vivants, sont d'une part composes de matiere et de forme, et d'autre part de puissance et d'acte. Et nous aeons vu que, chez les titres corporels, c'est toujours la matiere qui est en puissance de recevoir telle ou telle forme. (Voir ci-dessus p69) C'est toujours elle qui change, car elle est marquee d'une instabilite fonciere puisqu'elle change continuellement, et ce qui la fait changer c'est de recevoir une forme nouvelle. 


La matiere en elle-meme est pure puissance, elle peut recevoir et revetir n'importe quelle forme. Elle peut ainsi etre matiere de l'hydrogene, de l'eau, du chene, de l'huitre, du chat, du cheval, ou de l'homme. 


Donc, dans tout etre compose de puissance et d'acte :

- ce qui est en puissance c'est la matiere capable de revetir n'importe quelle forme d'existence,

-ce qui est en acte c'est la forme, qui fait exister cette matiere et lui donne existence. 


C'est pourquoi ion dit que la forme est l'acte de la matiere, et que l'ame est l'acte premier du corps humain. Cela signifie qu'avant d'agir ou de reagir, de se mouvoir ou d'être ma, de changer ou d'être change, tout etre doit au prealable exister. Or, ce qui le fait exister absolument ce n'est pas la matiere (qui peut etre matiere de n'importe quoi) mais la forme, ou lame pour le vivant. Dire que la forme est l'acte premier du corps, c'est dire que fame fait d'abord et avant tout exister ce corps vivant avec toutes ses facultes vitales. Ensuite, mais ensuite seulement, ce vivant existant, donc compose de corps et d'ame, pourra agir et exercer de multiples activites que ion appellera actes seconds. 


Ainsi l'âme de Paul est l'acte premier de son corps, c'est dire qu'elle le fait exister et vivre tel qu'il est. Ensuite, Paul marchera, parlera, dormira, pleurera, pensera, etc..., toutes ces actions seront des actes seconds. 


Ce qui fait qu'une matiere donnée est precisement matiere de l'or, du chene, du chat, ou de l'homme, c'est sa forme ou son ame pour le vivant, c'est elle qui la fait exister, la definit, et l'organise, c'est elle qui lui donne son etre, son existence, et son statut d'existence. 

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pour tout ce qui deg pas realise en lui et qui peut se realiser. Chaque fois qu'il change tout en demeurant lui-rneme, it cubit un changement accidentel, it recoit une forme nouvelle accidentelle qui s'ajoute a. ce qu'il est substantiellement. Ainsi, le bloc de pierre peut etre peint en bleu ou sculpts pour devenir statue, mais le marbre en tart que tel subsiste, it n'a pas disparu ; le rosier a ete taille, mais it subsiste ; le chat a ete noun-i et arnpute d'une patte, mais it subsiste ; rhomme est devenu chauve, mais it subsiste. Tous ces changements sont des changements accidentels. 


Si le changement fait disparaltre l'etre existant ou fait apparaitre un nouvel etre, it s'agit d'un changement substantiel : 1' eau s'est decomposee en oxygen et hydrogene, le vivant meurt ou engendre un 'etre semblable a lui. 


Et tous ces changements substantiels ou accidentels, qui affectent un etre en acte, etaient, avant qu'ils ne se realisent, en puissance en lui : le marbre etait en puissance de devenir statue. le rosier d' etre mule, le chat d' etre boiteux, et rhomme d'être chauve, d'engendrer ou de mourir. On voit done bien que tout etre existant en acte est encore en puissance d'être ou de devenir beaucoup de choses. 11 est done bien a la fois, et tout au long de son existence, compose de matiere et de forme et de puissance et d' acte. 


Il faut encore ajouter : 


- Que tout etre est en puissance selon sa nature propre, c'est a dire selon sa forme, son statut d'existence. On nest pas en puissance de tout et de n'importe quoi ainsi le bloc de marbre n'est pas en puissance d'engendrer ni de se deplacer par lui-meme car cela n'est pas inclus dans sa nature, dans sa foline d'existence ; mais le merne bloc de marbre est en puissance d'être taille de telle ou telle facon ou meme &etre casse, car sa nature le lui permet. Le rosier ne peut courir ni temoigner de la joie ou de la peur, car ce n'est pas implique par sa nature, mais it peut pousser, fleurir et fructifier. L'animal ne peut parler ni apprendre a, lire, mais it peut courir, avoir peur et reconnaitre le danger. L'homme ne peut marcher au plafond ni vivre sans respires, mais it peut lire et composer un poeme. D'ou I'adage classique : On agit selon ce que l'on est

C'est donc la forme qui determine les puissances de retre quel qu'il soil. 


- Qu'aucun etre ne passe de lui-meme de la puissance a l'acte, car it est impossible qu'un etre en puissance recoive une qualite ou une perfection qu'il ne possede pas en se la dormant lui-merne. I1 faut imperativement qu'un agent en acte (un etre en acte) lui donne ou lui fasse acquerir ce qui lui manque, done le fasse passer de la puissance a r acte. Ainsi, le marbre en puiSsance de devenir statue, ne le devient en acte que par r exercice en acte de r art du sculpteur ; recolier savant en puissance le devient grace au professeur savant en acte. 


- L'acte precede toujours la puissance, puisqu'il faut un agent en acte pour faire passer un etre de la puissance a l'acte. 


- La puissance est done toujours relative a Pacte puisqu'elle est orientee viers rade a. realiser, elle est pour l'acte. C'est en effet seulement par rapport a l'acte que la puissance se comprend ; ainsi c'est seulement par rapport a la maison realisee en acte que les artisans vont agencer les materiaux en puissance de devenir maison c'est seulement par rapport a. la bonne sante que l'on 

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peut comprendre Ie fait de gueiir, car guerir c'est passer de la puissance a l'acte d'être en bonne sante. 
- La puissance ne peut exister a Petat pur, vela signifie qu'aucun "etre ne peut etre que pure puissance. Tout etre, (sauf Dieu qui est acte pur, c'est a dire depourvu de toute puissance) est toujours un compose de puissance et d' acte. Donc si un etre existe, it est en acte, puisque exister signifie etre en acte, et ii est en puissance pour tout ce qui n'est pas realise en lui. 


Inversement l'acte n'existe pas a l'etat pur sauf en Dieu. Un etre qui ne serait qu'acte serait parfait et doue de toutes les perfections possibles. Un tel etre, s'il existe, ne peut 'etre que l'Absolu, l'Etre en plenitude, c'est a dire Dieu, disent Aristote et saint Thomas.

 Les êtres corporels ont toujours en eux une multitude de puissances non realisees et it leur manque en plus tout ce qui ne 'convient pas a leur nature. Its ne peuvent donc jamais etre acte pur. De plus ils sont composes de matiere et on a vu que la rnatiere est instable et toujours en puissance d'acquerir de nouvelles formes, donc de changer.

Les esprits puns vu anges, depourvus de matiere, dont Saint Thomas affirme l'existence, sont dotes d'une nature bien particuliere qui leur donne certaines perfections mais pas toutes les perfections possible, puisqu'ils sont sont limiter n'etant pas l'Absolu. 


Dieu, par contre, Premier Moteur immobile, Premiere Cause du mouvement, Source de tout , Cause universelle, Unique Absolu, est obligatoirement Acte Pur, Etre Absolu, Plenitude d'être puisque en lui tout est realise, tout est en acte. Depourvu de tout manque, de toute imperfection il n'y a en lui nulle trace de puissance, et ii est done totalernent immateriel. 
Dieu seul est , dit Saint Thomas en completant Aristote, absoltunent immuable, parfait, etemel, car it est Etre meme subsistant; iI ne peut rien devenir, car tout est realise en lui et aucune perfection ne lui manque it est Acte Pur. 


b) Hierarchic des titres 
L' ensemble des titres se classe donc entre deux inftnis 
- La matiere, infinie par indigence d'être. Elle est consider& ici comme un des deux principes metaphysiques constituent les titres corporels, l'autre etant la forme. Par elle-meme, on l'a vu, elle est sans forme, elk n'existe pas concretement, elle n'est pas un etre, elle est pure puissance. Dependant elle n'est pas rien « car tout corps est puissance de quelque chose de determine » (A.Gomez-Muller Chemins dAristote) Elle n'est pas seulernent de l'ordre du possible ou de l'imaginaire, elle est d'ordre ontologique puisque toute orientée vers l'etre et I' existence : « elle aspire a la forme », dit Saint Thomas. 


l'Acte Pur, infini par plenitude d'etre. Dieu en qui tout est realise : Etre en plenitude. 


15 Rappelons qu'ils ont montre l'un et l'autre que l'existence de Dieu est necessaire, sinon l'ensemble de l'univers et tout ce qui est devient inexplicable 
16 Il affirme leur existence en th&,ologien, c'est a dire en se basant sur la foi en la R6v6lation. La raison est incapable de &montrer par elle-mime leur existence, mais Saint Thomas montre qu'elle est probable et pas irrationnelle car, dit-il : « Sans eux l'oemrre de Dieu ne serait point parfaite, car elle n'aurait pas toes les degres d'être.

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Entre ces deux infinis se rangent tous les titres composes de puissance et d'acte. Plus its sont en puissance plus ils sont proches de la matiere, et plus leurs capacites sont reduites, plus ils sont en acte plus ils s'elevent, plus leurs capacites augmentent, et plus ils se rapprochent de Dieu (17). C' est leur forme qui leur donne un statut d' existence plus ou moms parfait, une nature plus ou moms capable d'operer par elle-meme des actes d'une plus ou moms grande perfection. 


Au plus bas, le mineral, beaucoup plus en puissance qu'en acte. Sa forme ne fait pas plus qu'organiser sa matiere. Par lui-meme it ne peut rien, il est entierement soumis aux lois physico-chimiques de la nature, et a des forces qui lui sont exterieures. 


Au dessus, le vegetal dont la forme qu'on appelle ame vegetative organise la matiere, mais lui donne en plus la faculte de puiser dans la nature et de transformer ce qui est necessaire a sa vie, ainsi que de se reproduire


Au dessus, l'animal dont la forme ou Ame animale organise la matiere, lui donne la vie vegetative, mais en plus lui donne la capacite de sentir et de connaitre les realites physiques, grace a son systeme nerveux. L' animal a ainsi une bien plus grande capacite que la plante puisqu'il peut agir par lui-meme, se &placer (pour certains, eprouver des sentiments, etre dresse, acquerir une experience, etc. 


Enfin au sommet des titres corporels : l'homme dont la forme ou ame intellectuelle organise la matiere, lui donne la vie vegetative, la vie sensitive, et en plus lui donne la vie intellectuelle qui se manifeste par ces deux facultes qui n'appartiennent qu'a lui : l'intelligence et la volonte. 


L'homme se situe, comme le dit Saint Thomas, comme l'etre corporel le plus parfait, il peut etre consideré " comme une sorte d'horizon et de ligne frontiere entre l'univers corporel et l'univers incorporel » En effet, par son corps, il appartient au monde materiel et visible, mais par son ame it appartient au monde incorporel et invisible. Grace a ses facultes d'intelligence et de volonte il a acces a des realites immaterielles, universelles et eternelles : le vrai, le beau, le bien, etc. 


Par son intelligence, il cherche la verite                                                                                                                                                                                                                              Par sa volonte, it cherche le bien 


S'il ne les possede jamais totalement, il les cherche et peut les decouvrir partiellement. Or, la verite comme le bien ou le beau sont des notions intelligibles qui ne peuvent etre saisies que par l'intelligence. 
L'homme a done une vie vegetative comme les plantes, une vie sensitive comme les animaux, et une vie intellectuelle qui lui permet de comprendre et de vouloir. 


(17) Rappelons qu'il s'agit ici de tichesse ontologique et non de perfection morale. Voir ci-dessus note page 86. 

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Au dela de la frontiere qui separe le monde corporel du monde incorporel se situent les anges ou esprits purs depourvus de toute matiere, mais esprits cites donc limites. La matiere etant puissance ils sont beaucoup plus en acte que nous, c'est a dire qu'lls n'ont pas les limites qu'imposent la matiere, mais ils sont limités par leur statut de creature. 


Enfin au sommet de tout Dieu acte pur, Etre en plenitude en qui tout est realise. En lui nulle trace de matiere ni de puissance. 


c) Plus un etre est en acte plus it est parfait 


Il y a donc une hierarchie des formes d' existence qui determine rechelle des etres qu'elles actuent. 


Les formes situees au plus bas de l'echelle qui actuent les corps mineraux ne font qu'organiser leur matiere et ne leur donne aucune capacite supplementaire. Les mineraux, en effet, n'agissent pas par eux-memes, mais sont totalement soumis aux forces physico-chimiques de leur environnement : ils ne possedent qu'une inclination qu'on appelle tendance naturelle » dit Saint Thomas. Leur forme « s'epuise » dans la matiere, « se vide en quelque sorte de toute son energie » (HP), elle n'a pas d'autre role que de l' organiser et de lui donner son statut &existence. De tell etres sont done beaucoup plus en puissance qu'en acte, puisque leurs capacites d'action sont quasi inexistantes. 


Les formes végétatives ou végétales, qui donnent etre et vie aux plantes, actuent des etres qui ont beaucoup plus de capacites que les mineraux : la plante, en effet, puise dans son milieu sa nourriture et la transforme en sa propre substance. Elle possede encore la faculte de croitre et de tendre vers la lumiere, elle est donc douee par elle-meme d'un certain mouvement, et, de plus, elle est capable d'engendrer. Elle a par elle-meme, déja, une multitude de capacites, elle est donc plus en acte que le mineral. Sa forme lui confere une plus grande richesse ontologique, elle ne fait pas qu'organiser la matiere, elle ne s'epuise pas dans la matiere, mais elle donne au vegetal la vie, et lui permet d'agir et de se realiser par lui-meme, ce dont le mineral est incapable. 


Les formes sensitives ou animales, qui donnent etre et vie aux animaux, leur donnent une richesse ontologique et des capacites superieures et infiniment plus nombreuses et varides que celles que possedent les vegetaux. L'animal, s' it possede toutes les capacites du vegetal, a en plus un systeme nerveux, done une sensibilite, qui lui permet de percevoir, d'eprouver des sentiments, et de connaitre. Par la connaissance, qui n'est que sensible chez lui, it accede déjà une certaine immatorialite : connaitre son maitre, le reconnaitre, c'est avoir en lui son image, son odeur, sa voix, mais l'avoir de fawn immaterielle. Connaitre, en effet, ce n'est pas avoir en soi, en chair et en os, ce que l' on connait, mais c'est l' avoir de fawn immaterielle. Et c'est a partir de ce pouvoir de connaissance et de reconnaissance que l'animal peut d'agir par lui-meme, par exemple pour retrouver son maitre, ou poursuivre sa proie. L'animal grace a la perfection beaucoup plus grande de sa forme est donc beaucoup plus en acte que le vegetal est beaucoup moins en puissance que lui. 

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La forme intellectuelle ou humaine, qui donne etre et vie a l'homme, surpasse de loin ces formes inferieures. En effet, si elle donne a l'homme vie vegetative et vie sensitive, elle lui permet encore, grâce a l'intelligence et a la volonté, de connaitre et de vouloir. Or, la connaissance humaine depasse celle de l'animal qui ne peut connaitre que des objets sensibles, donc materiels. L'homme connait, bien stir, lui aussi, les objets materiels, mais, grace a son intelligence, il va jusqu'à connaitre l'être même des choses, leur essence, leur nature profonde et radicale, ce qu'Aristote et Thomas d'Aquin appellent leur forme, et nous savons que la forme est immaterielle. En cela, iI dépasse infiniment l'animal. Par sa volonte, enfin, it poursuit le Bien, mais pas seulement le bien sensible et materiel (abri, nourriture, chaleur, plaisirs corporels de toutes sortes) it poursuit le bien en lui-mime, le meilleur, le Souverain Bien qui l'accomplit, le Beau qui le comble, et le Vrai qui satisfait son intelligence. De telles realites sont immaterielles et inaccessibles a l' animal, qui ne soupconne mime pas leur existence. 


II ressort de tout cela que plus on monte dans l'echelle des titres, plus la forme se degage de la matiere, plus elle est parfaite, et plus l'etre qu'elle actue est en acte. Ce qu'explique ce texte de saint Thomas : 


« C'est par la matiere que la forme est restreinte, et c'est pourquoi nous disions que les formes, a mesure qu'elles sont plus inunaterielles accident a une sorte d'infinit6 On mit donc que l'immaterialite d'un etre est ce qui fait qu'il soil done de connaissance, et son degre de connaissance se mesure a son imtnaterialite. Aussi Aristote explique-t-il dans le (rake De l'Ame, que les plantes ne connaissant pas en raison de leur materialite .Le sens (vue, toucher, odorat, etc.), lui, est connaissant, parce qu 'il a la capacite de recevoir des formes sans matiere ; et !Intellect est connaissant a un plus haul degre encore, parce gull est plus separd de la matiere, et non melange a elle, confine le dit Aristote, dans son traite De l'Ame, it en « emerge Or, comme Dieu est an sommet de l'immaterialite, comme on l'a vu precedemment, Dieu est en consequence an sommet de la connaissance. » 


Pour bien comprendre ce texte it faut approfondir les passages suivants  


* « C'est par la matière que la forme est restreinte. »

Nous savons que, par definition, la forme en elle-mime, n'est qu'un principe metaphysique, et qu'elle n'a pas d'existence tant qu'elle n'est pas unie a de la matiere. La forme, c'est reellement ce qui determine la matiere, c'est l'essence du compose matiere-forme qu'est tout etre, c'est ce qui le definit, le fait etre, et lui donne son identite et sa nature propre.La forme, tant qu'elle n'est pas unie a une matiere, possede une sorte d'infinite :par exemple, la forme chine en elle-mime, c'est le Chine en Soi dont parlait Platon, elle contient en elle toutes les determinations possibles et imaginables pouvant caracteriser tous les chines possibles; mais des qu'elle est unie a une matiere et qu'elle devient forme de ce chine precis, elle perd de son amplitude, de son infinite pour n'etre plus que la forme de ce chine-la avec toutes ses caracteristiques particulieres, par exemple : mesurer 25 metres, etre depouille de ses feuilles, etre tordu ou avoir ate foudroye.Ce qui retreint son infinite, c'est donc bien la matiere, le fait d'être unie a une matiere precise et d'être liinitee par elle. 


Inversement, on peut dire que la matière est limitée par la forme Nous savons que, par definition, la matiere en elle-même n'est qu'un principe metaphysique, et qu'elle n'a pas d'existence concrete tant qu'elle n'est pas actuée par une forme qui la fera devenir matiere du marbre, du chine, du chat, ou de l'homme. En tant que principe metaphysique elle possède une 

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puissance infinie puisqu'elle est en puissance de devenir tous les titres corporels possibles, sans restriction aucune. Au moment oil elle recoit une forme qui la fait etre tel compose de matiere et de forme, donc tel 'etre determine, elle existe concretement comme matiere de cet etre la, mais elle a perdu l'infinite de sa puissance ; elle ne peut plus devenir une infinite de choses, elle ne peut devenir que ce qu'implique la forme qui l'actue. Ainsi, si elle est devenue la matiere du marbre, elle n' est plus en puissance d'être autre chose que ce marbre la tant qu'elle est marbre ; ses seules puissance sont d'etre taillee en forme de statue ou de vase, ou d'être utilisee comme dallage ,ou comme un elements architectural quelconque, ou encore autre chose. Etre actuee par une forme, la fait exister reellement avec un statut d'existence précis, ce qui lui fait perdre l'infinite de la puissance mais lui fait acquerir la perfection d'exister


Saint Thomas en conclut donc que :

" .. La matiere, laquelle est determinee et limit& par la forme en reçoit sa perfection ; car rinfini attribue a la matiere est impatfait, puisque c 'est l'infini d'une matiere sans .forme. La forme, au contraire, ne doit pas sa perfection a la matiere ; car, par elle, elle se trouve bien plutot contractee, reduite, perdant du fait de son union a la matiere, son amplitude. 


* « A mesure qu'elle sont plus immaterielles elks accedent a une sorte d'infinité »

La forme, par definition, est immaterielle, mais comme on l'a dit plus haut, elle peut plus ou moins s 'epuiser dans la matiere. Plus elle en « emerge » plus elle est parfaite, et plus elle est en quelque sorte immaterielle, et plus l' titre qu'elle informe accede, grace a la connaissance, a une multitude de realites de plus en plus nobles et immaterielles et qui tendent vers l'infini. De meme, plus la forme est degagee de la matiere (au sens precise ci-dessus), plus elle est capable d'agir par elle-meme. Car c'est toujours la matiere qui limite la forme : ainsi le corps humain limite les capacites de raw, il offre une resistance a son activite intellectuelle et volontaire : fatigue, maladie, limites propres a sa nature meme : ainsi on ne voit que devant soi car on n'a pas des yeux derriere la tete, on ne peut penser serieusement a deux choses a la fois, on n'agit pas lorsque l'on dort, etc. 


Au sommet de rechelle des titres existe une forme parfaite, depourvue de toute matiere, qui ne connait aucune limite, c'est 1' Etre en Plenitude, Acte Pur : Dieu. 


Saint Thomas precise que :

« ..Plus la forme est d'un degre eleve, plus elle a d 'emprise sur la matiere corporelle, moins elk y est o immergee h, et plus elle la depasse par son activite ou sa puissance. (...). Et plus on s Weve dans l'echelle des titres, plus on trouve que la capacite de la forme depasse (les capacites de) la matiere elementaire : reime vegetale la depasse plus que ne le fait la forme du metal, l'cime sensitive plus que ne le fait l'eime vegetative. Or, l'eime humaine est la forme la plus ekvee en perfection. Sa puissance depasse si fort la matiere corporelle qu'elle possede une activite et une faculte où cette matiere n'entre en aucune façon. Cette faculte c 'est l'intelligence. (S Th Ia 76/1) 
L'ame humaine tout en etant la forme du corps et lui donnant toutes ses capacites, le &passe infiniment par l'activito de l' intelligence et de la volonte. Ces deux facultes de lame ont pour objet des realites immaterielles, elles sont donc elles-memes immaterielles puisque tout être agit selon ce qu'll est. 

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Si l'intelligence et la volonte sont de nature immaterielle, elles agissent pour connaitre et vouloir sans recourir a un organe materiel, a la difference de la connaissance sensible qui a besoin de ces organs materiels que sont les sens externes et l'ensemble du systeme nerveux. Une telle affirmation peut etonner car nous pensons souvent que le cerveau est l'organe de la pensée et de la volonte, puisque lorsqu'il est lese, celles-ci sont perturbees voire andanties. Nous verrons plus loin, en analysant a fond le phenomene de la connaissance, que le cerveau est, en effet, une condition indispensable de la pensee, car it lui presente ses objets de pensée : " on ne pense pas rien, on pense ee qui est » (HP). Et pour penser ce qui est, it faut kid le connaitre grace aux sens et aux images mentales. Aristote affirme a maintes reprises que nous ne pouvons penser sans images, or, l'image est le fruit de la connaissance sensible. Le cerveau est donc la condition de la pensee, mais i1 n'en est ni l'organe (ce qui la produit), ni la cause. II est de nature materielle, et it est impossible qu'il elabore des pensees ou des idees dont la nature est l'exact oppose de celle de la matiere. En effet, la matiere est par definition materielle, changeante, particuliere, ephemere, et corruptible, l'idee est immaterielle, immuable, universelle, eternelle, et incorruptible. Tout 'etre agit selon ce qu'il est : l'etre materiel ne peut donc agir que materiellement, ce qui est le cas du cerveau : l'image mentale qu'il produit nest faite, en effet, que des caracteristiques physiques de l'objet qu'elle represente. 


Pour le faire comprendre, on peut prendre l'exemple du violon, qui est bien la condition indispensable de la musique, mais qui n'en est ni l'organe (ce qui la produit), ni la cause. Un violon, a lui seul, ne peut produire quelque musique que ce soit, ii emet des sons et fait entendre la melodie mais ce qui produit la musique et qui en est la cause c'est le compositeur. Pareillement, le cerveau donne a l'intelligence ses objets de pens& et ii manifeste la pensée ou la fait entendre par la parole ou l'ecriture, mais c'est l'intelligence seule qui la produit et qui en est la cause. 

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                                                                                                                              III — La connaissance 
1— Qu'est-ce que connaitre ? 


Rappel la connaissance est d'abord un phenomene habitue! et fondamental de notre vie quotidienne. Au debut de ce cours, et en n'utilisant que notre experience la plus ordinaire, nous avons constate les principales caracteristiques de ce phenomene : 


1) La connaissance implique toujours deux acteurs : le sujet connaissant et l'objet connu : on ne connait pas rien, on connalt quelque chose. 
2) Une relation s'etablit entre eux : c'est une union qui respecte l'identite de chacun. L'union est reelle mais sans fusion. 
3) La connaissance est un changement qui modifie reellement le sujet et l'objet, cependant chacun d'eux reste ce qu'il est substantiellement et physiquement. 
4) Comme tout changement, la connaissance est un processus ou un devenir qui se deroule dans le temps. Il y a donc un temps avant la connaissance, it y a le moment de la connaissance, et l'après de la connaissance. 


Les principales theories de la connaissance avant Aristote 


- Heraclite : o Tout coule, tout s 'ecoule, rien ne demeure. » Seul le mouvement, qui affecte l'ensemble des realites physiques, existe, et nous ne connaissons que lui, nous ne pouvons donc jamais atteindre un etre stable et determine.La connaissance se fonde sur la sensation. 


Parminide : Il n'existe qu'un etre unique, incree, immuable et &ernel qui constitue a lui seul le Tout du monde. Mouvement et changement ne sont que des illusions. Etre, c'est penser et donc aussi connaitre. La connaissance est donc permanente et it y a identite numerique entre le sujet et 1' objet confondus dans 1'Etre unique du Tout La connaissance se fonde sur l'idee. 


-  Democrite : L'Etre est emiette en une multitude d'atomes qui, en s'agglomerant constituent l'ensemble des objets corporels. Connaitre, c'est recevoir en soi un double en miniature de !'objet. La connaissance est un devenir purement physique qui consiste a avoir en soi une copie ou une representation materielle de l'objet. 


- Empedocle : L'Etre est emiette en une infinite de particules d'eau, d'air, de terre, et de feu, animees d'un mouvement eternel et alternatif de rapprochement et de separation sous !Influence de !'Amour et de la Haine. Tout est fait de tout, et c'est ridentite de composition (identite specifique) entre l'objet et le sujet qui permet la connaissance, car o le semblable est connu par le semblable », et : 

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« C 'est par la terre que nous voyons la terre, par l'eau que nous voyons l'eau, Par I 'ether, l'ether divin, et par le feu le feu destructeur. Par l'amour nous connaissons l'amour, la discorde enfin par la triste discorde. » 


- Platon : Connaltre, c'est pour l'Ame se ressouvenir des Idees-Formes qu' elle a contemplees avant de tomber dans le corps, lorsqu'elle sejoumait dans le Monde divin des Idees. C'est la Theorie de la Reminiscence : la sensation ne nous donne que des connaissances troubles et confuses qui relevent de l' opinion. Seule la reminiscence intellectuelle nous permet d' atteindre la certitude de la verite. 


2 — La connaissance selon Aristote et Thomas d'Aquin 


Aristote et Thomas d'Aquin distinguent deux etapes constitutives de la connaissance

- La connaissance sensible, commune a l'animal et a l'homme selon des modalites diverses, car les differentes especes d' animaux ne connaissent pas toutes de la meme fawn.

- La connaissance intellectuelle, qui n'appartient qu'd l'homme. 


                                                                                                                       LA CONNAISSANCE SENSIBLE 
 


Nous saisissons par la connaissance sensible l'ensemble des realites materielles perceptibles par nos sens. 


Nous avons vu que tout etre materiel, est un compose de matiere et de forme qui possede une unite substantielle fondamentale. Etre, c'est etre un. On ne peut pas couper un etre, quel qu'il soit, en morceaux, sinon on le detruit. Une moitie de chat ou un quart de chat n'existe pas et ce n'est plus un chat. On peut, bien scir, amputer un 'etre d'une partie de lui-meme, si la mutilation est minime it continue d'exister, mais si elle est trop importante it est detruit ou it meurt s' it s'agit d' un vivant. (On peut cependant, dans le cas de certains vivants moins parfaits, les partager en deux et it se constituent alors deux etres nouveaux avant chacun leur unite substantielle propre.) 


Tout etre materiel un, possede des caracteres individuels qui lui sont propres (18) : taille, couleur, odeur, forme, etc. Ainsi, deux individus de meme nature, deux chats, par exemple, possedent chacun des caracteristiques individuelles qui les distinguent : l'un est noir l'autre est blanc et roux, l'un a le poil court l'autre est angora, l'un est petit l'autre est grand et gros, etc. Il en est de meme pour les objets inanimes : tel bloc de marbre se distingue de tel autre par sa taille, son grain, sa couleur, sa configuration. Telle table a un seul pied, telle autre 3 ou 4, et elles sont faites de materiaux differents qui leur donnent un aspect different. 


(18) Rappelons que, pour tour les composes de matiere et de forme de meme nature, c'est la matiere qui les individualise et qui permet de les distinguer, puisque leur forme est la meme. 

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                           Par la connaissance sensible nous connaissons des choses ou des faits materiels, particuliers, individualises et determinés. 


a) La sensibilite externe 


On entend par sensibilite externe celle qui se produit a partis des cinq sens externs que sont la vue, Pottle, l'odorat, le gout, et le toucher. C' est elle qui constitue le point de depart de toute connaissance. 


Les sensibles propres 


Chacun de nos sens est organise pour ne percevoir qu'une seule caracteristique de la realite corporelle, c'est son objet formel ou sensible propre, qu'il est le seul a pouvoir percevoir. Ainsi

: L'objet formel de la vue est la couleur,

L'objet formel de l'ouie est le son,

L'objet formel de l'odorat est l'odeur,

L'objet formel du gout est la saveur,

L'objet formel du toucher a des aspects multiples : chaleur ou froid, durete ou mollesse, secheresse ou humidite. 


La couleur, le son, l'odeur, la saveur, la consistance sont appeles sensibles propres car ils sont l'objet formel et unique de chaque sens. Ils lui sont propres, en effet, seul l'oeil peut voir la couleur, les autres sens en sont incapables, seule I'oreille entend le son, seule la peau distingue le dur ou le mou, le sec ou l'humide, etc. Le sensible propre declanche la sensation et la determine, car c'est vraiment a partir de lui et grace a lui que la sensation se produit et qu'elle saisit une qualite precise et non une autre, par exemple le rouge de la table qui est la, ou le cri de cet enfant- la qui joue aupres de moi, et pas autre chose. 


Les sensibles communs 


A cote des sensibles propres, Aristote et Saint Thomas distinguent les sensibles communs : « les sensibles communs sont le mouvement, le repos, le nombre, la figure, la grandeur, car les sensibles de cette deuxieme sorte ne sont propres a aucun sens mais communs a tous. ) (Aristote. De Anima) 


Ainsi la figure, c'est a dire les contours, la configuration, la position et le volume de l'objet, est percue a la fois par la vue et le toucher. Le nombre, c'est a dire la multiplicite, est percu par la vue, le toucher, et l'ouie. La grandeur, c'est a dire la dimension des choses : hauteur, largeur et profondeur, est percue par la vue, le toucher, l'ouie, et l'odorat. Le mouvement et le repos sont percus a la fois par la vue, le toucher, l'ouie, et meme de facon approximative par l'odorat. 

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Le sensible commun ne determine pas la sensation comme le sensible propre, mais it a un role extremement important, puisqu'il la situe dans l'ordre de la grandeur, du volume, de la configuration, de l'espace et du temps, donc de la quantite. 

Il donne « le mode et la mesure de la sensation. En effet, tous les objets communs se ramenent a la quantite. (...) D'une certaine facon, le sensible commun encadre la perception sensible. Si je ne voyais pas la couleur dans une certaine figure, a une certaine distance, selon certaines dimensions, dans une certaine pluralite ou unicite, la perception que j'aurais de la couleur en serait totalement informe et ne me rendrait pas compte de la realite de la chose exterieure. Mais parce que je vois la couleur, non seulement dans son aspect qualitatif mais aussi par rapport aux quantites qui la limitent, ma perception de la realite est de beaucoup plus juste ; it en est de meme de tous les autres objets communs. Le role de l'objet commun consiste done a ajuster la sensation a la realite exterieure. 11 ne faudrait pas croire que l'objet commun vient du sujet connaissant19. Bien au contraire, les dimensions des corps appartiennent aux corps. Ce n'est pas une projection du sujet connaissant. » (A.Lizotte.La Personne humaine p.76) 

Que faut-il pour que la sensation se produise ? 

1) Que l'objet soit present pour que les sens puissent en saisir les differentes caracteristiques. 

2) Que l'objet agisse sur les sens, car c'est lui qui declanche et determine le phenomene de la connaissance. En effet, contrairement a ce que nous pensons habituellement, ce n' est pas le sujet connaissant qui décide de la connaissance sensible, ce n'est pas lui qui en a l'initiative, c'est l'objet connu. Si on reflechit un tant soit peu, on peut le comprendre aisement. Ainsi, je suis seul chez moi tranquille, j'ecris devant la fenetre ouverte et, soudainement un chat saute sur la table. Je le connais alors, et c'est lui qui se fait connaitre a moi par le bruit de ses pattes sur la table, par sa couleur, son odeur, la douceur de sa fourrure qui me frole, etc. Tout ce que j'ai ainsi pewit me vient de lui, cela s' est impose a moi et je n'ai pas choisi de percevoir ces qualites precises, et de connaltre ce chat la, qui probablement me derange dans mon travail. C'est lui, le chat, qui a agi le premier sur mes sens qui, ont subi passivement cette action : ma thine a ete impressionnee par son image, mon tympan a vibre an bruit qu'il a fait, mon odorat a saisi les particules olfactives qu'il émet, etc. 

L' experience montre donc que pour que la connaissance sensible puisse se produire I' objet doit être present, et que c'est lui qui agit le premier sur nos facultes de perception. Dans la connaissance c 'est toujours le monde qui commence, car c'est bien l'objet materiel qui se fait d'abord connaltre a nous par sa simple presence. C'est en ce sens que l'on dit que tout etre est dynamogenique, c'est a dire qu'il agit sur tout ce qui I'entoure ou que sa presence rayonne, et quand cette action s'exerce sur un titre capable de connaitre, c'est elle qui declanche le processus de la connaissance. 

« .11 s'ensuit que l'acte de penser depend du sujet qui peut l'exercer a son gre, Landis que l'acte de sentir ne depend pas de lui : it est necessaire en effet que le sensible lui soit donne. " (Aristote. De Anima 11,5) 

19 C'est ce que pensait Emmanuel Kant qui ramene les sensibles communs a deux sortes : l'espace et le temps et en fait des formes a priori de la sensibilite. (A.Lizotte) 

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3) Que les sens soient en etat de percevoir, ce qui implique d'abord qu'ils soient en bon etat physique, sinon la perception sera totalement impossible, diminuee ou denaturee. Ensuite, it faut que le sujet connaissant soit en etat de veille et d'attention, un sommeil profond ou la distraction n'empeche pas la sensation, mais elle n'est pas alors percue consciemment, donc it n'y a pas de reelle connaissance. Il faut enfm que l'environnement permette a l'objet de se manifester, ainsi obscurite ou une trop vive lumiere empechent la vision, un bruit violent assourdit et interdit plus ou moins completement une perception auditive de bonne qualité. 

4) Si toutes ces conditions sent remplies la perception peut se produire, l'objet est alors connu de fawn immediate grace a son action sur les sens. 

II y a donc un contact direct et sans intermediaire entre l'objet, ou ce qu'il emet, et les sens, de la vient la certitude absolue de la sensation. Nous sommes certains de ce que nous voyons, touchons, sentons. 
Et pourtant Descartes affirme que nos sens nous trompent, et nous avons tous constate que nous pouvons faire parfois des erreurs de perception volontaires (trompe-l'oeil) ou non (mirages, illusions d'optique). 

Dans quelle mesure pouvons-nous faire ou non confiance a nos sens ? 

Complètement, quand it s'agit de la perception des sensibles propres. Si nos sens sont physiologiquement sains, nous pouvons leur faire une confiance absolue, car ils percoivent directement et sans intermediaire leur objet propre. Its n'ont besoin ni de se le representer ni de l'imaginer comme lorsque nous pensons. Ainsi, c'est bien le rouge de la fleur que je vois, je sens reellement la table sur laquelle je m'appuie, et la fermete du sot sous mes pieds, j'entends vraiment le son des cloches, je sens reellement l'odeur appetissante qui provient de ma cuisine, et si c'est une odeur de film& que je percois, j'ai tout inter& a faire confiance a mon odorat avant que l'incendie ne se declare. Nous pouvons donc faire confiance dans tous ces cas a nos sens, sinon notre vie quotidienne deviendrait carrement impossible et merne dangereuse. 

Mais ce qu'il faut reconnaitre, c'est que les erreurs de sensation proviennent toujours de la perception des sensibles communs qui nous péesentent les données quantitatives du monde exterieur. Etant percus par plusieurs sens a la fois, les sensibles communs font I' objet d'un ajustement, d'une composition et d'une interpretation au niveau de la sensibilite interne (du cerveau), et c'est la qu'il peut y avoir erreur. Je peux ainsi me tromper sur la taille d'un objet situe a une grande distance, sur sa forme, par exemple : prendre un homme pour un animal a la lisiere du bois, ou ne pas voir un lievre a fourrure blanche sur la neige. 

J'appelle sensible propre celui qui ne peut etre perm par aucun autre sens et qui ne laisse aucune possibilite d'erreur : tel pour la vue la couleur, pour Poure le son, pour le goat la saveur. Le toucher, lui, a pour objets plusieurs qualites differentes. Du moins chaque sens juge-t-il des sensibles propres et 01 se trompe, ce n'est pas sur la couleur ou le son, mais sur la nature ou l'empkcement de l'objet sonore.2° Les sensibles de ce genre sont appeles propres a chaque sens ; les sensibles communs sont le mouvement, le repos, le nombre, la figure, la 

20 Cela revient a dire que l'erreur ne se situe pas au niveau de la sensation mais revient a celui de la perception. (E.Barbotin, notes du DA les Belles Mitres) 

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grandeur, car les sensibles de cette sorte ne sont pas propres a aucun sens mais communs tous. Le toucher, en effet, peut percevoir un certain mouvement, la vue de meme. " (De Anima, II, 6) 

Description philosophique de la connaissance sensible externe 

Aristote et Saint Thomas, pour decrire philosophiquement la connaissance sensible, expliquent qu'il s'agit bien d'un changement subi a la fois par le sujet et l'objet qui, comme tout changement, est un passage de la puissance a l'acte. Ainsi : 

Avant la connaissance : le sujet et l'objet existent en acte separement et independamment l'un de l'autre, tout en etant l'un et l'autre en puissance de connaitre ou d'etre connu.

Il y a, par exemple, Pierre qui travaille, qui existe en acte, tout en etant en puissance de connaitre le chat ; et le chat qui marche au dehors, qui existe en acte, et qui est en puissance d'être connu de Pierre. 

A l'instant de la connaissance : l'objet tombe sous le sens du sujet et le fait passer de la puissance A l'acte de connaitre, et lui-meme passe simultanement de la puissance a. l'acte d'être connu.

Ainsi, le chat qui saute sur la table, fait passer Pierre de la puissance a racte de le connaitre, et lui-meme passe de la puissance a, 1' acte d'être connu. 

Ce sont bien les differentes caracteristiques physiques du chat qui, agissant a la fois sur la vue, rouie, l'odorat, l'olfaction et le toucher de Pierre, modifient ses sens, et produisent la connaissance. 

Dans cet exemple, notons que le chat connait egalement Pierre comme Pierre est connu de lui. Ce n 'est que pour la clarte de l'expose que nous avons considers Pierre seulement comme connaissant et le chat seulement comme objet connu. 


Principales caracteristiques de la connaissance sensible externe 

Ce sont donc les objets qui agissent en premier sur les sens qui subissent leur action, cela est possible car : 

- Le sens est une puissance organique, capable de recevoir immateriellement en lui l'objet qu'il percoit. En effet, repetent inlassablement Aristote et Saint Thomas, connaitre une pierre, ce West pas avoir une pierre dans l'oeil ou dans Fame, mais c'est en recevoir l' image, c'est a. dire en recevoir la forme sensible. 

La forme sensible c'est rimage immaterielle de l'objet que nous avons en nous lorsque nous le connaissons, et comme toute image elle donne a voir seulement les caracteristiques sensibles de robjet que nos sens sont capables de percevoir : couleur, odeur, saveur, bruit, consistance, figure, dimensions, etc. 

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- Le sens est une puissance materielle et, comme tout ce qui est corporel, it peut se deteriorer, on comprend alors pourquoi, lorsqu'il est altere par une maladie, un accident ou la vieillesse, la qualite de la perception est atteinte, jusqu'd etre aneantie.

De plus, l' organ qu'est chaque sens, est limite comme tout ce qui est materiel. Ainsi chacun des sens ne peut percevoir que le sensible qui lui est propre : l'oeil ne volt que la couleur, l'ouie n'entend que le bruit, le gout que la saveur... ; it est aussi limite dans son amplitude : 1'061 ne percoit pas l'infrarouge ni l' ultraviolet, l'oreille n'entend qu'une gamme de frequences..; et si l'objet &passe sa capacite, it ne peut plus rien percevoir, et it risque meme &etre definitivement detruit : un son trop fort peut rendre sourd, une lumiere intense aveugler ou meme leser gravement l'oeil, une brillure detruire toute capacite tactile. 

- Ce que le sens percoit est toujours individuel et particulier. Si, comme on vient de le dire, le sens percoit immateriellement son objet, it le percoit selon les conditions de la matiere et seulement sous ses aspects corporels. Ce saisit, ce sont donc les caracteristiques sensibles de l'objet qui, comme l'objet lui-meme, sont individuelles (la couleur de ce chat n'est pas la couleur de cet autre, elle lui est propre et individuelle), quantitatives, situees dans l'espace et le temps, en mouvement, changeantes et éphémères. 

                  En résumé, ce que la sensation percoit ce sont les caracteres materiels, individuels et particuliers de l'objet. 


b) La sensibilite interne 

La description de la connaissance sensible ne serait pas complete si on la limitait a celle de la sensibilite extern. Il y a en nous, en effet, grace a l'apport de nos sens, un univers foisonnant, vivant et mouvant d'images, d'experiences vecues, demotions, et de souvenirs. Dans ce monde interieur nous avons conscience de nos sensations et de nos experiences actuelles et nous pouvons ensuite les revivre, imaginer l'avenir, batir des chimeres, ou encore faire ressurgir des personnes ou des choses déjà connues mais non presentes actuellement. Je peux ainsi revoir et parcourir la maison de mon enfance, en retrouver les odeurs et les bruits meme si elle a disparu depuis longtemps ; je peux aussi entendre la voix d'une personne, revoir sa physionomie et son allure meme si je l'ai completement perdue de vue ; je peux enfin retrouver et eprouver de nouveau la joie intense, la frayeur ou la colere ressenties precedemment. . 

Tout ce que nous vivons actuellement, ainsi que tout ce que nous avons connu et ressenti et qui s'est conserve en nous, et que nous pouvons faire ressurgir, ou que nous utilisons constamment sans meme nous en rendre compte, constitue notre sensibilite interne ou notre vie psychique. La sensibilite interne est en permanence a. l'oeuvre dans noire vie quotidienne et lui est indispensable. C'est grace a elle, en effet, que nous pouvons nous situer dans le monde et notre environnement immediat et nous y sentir en securite. C'est elle qui nous permet d'y avoir des reperes et d'y agir avec siirete et efficacite. Elle nous permet aussi de nous déplacer et de nous orienter. Ainsi : je me leve, je sais que le sol est solide sous mes pieds, que je peux y prendre appui pour me tenir droit et marcher. Je reconnais la disposition des lieux, l'agencement de ma maison, je sais quel geste et quelle energie exacte je dois produire pour ouvrir la pone, descendre escalier, prendre la tasse de mon petit dejeuner, me vetir, sortir, monter en voiture, 

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etc. Tout cela, je l'accomplis sans y penser, car j'ai déjà en moi un monde d'images et r experience de ces situations déjà vecues une multitude de fois. Tout cela, je l'ai conserve et je l'utilise sans meme y penser. Par exemple, si je vais a mon travail, le connais le chemin, l'endroit ou je dois me rendre, et r emplacement de mon bureau, et le soir, je suis aussi capable de retrouver le chemin de ma maison. Bref, je ne suis ni o jete » ni « perdu » dans un monde inconnu et menacant. Bien plus, c'est grace a la sensibilite interne que je peux parley, retrouver les mots, &tire, me rappeler le trace des lettres, la syntaxe de la langue, et ainsi communiquer avec les autres, et tout cela naturellement et sans y penser. Grace a. elle, j'ai en moi un monde d'habitudes acquises et conservées. 

Mais retrouver ainsi son chemin, ses mots, ses reperes signifie que, d'abord je les ai connus, ensuite que je les ai conserves, et enfin que je peux selon mes besoins les faire ressurgir en moi, et en quelque sorte les reactualiser. 

Si la sensibilite interne nous guide dans la vie quotidienne en liant, unifiant et conservant nos sensations et nos experiences, elle est aussi la source de toutes nos emofions.Nous vivons en permanence d'emotions : nous desirons, nous avons peur, nous sommes tristes, joyeux, en colere, nous haissons, nous aimons, etc. Tout cela ne nous est possible que parce que nous pouvons nous representer, revoir, et nous rappeler des objets sensibles, des situations presentes ou déjà vecues et les reactions qu'elles suscitent ou ont suscitees en nous. Cette capacite d'eprouver des emotions est un element important de notre vie psychique et conditionne noire equilibre mental. Sans emotion, sans vie affective, nous ne pourrions pas vivre et nous ne serions pas reellement humains, mais aussi froids et inertes que des statues, et de plus incapables de nous adapter a. notre environnement et aux evenements. 

Cette sensibilite interne, cette vie psychique, faite d'images, d'imagination, de souvenirs et d'emotions resulte entierement de nos sensations qui nous mettent en contact avec le monde exterieur et qui en quelque sorte l'introduit en nous. Cette activite psychique est continuellement en activite sans que nous en soyons forcement conscients. Elle existe egalement chez les animaux, puisqu'ils ont, eux aussi, tine sensibilite externe, donc des sensations et une connaissance sensible. Elle est, Bien stir, plus ou moins developpee selon le degre de perfection de chaque espece animale. L' animal, comme nous, conserve en lui les sensations et les experiences vecues. Ainsi le chien peut reconnaitre sa niche ou temoigner de la joie a son maitre parce qu'il les connait déjà. 

" La sensibilite interne donne ainsi a la connaissance sensible une grande extension en retendant au dela de ce que nous percevons actuellement, a tout ce qui a ete autrefois perdu, avec donc pour seule limite l'ensemble de nos perceptions passees. Mais ce n'est plus comme pour la sensation, une connaissance directe et immediate, atteignant robjet connu dans son action meme sur la faculte connaissance (le sens externe), c'est une connaissance indirecte ou mediate, c'est a dire par 1 'intermethaire de 1 'image conservee en nous, d'oii la possibilite d'illusions de l'imagination (notamment dans la maniere dont elle combine les images entre elles en toutes sortes d'associations comme dans les reves et les hallucinations.) » (Jean Daujat. Y a-t-une verite?) 

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Objet de la sensibilite interne les sensations externes 

11 y a quatre sens internes : le sens commun, l'imagination, la memoire, et la cogitative. Ces sens internes ont pour objet les sensations externes ; c'est a partir d' elles que chaque sens interne travaille et agit d'une facon qui lui est propre, Ainsi, je ne peux me rappeler et me representer par la memoire et l' imagination, l'odeur du café, la douceur de la soie, la couleur de la rose, le son des cloches que, si je les ai kid percues, que si auparavant j'en ai eu la sensation Le sens interne recoit donc la meme chose que le sens externe, c' est a dire toujours les caracteristiques sensibles des chases percues, leurs formes sensibles, mais it va plus loin dans la perception, et c'est lui qui va la parfaire et l'achever. 

Caractitistiques de la sensibilite interne 


La sensibilite interne forme un tout organique et physiologique avec la sensibilite exteme. Nous ne les distinguons ici, que pour la clarte et les besoins de 1' analyse, et pour faciliter la comprehension du phenomene de la connaissance. Il n'y a donc qu'une sensibilite, mais qui a plusieurs fonctions pour nous permettre de connaitre le monde exterieur le plus precisement et le plus completement possible. La sensibilite externe travaille a saisir le plus parfaitement possible taus les aspects sensibles, qualitatifs et quantitatif des choses. La sensibilite interne, elle, lie ces qualites entre elles, les ordonne, pour faire apparditre les objets eux-memes, les situer dans le temps et l' espace21, et les conserver en elle. 

La sensibilite interne presente trois caracteristiques = elle est organique, materielle, et peut agir en dehors de la presence de l'objet. 

Le sens interne est une puissance organique comme le sens exteme. La sensibilite interne, en effet, est lice a l'activite de notre systeme nerveux en general et de noire cerveau en parliculier. On sait beaucoup mieux aujourd'hui qu'au temps d'Aristote et de Saint Thomas que, tout ce que nous saisissons, grace a nos sens externes, penetre en nous grace a notre systeme nerveux. Mais, eux avaient deja parfaitement compris que notre sensibilite depend necessairement du corps et de ses organes. 
Le systeme nerveux est done la condition indispensable de ractivite de la sensibilite interne, et c'est tellement vrai que la moindre lesion du cerveau la troublera plus ou moths gravement, d' ou pertes de memoires, difficultes du langage, hallucinations, etc. 

Le sens interne est une puissance materielle 

"On agit selon ce que l'on est " La puissance de connaissance sensible est materielle puisqu'elle depend du corps, elle connait donc selon les conditions de la matiere. Comme la sensibilite ex-terne, elle se souvient, elle se represente, elle imagine les choses selon leurs caracteristiques materielles : couleurs, odeurs, saveurs, consistances, et elles les percoit situees dans le temps et l'espace selon leur figure, leurs distances, leur volume, etc. 

21 Nous ne voulons pas dire ici que c'est nous qui imposons a priori l'espace et le temps aux objets, ou qu'ils sont purement subjectifs, &ant notre maniere propre de saisir le monde, comme l'affinnera Kant (1724-1804). Ce que nous voulons dire c'est que espace et temps, grace aux sensibles communs, sont reellement percus par la sensibilite exteme de fawn epairse, et sent unifies par la sensibilite interne. 

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Ainsi, si je me represente ou m'imagine une maison, je ne peux le faire que telle qu'elle peut etre vue réellement, c'est a dire sous un certain angle, un certain eclairage, a une certain distance... Je ne peux voir en imagination ou me representer a. la fois qu'une seule ou peut-etre deux de ses façades mais pas plus. Mais, me representer a. la fois et integralement ses quatre façades, r exterieur et interieur, les fondations et la toiture, sous tous les angles, impossible ! Je peux imaginer et me representer une piece precise, salon ou cuisine, mais jamais plusieurs en meme temps, it en est ainsi comme dans la realite ou je ne peux voir en meme temps la totalite d'une chose mais seulement certains de ses aspects particuliers. 

Le sens interne n'a pas besoin de la presence physique de I'objet. Contrairement aux sens externes qui doivent subir son action, pour le percevoir, donc qui exigent sa presence physique, le sens interne fonctionne en dehors de cette presence. La sensibilite interne a pour objet, on l'a vu, la sensation externe : je me represente ou j'imagine ce que j'ai déja vu, entendu, senti, goute, touché, it y a plus ou mows longtemps. Or, la sensibilite externe percoit toujours ce qui est présent ici et maintenant, elle est donc toujours lice et assujettie au present ; la sensibilite interne, elle, peut s'en liberer, car elle peut revoir ou prevoir, reconstruire et imaginer le passé mais aussi l'avenir, sans la presence de ce qu'elle imagine ainsi. Elle va donc plus loin que la simple sensation externe, mais si elle n'est pas assujettie au present, elle est toujours lice au temps et a l'espace, puisque etant une puissance materielle elle ne connalt que des objets corporels situes eux aussi dans le temps et l'espace.. 

En ce sens, nous le verrons plus loin, la connaissance sensible differe de la connaissance intellectuelle qui West pas lice au temps et a respace, puisqu'elle fait abstraction de tout ce qui est sensible, donc lie a la matiere. 

                    En résumé : le sens interne est une puissance de connaissance qui connait sous des aspects particuliers, l'acte du sens externe 

Les sens internes : 

1) Le sens commun : son role est fondamental, car, explique Saint Thomas, it est « comme la racine et le princOe commit a tous les sens internes. " (Somme Th.I, 78,4)

Il a deux fonctions : 


- D'abord, it termine et accomplit la connaissance externe en nous faisant prendre conscience de nos sensations. La connaissance externe ne saisit. que ce que les sens percoivent du monde exterieur. Mais l'oeil ne se voit pas voir, l'oreille ne s'entend pas entendre, le toucher ne sent pas sentir..., car 1'61 ne percoit que la couleur, l'oreille que le son, le gout que la saveur, et ce n'est qu'au niveau de la sensibilite interne et grace au sens commun, que nous savons que, tout ce que nous saisissons ainsi, a etc percu a rexterieur de nous. C'est par le sens commun que nous percevons le fait de la connaissance, l'acte de notre puissance de connaitre. 

Cette connaissance de notre acte de perception achève réellement la connaissance sensible. En effet, si nous voyons ou entendons distraitement, nous n'avons pas reellement vu ni entendu, la connaissance n'est pas parfaite, et on peut a peine dire qu'elle ait eu lieu. C'est ainsi que l'on dit avoir vu sans voir, toucher sans sentir, entendu sans entendre, car il

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n'y a pas eu connaissance ni conscience de la perception. C'est le cas de l'enfant a qui le maitre demande de répéter ce qu'il vient de dire et qui en est incapable ; le son de la voix a bien fait vibrer ses tympans, la sensation externe s'est bien produite, mais au niveau de la sensibilité interne, le processus de la connaissance n'est pas terminé, achevé, l'enfant a littéralement entendu sans entendre

Ensuite, le sens commun nous permet de distinguer nos différentes sensations. Voir, ce n' est, en effet, ni entendre, ni toucher, ni gouter. Cette différenciation affine la perception et la perfectionne, en nous permettant de distinguer sans les confondre les qualités sensibles des objets per-91.1s. 
- Le sens commun est le terme et la racine de la sensibilité externe : toutes les sensations y aboutissent et se conjuguent en lui, it les coordonne, les ajuste, les combine pour nous permettre de percevoir enfin nettement l'objet avec toutes ses caractéristiques sensibles, et de le situer par rapport a l'ensemble des choses que nous percevons. On appelle l'objet ainsi connu au terme de la connaissance sensible, et résultat de l'activité du sens commun : phantasme, image mentale, ou encore forme sensible. 
ne faut pas voir le phantasme ou l'image mentale comme un double, un portrait, ou une représentation de l'objet, diffèrent de lui. Lorsque nous connaissons, ce n'est pas un double ou une copie, que nous connaissons mais bien l'objet lui-même, car c'est lui qui a agi sur nous le premier et nous a déterminé à le connaitre, lui, et pas un autre. C'est lui, qui a fait passer nos sens de la puissance a l'acte de le connaitre, et ce qui est réellement connu c'est l'objet lui-même tel qu'il a agi sur nous, et cette action qui émane de lui est toute a sa ressemblance. 
- Le sens commun est le point de départ de l'activité de la sensibilité interne, puisque c'est a partir du phantasme, donc de l'objet perçu que tous les sens internes vont agir chacun a sa façon
- Le sens commun peut se tromper : Le cerveau est l'organe du sens commun et, comme toute puissance organique, donc matérielle, il peut être lésé ou perturbés dans son fonctionnement : la fatigue, les émotions, la maladie, des substances chimique (médicaments, drogues) peuvent modifier plus ou moins gravement son activité et altérer ses perceptions. C'est ce qui se produit en cas de coma, de maladie d'Alzheimer, d'hallucinations ; le sens commun n'arrive plus a distinguer, coordonner et unifier les sensations externes, d'où l'impression d'être égaré, des confusions, des pertes de repères et des erreurs. 
Les erreurs fréquemment attribuées a nos sens, ne proviennent donc pas, comme nous l' avons déjà remarqué, de la perception externe qui ne se trompe pas quand elle perçoit son objet propre, mais toujours des erreurs du sens commun dues a une mauvaise interprétation de la sensation ou a un mauvais fonctionnement cérébral. 
2) L'imagination Son rôle est de conserver et de reproduire les sensations perçues tout au long de la vie. Ce qu'elle reproduit ainsi c'est le phantasme élaboré par le sens commun. C'est donc réellement l'objet perçu auparavant, qui est rendu présent par l'imagination, mais présent de façon immatérielle. Connaitre une pierre ce n'est pas avoir la pierre matériellement en soi, mais c'est l' avoir immatériellement, c'est en avoir la forme sensible. 

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Et cette forme sensible conservée par l'imagination, et qu'elle peut faire ressurgir et connaitre de nouveau, c'est ce que la philosophie scolastique22 appelle la forme expresse ou l'espèce impresse. Le préfixe ex montre bien que cette forme (ou ce phantasme) est tirée de l'imagination ou elle était conservée. 
Plus loin, nous parlerons de la forme ou espèce impresse, qui est ce que le sens ou l'intelligence reçoit de l'objet lui-même de façon immatérielle, au point de départ de la connaissance. L'objet agit sur le sens ou l'intelligence et les détermine a le connaitre lui et pas autre chose, en imprimant en eux ses caractéristiques physiques ou intelligibles. Ce que le sens reçoit alors, c'est bien la forme sensible de l'objet, forme immatérielle, forme impresse qui s'imprime dans le sujet connaissant. Quand l'imagination reproduit un objet déjà perçu, elle extrait d'elle-même la forme expresse qu'elle avant conservée. 
« Le sensible imprime sa similitude dans le sens et cette similitude demeure dans l'imagination mime en l'absence du sensible. C'est pourquoi Aristote ajoute que le mouvement qui vient du sensible all sens, imprime dans l'imagination comme line figure sensible qui demeure, comme le cachet fait avec l'anneau qui imprime sa figure dans la cire qui la conserve mime si le cachet ou l'anneau sont enlevés. » (St. Thomas. De memoria et reminiscentia) 
3) La mémoire Nous faisons habituellement de la mémoire la faculté du souvenir. En fait, c'est l'imagination, comme nous venons de le voir, qui conserve les sensations, la mémoire, bien entendu se souvient de ce qui a été connu mais en situant les sensations les unes par rapport aux autre dans le temps. Grace a elle, je sais que j'ai rencontre telle personne très récemment, hier ou avant-hier, mais que je l'avais vue pour la première fois y a très longtemps. La mémoire nous permet de savoir selon quel ordre chronologique nous avons connu, c'est a dire de savoir que nous avons connu telle chose avant ou après  une autre, et cela dans un passé lointain ou récent. « La mémoire connait donc ce qui est représenté dans le phantasme produit par le sens commun ; mais elle le connait formellement selon l'ordre d'antériorité et de postériorité qui appartient a la production des phantasmes. Connaitre ainsi formellement, un ordre d'antériorité et de postériorité qui vient du mouvement, c'est saisir quelque chose dans le temps. Ce qui est l'objet propre de la mémoire. » (A.Lizotte.Ibid) 
4) La co2itative nous permet de connaitre le phantasme ou l'objet élaboré par le sens commun selon qu'il représente pour nous quelque chose de favorable ou non, un bien ou un mal sensible. 
C'est déjà au niveau de la connaissance sensible un jugement des expériences vécues. Chez I 'animal on appelle ce sens interne estimative. C'est grâce a l'estimative que le chien est attire par l'odeur de sa pâtée mais aussi effraye par l'homme qui le maltraite, car il a déjà fait l'expérience du bien sensible qu'est pour lui sa pâtée et du mal sensible qu'est pour lui son bourreau. II y a ainsi chez lui l'amorce d'un jugement qui lui fera rechercher run et fuir l'autre C'est la même chose pour l'homme qui sait estimer le bon et le mal sensible, qu'il s'agisse de nourriture, du froid, du chaud, des phénomènes météorologiques, ou de la justesse d'un violon ou d'une harmonie. A partir de la multitude de ses expériences sensibles, l'homme, grâce a la 

22 Philosophie enseignée dans les universités européennes du DC° au XVII° siècle. 

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cogitative, juge, sent, estime, de façon quasi spontanée ce qui est bon ou mauvais pour lui dans le domaine du sensible. 


 Les sens internes perfectionnent et achèvent l'acte du sens externe. Le sens commun perçoit cet acte l'imagination perçoit les phantasmes qu'elle a conserves, la mémoire les situe dans le temps, et la cogitative estime le bien ou le mal sensible qu'ils représentent. 


Sensibilité et intelligence 

La sensibilité, puisqu' elle dépend du corps, est commune aux animaux et a l'homme .Nous savons que la connaissance sensible est une puissance matérielle qui reçoit son objet de façon immatérielle selon les conditions de la matière, et que ce qu'elle connait ainsi est toujours corporel, individuel, particulier, éphémère et corruptible. 

Mais, si physiologiquement, les phénomènes que sont la connaissance sensible, la vie affective et psychologique, se manifestent de la même façon chez l'animal et chez l'homme, ils sont en réalité profondément différents. Pourquoi ? 

Parce que d'abord, la connaissance de l'animal s'arrête a la connaissance sensible, et qu'il ne peut donc connaitre que le sensible selon les conditions énumérées ci-dessus. Chez l'homme, au contraire, la connaissance sensible débouche toujours sur la connaissance intellectuelle dont elle est le préliminaire nécessaire et indispensable : « Toute connaissance commence par les sens »

Ensuite, parce que la connaissance sensible de l'homme, ainsi que sa vie affective et psychique, ne sont jamais assimilables a celles de l'animal, car l'intelligence et la volonté sont présentes et agissent a l'intérieur des puissances sensibles pour les orienter, les perfectionner, et ainsi modifier leur activité. C'est pourquoi on ne peut jamais identifier l'imagination animale et l'imagination humaine, rune et l'autre font ressurgir des phantasmes, mais l'homme le fera souvent non pas spontanément par association d'images, mais guide par l'intelligence et la volonté en vue d'un but précis et c'est la même chose pour tous les autres sens internes. Et c'est pour cela qu'un être humain ne désire jamais, n'imagine jamais, ne se souvient jamais, et ne se met jamais en colère, comme un animal, mais de façon spécifiquement humaine. 

Description philosophique 

1) Connaitre c'est passer de la puissance a l'acte. Nous savons que la connaissance est un changement, mais un changement d'un genre diffèrent de ceux dont nous avons l'habitude. En effet, les titres qui changent habituellement autour de nous sont changes physiquement : ainsi grandir, courir, devenir gros ou chauve, apprendre a nager, tous ces passages a l'acte impliquent bien un changement matériel et visible de celui qui change, et résultent de son activité plus ou moins consciente. Au contraire, le changement qu'est la connaissance n'est ni physique ni visible, il est intérieur celui qui change, on dit qu'il lui est immanent. De plus il ne résulte pas, en premier, de l'activité 

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de celui qui connait, mais bien de l'activité de l'objet qui, par son action préalable sur la puissance de connaitre, déclanche la connaissance. La puissance de connaitre est donc d'abord  passive et non active. 

2) Connaitre; c'est changer d'une " certaine façon ". En quoi consiste cette certaine façon qui caractérise la connaissance ? 

- Changer c'est acquérir une nouvelle forme : 

* C'est vrai lorsqu'il s'agit d'un changement matériel habituel l'hydrogène et l'oxygène qui en se combinant deviennent de l'eau ont acquis une nouvelle forme substantielle, car ils ont change de nature ; le caillou qui, par l'effet du soleil, de froid qu'il était est devenu chaud, a acquis une nouvelle forme accidentelle : la forme chaleur que lui a communiqué le soleil. L'acquisition de cette nouvelle forme s'accompagne toujours de la perte de la forme contraire possédée avant le changement : oxygène et hydrogène ont perdu la forme gazeuse, le caillou la forme froid qu'ils avaient auparavant.

* C'est diffèrent pour ce changement qu'est la connaissance, car il ne fait ni acquérir ni perdre a ses deux acteurs une forme qui les affecte physiquement. En effet, connaitre une maison, une rose, un animal, un ami, ou la langue chinoise, me change réellement, et fait que je ne serais plus jamais le mem, car, ce que j'ignorais maintenant je le connais, et je peux me servir de cette connaissance, non seulement pour y penser, imaginer ou créer a partir d'elle, mais aussi pour agir a l'extérieur de moi et même modifier complètement ma manière de vivre. Il s'agit d'un changement intérieur, qui n'est pas visible puisqu'il n'est pas matériel. 11 ne me change donc pas physiquement mais de façon immatérielle. Par la connaissance je n'acquiers donc pas une forme nouvelle qui m'affecterait physiquement tout en perdant la forme contraire. Si je connais le chat, le bleu du ciel ou la maladie de Paul, je ne deviens pas chat, ni bleu comme le ciel, ni malade comme Paul, je reste physiquement ce que je suis, je n'ai pas revêtu une forme nouvelle. Essayons de décrire ce changement qu'est la connaissance 

Connaitre c'est recevoir immatériellement ce qui émanant de l'objet agit sur le sujet connaissant. Ainsi connaitre une pierre ce n'est pas avoir une pierre matériellement dans l'œil ou dans 1"Ame. Mais pourtant, cette pierre que je connais, qui est réellement présente en moi, est comme tout être corporel un compose de matière et de forme ; si ce n'est pas sa matière que je reçois ce ne peut être que sa forme. 

                                                     Connaitre, c'est donc recevoir la forme de l'autre sans en être soi-même modifie physiquement 


* Dans le cas de la connaissance sensible, je reçois la forme sensible de l'objet, c'est a dire l'ensemble de ses caractéristiques sensibles. 

* Dans le cas de la connaissance intellectuelle, je reçois la forme intelligible de l'objet, celle qui le fait être précisément ce qu'il est et qui lui donne son statut d' existence. 

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Dans la connaissance, dit Saint Thomas, " la forme est revue Immatériellement par le patient 23, car celui-ci s'identifie a la forme de l'agent24 et non a sa matière. C'est donc dématérialisée et non comme dans l'objet sensible, que la forme est perçue par le sens. Cette forme existe de façon naturelle dans l'objet, mais de façon intentionnelle et spirituelle dans le sens. » (Commentaire sur le Traite De L'Ame d 'Aristote) 

3) Forme naturelle et forme intentionnelle 

Recevoir la forme de l'autre, ne veut pas dire, comme Saint Thomas le fait remarquer, que cette forme sorte de l'objet pour penetrer en moi qui le connais, car it perdrait alors son identite ou ses caracteristiques, tandis que moi je deviendrais physiquement lui. Non, dans la connaissance, l'objet agit ou rayonne sur celui qui le connait. Cela veut dire qu'il imprime en quelque sorte dans le sens sa forme sensible et dans l'âme sa forme intelligible. II l'imprime, dit Aristote, a la façon d'un cachet qui grave son relief et ses contours dans la cire. Celle-ci reçoit une empreinte qui vient du cachet et qui est toute a sa ressemblance, mais elle reste de la cire, elle ne se transforme pas, elle ne devient pas le cachet : 

" D'une manière générale, pour haute sensation, il faut entendre que le sens est la faculté apte a recevoir les formes sensibles sans la matière, de même que la cire reçoit l'empreinte de l'anneau sans le fer ni l'or — et si elle reçoit l'empreinte de l'or ou de l'airain, ce n'est pas en tant qu'or ou airain. De même en est-il du sens correspondant a chaque sensible : il pâtit sous l'action de l'objet colore, sapide ou sonore, non pas en tant que chacun de ces objets est appelé telle chose particulière, mais en tant qu'il a telle qualité et en vertu de sa forme. » (DA, II, 12) 

On appelle la forme de l'objet qui s'imprime ainsi dans le sujet connaissant, forme intentionnelle. Grace à elle, le sujet connaissant se tend vers l'objet pour le recevoir et le connaitre reellement lui et pas autre chose. Intentionnel ne signifie pas ici, avec intention, mais exprime le fait de tendre vers, d'être tourné vers. La forme ou espèce intentionnelle par laquelle l'objet se fait connaitre, n'est donc rien d' autre que la forme ou espèce impresse dont nous avons pule plus haut.25 

Ce qui est done reçu par le connaissant ce n'est pas l'etre substantiel ou entitatif (le compose matiere-forme), ce qui est reellement recu c'est l'être intentionnel de la chose, qui le represente vraiment, non a. la facon d'une image, d'une copie ou d'un double, mais a la facon d'une empreinte provenant de l'objet et l'introduisant immateriellement mais reellement dans le sujet. It y a done, dit Aristote, pour tout etre deux fawns d'exister :

- Tout être existe d'abord naturellement en lui-même comme compose de matiere et de forme. La rose dans le vase devant moi existe ainsi, comme le chien que j'entends aboyer ou l'enfant que je vois courir. Ils existent ici, en eux-mêmes, comme êtres entitatifs ou substantiels.

- Tout être existe aussi intentionnellement en celui qui le connait. Cette rose, ce chien, cet enfant, parce que je les connais, existent aussi en moi d'une certaine façon, c est A dire intentionnellement, donc ils sont bien présents en moi, mais immatériellement. Ils existent en moi comme êtres intentionnels

23 Le patient, lorsqu'il s'agit de la connaissance, c'est celui qui connait car il subit Faction de l'objet.

24 Inversement l'agent, c'est l'objet car il agit sur celui qui le connait.

25 Von- •  page 108 

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Saint Thomas explique que c'est parce qu'ils n'ont pas su distinguer ces deux sortes d'existence que ses prédécesseurs tels Parménide, Empédocle ou Démocrite, ne sont pas parvenus a analyser correctement le phénomène de la connaissance : « La connaissance se fait par une ressemblance du connu dans le connaissant; malheureusement les anciens philosophes s'imaginaient fallait que cette ressemblance du connu existe dans le connaissant selon son existence naturelle, c'est à dire selon l'existence que le connu possède en lui-même. En effet, disaient-il " il faut que le semblable soit connu par le semblable " ; par conséquent, si l'âme connait tout, il faut qu'elle possède en soi la ressemblance de tout, selon l''existence naturelle. En effet, ils ne savaient pas distinguer le mode d'être de la chose dans l'intelligence, l'œil, etc., et le mode d'être de la chose en elle-même. 

4) Connaitre c'est devenir l'autre

Nous savons que la connaissance est un devenir et un changement :

Avant la connaissance : le connaissant et l'objet sont bien distincts l'un de l'autre, et chacun d' eux est en puissance de connaitre ou d'être connu. 

A 'Instant de la connaissance : ils sont tous les deux en acte de connaitre ou d'être connu. Ils sont donc, dit Aristote, réunis en un seul et même acte : car voir et 'être vu ne sont qu'un seul acte, mais vécu de façon différente par chacun des acteurs de la connaissance.

Jean Daujat, un auteur contemporain, dans son livre Y a-t-il une vérité l'explique ainsi « Le sujet en puissance de connaitre et l'objet en puissance d'être connu, qui n'ont que leur être entitatif, sont bien distincts l' un de l'autre sans communication entre eux. Mais lorsque dans l'acte de connaissance, inséparablement le sujet passe de la puissance a l'acte de connaitre et l'objet de la puissance a l'acte d'être connu, ils vont s'identifier dans l'être intentionnel constitutif de cet acte de connaissance, qui est a la fois et inséparablement sujet en acte et objet en acte d'être connu, puisque le sujet en acte de connaitre y est devenu intentionnellement l'objet en acte d'être connu c'est par la seulement qu'il est en acte de connaitre) et que l'objet n' est en acte d'être connu que dans cet acte de connaissance ou le sujet par son acte même de connaitre est devenu cet objet intentionnellement. Le sujet en acte de connaitre ou l'objet en acte d'être connu, c'est la même chose, c'est l'acte de connaissance. (J.Daujat.Opus cite) D'où cette définition : 

              La connaissance est l'identification dans l'être intentionnel du sujet en acte de connaitre et de l'objet en acte d'être connu dans et par l'acte de connaissance. (I Daujat) 


Ainsi, si je prends l'exemple d'un rossignol que je vois et que j'entends chanter : 


Avant que je le voie et l'entende, je suis en puissance de le connaitre et lui est en puissance d'être connu de moi. 

A l'instant ou je le vois et l'entends, nous sommes lui et moi en même temps en acte, moi de le connaitre grâce a son être intentionnel, lui d'être connu grâce a son être intentionnel. 

C'est alors un seul et même acte qui nous réunit en une seule et même surexistence. 

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Ce qui est connu (le rossignol) n'existe plus simplement en lui-même, mais il se transcende, se dépasse, pour exister intentionnellement en moi. C'est dons bien pour lui une surexistence, il existe plus, car il existe en dehors de lui-même puisqu'il existe en moi. Et cette surexistence est si réelle que, même le rossignol disparu ou mort depuis longtemps, il existe encore intentionnellement en moi tant que je vis ; en effet, grâce a l' imagination et à la mémoire, je peux a tout instant en faire ressurgir la vision intérieure.

Inversement, parce que je connais le rossignol, j'existe davantage, j'existe plus, je suis devenu intentionnellement le rossignol lui-même par cet acte unique de connaissance qui nous réunit, puisqu'il fait désormais partie de moi. Par la connaissance, ce que je n' étais pas, je le suis devenu, mais intentionnellement. C'est cet être intentionnel, qui est entre en moi, qui fait partie de moi, qui est devenu moi-même. 

                                                                  "Connaitre l'autre c'est devenir l'autre en tant qu'autre » (Jean de St Thomas)" 26

Conclusion 

Tout ce que nous venons de dire au sujet de la connaissance sensible concerne autant l'animal que l'homme. On comprend maintenant quel le perfection et quel enrichissement apporte le fait de connaitre a celui qui en est doué. Connaitre, c'est devenir l'autre, c'est dons exister plus, dilater son être, puisque c'est devenir immatériellement tout ce que l' on n' est pas, car le sens comme l'âme sont en puissance de devenir tout ce qu'ils peuvent connaitre. Et l'analyse que nous venons de faire vérifie pleinement nos intuitions de départ. Nous disions que dans la connaissance : 

-Il y a toujours deux acteurs : le connaissant et le connu 

- Une union s'établit qui respecte l'identité numérique de chacun : puisque connaitre, c'est s'unir a ce qui est connu dans un seul et même acte qui constitue l' acte même de la connaissance ; mais chacun des deux acteurs reste bien ce qu'il est en lui-même, et conserve l'intégralité de son identité et de son être. 

- Il y a un changement : puisque la connaissance est un passage de la puissance a l' acte comme tout changement ; et chacun des deux acteurs est réellement modifie par l'acquisition d'une surexistence nouvelle. 

- ll y a un devenir : car nous ne sommes pas toujours en état de connaitre. La connaissance est un processus qui se déroule dans le temps. 

 

26 Célèbre commentateur de Saint Thomas 

 

 

 

 


 

 

 

Date de dernière mise à jour : 2025-04-01 16:15:33