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La science va-t-elle tout expliquer ?

La science va-t-elle un jour tout expliquer ? – Approfondissements

Complément de l’article La science va-t-elle un jour tout expliquer ?

La science n’expliquera jamais tout pour de multiples raisons.

La découverte progressive, et l’accumulation de ces raisons au cours des siècles, montre que le sentiment naturel d’une richesse insondable, et donc non totalement explicable de l’univers, n’est en rien infirmée par le progrès scientifique, bien au contraire.

► 1. La position du problème à l’articulation des XVIIe et XVIIIe siècle

Depuis les philosophes grecs, l’homme sait que l’univers n’est pas un tohu-bohu, ou un chaos indescriptible, mais qu’il est si bien agencé qu’il mérite le nom de Cosmos, c’est-à-dire d’une réalité ordonnée esthétiquement (Cf. la similitude des mots cosmos et cosmétique, est vraiment due à une même racine grecque !)

Blaise Pascal (†1662) à de bonnes raison de s’émerveiller devant l’univers, le perfectionnement de la « lunette d’approche » par Galilée à déjà permis des découvertes de sous-structures inimaginables auparavant (Jupiter et ses satellites font comme un mini « système solaire » à l’intérieur du système solaire ; des étoiles floues se révèlent être des amas d’innombrables étoiles). L’univers se révèle bien plus riche qu’on ne pouvait l’imaginer par la simple observation visuelle. Cela évoque pour Pascal l’idée de structures emboîtées les unes dans les autres… (On parlerait maintenant d’une « complexité fractale ».)

Pour l’infiniment petit, le microscope ne sera inventé qu’après la disparition de Pascal. Mais l’œil aidé de la loupe permet déjà de repérer de minuscules acariens. Et Pascal se perd en conjectures en imaginant prophétiquement les articulations, les organes et les « humeurs » de ces « cirons », ainsi qu’on les nomme à l’époque.

Pascal conçoit d’emblée que l’infiniment petit est sans fond, comme l’univers lui apparaît illimité. L’homme borné par ces deux infinis quantitatifs est entre deux abîmes inépuisables « un milieu entre rien et tout » on retrouve ici l’ambiguïté de son statut de « roseau pensant » de créature à la fois grande et faible. Mais, pour Pascal, les hommes se retrouvent aussi en position « médiane » quant à leur connaissance du monde qui les entoure : « toujours incertains et flottants entre l’ignorance et la connaissance ; et si nous pensons aller plus avant, notre objet branle, et échappe nos prises ; il se dérobe, et fuit d’une fuite éternelle : rien ne le peut arrêter. C’est notre condition naturelle, et toutefois la plus contraire à notre inclination. Nous brûlons du désir d’approfondir tout, et d’édifier une tour, qui s’élève jusqu’à l’infini. Mais tout notre édifice craque, et la terre s’ouvre jusqu’aux abîmes. » (Pensées, XXII, 175)

La soif de connaissance, frustrée par notre incapacité à appréhender le monde dans sa réelle complexité, telle que l’évoquait Pascal sera reprise par Fontenelle (†1757) mais dans un esprit prométhéen qui annonce les « Lumières », largement antichrétiennes : « Nous voulons savoir plus que nous ne voyons. » il en tire même une conclusion générale : « Toute philosophie ne repose que sur deux choses : la curiosité et notre mauvaise vue. »

(« Entretiens sur la pluralité des mondes », 1686)

La position de Voltaire (†1778) est très différente de celle de Pascal. Il n’y en lui pas plus de sentiment d’admiration que d’effroi, et encore mois d’humilité. La plupart des encyclopédistes conservent officiellement le concept de Divinité, mais c’est surtout pour ménager la censure royale et conserver un garde-fou pour éviter les errances d’un peuple mal dégrossi qu’ils méprisent et n’entendent libérer que « modérément ». Émilie du Châtelet (†1749) brillante mathématicienne, maîtresse de Voltaire traduisit les œuvres de Newton (†1727) que Voltaire s’empressa de diffuser. Il y voyait deux avantages : une conquête des mathématiques humaines sur les mystères de la Création, ainsi qu’une contrainte opposable à la « fantaisie » de Dieu qui ne pouvait plus désormais opérer des miracles « à sa guise » dans un univers obéissant à des lois aussi précises. Au demeurant, il dit bien qu’un univers aussi bien « réglé » est embarrassant, justement parce qu’il conduit à postuler un créateur.

Ce faisant, Voltaire ne fait que s’inspirer des conceptions métaphysiques de Newton qui affirmait : « Cet admirable arrangement du soleil, des planètes et des comètes ne peut être que l’ouvrage d’un être intelligent et tout-puissant. » Pourtant ce créateur n’est pour Voltaire qu’un « horloger » surtout bon à s’occuper de « machines », ce qui cadre d’ailleurs parfaitement avec l’anthropologie des « Lumières » qui nie la liberté humaine, et trouve son paroxysme dans le concept d’ »homme-machine » développé par La Mettrie (†1751).

Quant aux « explications » pseudo-scientifiques de Voltaire, elles ne sont que des affirmations a priori destinées à promouvoir le matérialisme. En témoigne cet extrait d’une lettre à d’Alembert : « Je prie l’homme qui fera [la rubrique] MATIÈRE [dans l’Encyclopédie] de bien prouver que le  » je ne sais quoi » qu’on nomme matière peut aussi bien penser que le « je ne sais quoi » qu’on appelle esprit. » (1756). Sa compagne, Émilie du Châtelet n’était pas en reste, « expliquant » ainsi la conversion de St Paul : « L’orage surprend saint Paul, il a peur, il tombe de cheval, sa machine [cérébrale] se détraque, il croit voir ce qu’il ne voit pas, entendre ce qu’il n’entend pas, il devient aveugle, le voila chrétien. C’est l’aveuglement qui conduit au christianisme. Saint Paul changea en prodige la honte d’être mauvais cavalier ! » (« Doutes sur les religions révélées. « , p. 54, 1792)

 

► 2. La science prométhéenne, des Lumières à son apogée à la fin du XIXe siècle

« L’affaire Laplace » a été quelque peu enjolivée pour les besoins de la propagande matérialiste, elle devait, dans cette optique, symboliser le scientifique rationnel qui se dresse face aux autorités toujours plus ou moins compromises avec les « utopies religieuses ».

Lorsque Laplace (†1827) présente son « Exposition du Système du Monde » à celui qui n’est encore que premier Consul, ce dernier qui connaît les appels de Newton à des interventions divines périodiques pour assurer la stabilité des orbites planétaires, est surpris de ne pas retrouver ce recours à Dieu dans l’ouvrage de Laplace. Mais Laplace avait justement calculé que les orbites planétaires ont des paramètres particuliers qui les rendent naturellement stables ; d‘autre part son ouvrage traite essentiellement de mécanique céleste et non pas de l’origine de l’univers, il n’avait donc pas besoin de faire appel au Créateur.

En réalité Laplace (éminent astronome qui prévit l’existence des trous- noirs !) était croyant, priait et mourut dans l’Église.

Cependant il croyait au déterminisme strict, et voyait l’univers comme une sorte de gigantesque jeu de billard, où les innombrables objets et « particules » (pas au sens de la physique moderne !) combinaient leurs mouvements suivant des lois strictes. Ainsi il aurait suffit qu’un « fabuleux génie », un « démon » mathématicien connaisse à un moment donné les positions et mouvements de toutes les particules composant l’univers pour pouvoir, moyennant d’énormes calculs, reconstituer tout son passé et prédire précisément son avenir ! Cette hypothétique mainmise de la science sur le devenir, y compris celui des hommes, ne laissait évidemment qu’une place problématique à la liberté humaine.

Cette fatalité posée à l’encontre du libre arbitre est maintenant reconnue théoriquement impossible, pour diverses raisons : la limite de la vitesse de la lumière interdit de connaître tout ces paramètres à un instant donné, et de toute façon la physique quantique montre qu’il est a priori impossible de connaître avec une précision adéquate, à la fois et la position et la vitesse d’une particule (cf. infra).

Avec David Hume (†1776), l’idéologie réductrice des Lumières prend une véritable dimension philosophique. Hume s’inspire de Démocrite prototype du philosophe matérialiste auquel il emprunte son idée de réduire l’intellect au sensible. Il est lui aussi séduit par la gravitation newtonienne dont une variante assurerait l’association purement mécanique de nos idées. Cette approche qui revient à dissoudre le « soi » intime qui ne s’appartient plus, réduit l’intériorité à un kaléidoscope d’impressions fugitives. Il précise : « [Les hommes] ne sont rien d’autre qu’un faisceau ou une collection de perceptions différentes qui se succèdent les unes aux autres avec une rapidité inconcevable et sont dans un flux et un mouvement perpétuels. » (1745) ; voilà encore une pseudo « explication » réductrice (rien d’autre que…) qui n’est qu’une propagande matérialiste affirmée a priori.

La haine du christianisme égare ce surdoué (entré à l’université à 12 ans). Lui qui, par ailleurs, dit fort justement : «Si nous raisonnons a priori, n’importe quoi peut paraître capable de produire n’importe quoi. La chute d’un galet peut éteindre le soleil », ne cesse de pratiquer ces a priori à l’encontre du spiritualisme : «Quand j’entends dire qu’un homme est religieux j’en déduis que c’est une fripouille… . », et encore « Je n’ai pas d’explication qui rende compte de l’ordonnancement complexe du monde biologique. Tout ce que je sais, c’est que Dieu n’est pas une bonne explication. ».

La dimension prométhéenne de la science à la fin du XIXe siècle est due à un effet de perspective temporelle. Les sciences et techniques atteignirent à cette époque une masse critique qui permit à la science véritablement moderne de démarrer. En quelques années les sciences, physiques et chimiques surtout, prirent un essor impressionnant, accéléré.

Malheureusement les scientistes, naturellement peu portés à l’humilité, prirent les succès de cette envolée de la science comme l’annonce de l’imminence d’un « sprint » final. Ils se crurent arrivés à la fin de l’histoire de la connaissance rationnelle : en fait ils n’étaient qu’à la fin d’une page qu’il leur sera d’ailleurs difficile de tourner.

Ainsi, l’astronome Simon Newcomb (pourtant par ailleurs auteur de science fiction !) croyait pouvoir dire en 1888 : « Nous nous approchons probablement de la limite de tout ce que nous pouvons savoir en astronomie ». Le physicien Albert Michelson affirmait encore en 1894 : « Les lois et les faits fondamentaux les plus importants des sciences physiques ont tous été découverts. » Quelques années auparavant le chimiste Chevreul avait affirmé la quasi complétude de sa discipline. Mais le plus paradoxal fut le cas de cet étudiant de l’université de Berlin qui affirmant (vers 1877) vouloir être physicien, se vit répondre par son célèbre professeur en cette discipline « La physique est achevée jeune homme ! C’est une voie sans issue !»

Ce jeune homme qui s’appelait Max Planck, ne se laissa heureusement pas décourager ; par sa théorie des quanta, il allait au début du XXème siècle bouleverser la physique, faisant plus que tourner une page, il en ouvrit un nouveau chapitre.

La remarque sectaire d’Ernst Haeckel (1919), anatomiste hyper darwinien, qui affirmait : «L’Homme ne vient pas de Dieu mais du Singe! » est cependant une extension logique de la métaphysique darwinienne. Darwin s’est progressivement et obstinément éloigné du christianisme, la découverte de la Sélection naturelle (qu’il appelait allégoriquement « ma divinité ») l’amena très tôt à contester une éventuelle action de Dieu dans l’apparition de l’homme : « L’homme dans son arrogance se croit une grande œuvre digne de l’intervention d’un dieu. Il est plus humble et je pense plus vrai de le considérer comme généré à partir des animaux. » (Carnet de note, 1838). C’est peu après qu’il notera cyniquement : « Je n’abandonnai le christianisme qu’à l’âge de 40 ans. »

Mais pour ne heurter ni l’église anglicane ni son épouse, il continua de se faire passer pour déiste, notant pour lui-même, dans ses fameux carnets : je dois « …éviter de montrer à quel point je crois au matérialisme.  » (in La Recherche, 7.1979). Il cacha de même soigneusement sont antichristianisme : « …il me semble que les arguments directs contre le christianisme ou le théisme n’ont quasiment aucun effet sur le public, et que la libre pensée sera mieux promue par une instruction éclairante, progressive, de l’entendement humain, suivant les progrès de la science. C’est pourquoi j’ai toujours évité d’écrire sur la religion et me suis confiné dans la science. » (Lettre au gendre de Karl Marx, 13.10.1880).

Le verdict de Pierre Thuillier (Pr. Philo, Univ. de Paris), semble maintenant bien oublié ; il est pourtant limpide : « Plus tard, prenant Darwin pour un naïf empiriste, certains s’imagineront que l’ »Origine des espèces » a été conçue dans une stricte neutralité idéologique. Au fond, Darwin ne l’aurait pas fait exprès : la théorie de la sélection naturelle serait « matérialiste » par ses conséquences, mais sans que son auteur l’ait voulu. Cette manière de présenter les choses est insoutenable. » (« Les ruses de Darwin », La Recherche, 7.1979). De fait, les anti-théistes actuels tels que Richard Dawkins, lui rendent des hommages de ce genre : « Darwin nous donne le moyen d’être des athées intellectuellement comblés. » (« L’horloger aveugle », 1996)

Mais ces positions non spiritualistes de Darwin, ne sont intéressantes qu’en tant que corollaires de son scientisme réducteur typique de son époque ; il affirmait en effet l’omnipotence de la science en ces termes : « Ce sont ceux qui savent peu et non ceux qui savent beaucoup, qui affirment de manière catégorique que la science ne pourra jamais résoudre tel ou tel problème. » (« La descendance de l’homme », 1871). Nous verrons que la teneur de cette maxime pourrait maintenant être tout simplement inversée.

Le mouvement positiviste a profondément marqué cette époque. Doctrine issue des « Lumières » – surtout de Condorcet prophète du progrès indéfini de l’homme, grâce à la raison et à l’encontre du Christianisme (1795), il fut développé en France par Auguste Comte (†1857). Cette doctrine vise à la promotion des savoirs scientifiques par leur unification, suivant une pyramide hiérarchisée allant des mathématiques à la sociologie. Elle n’entend ne se fier qu’aux faits expérimentaux, scientifiquement parlant car il n’est pas question de prendre en considération ce que l’on « éprouve » intuitivement ou spirituellement. S’y ajoute une forme d’utilitarisme, hérité de Saint-Simon dont Auguste Comte fut le secrétaire, et qui se développera dans le monde anglo-saxon.

La science positiviste ne prétend pas tout expliquer, mais ce qui est aussi grave, elle prétend que les questions (métaphysiques) sur l’inexplicable sont superflues ; on ne doit s’interroger que sur des comment ? et non sur des pourquoi ? Dans la réflexion humaine, la religion ne correspond donc qu’au stade fictif, le plus primitif, l’état le plus évolué de la pensée seul positif, étant celui de la science expérimentale. Le positivisme est donc un scientisme radical. Au demeurant Auguste Comte se crut obligé d’inventer une « religion positiviste » nécessaire à l’hygiène mentale. Dans cette religiosité l’attente du règne de l’Humanité positive remplace celle du Royaume de Dieu, mais il s’y mêla très vite un certain sectarisme et un culte ambigu rendu à sa bien-aimée disparue, Clotilde de Vaux…

Le positivisme reste important car si le scientisme matérialisme prométhéen intégralement réducteur est quasiment mort, le Positivisme est partiellement à l’origine de mouvement modernes, certains respectables comme le Cercle de Vienne, dont fit partie Gödel (cf. infra), d’autres plus inquiétants comme le féminisme sectaire et le transhumanisme.

 

► 3. Les nouvelles incertitudes apportées par la science du XXe siècle

La relativité fut d’emblée vulgarisée comme une science fantastique, elle plut au grand public (qui n’y comprenait rien) mais trouvait que ses extravagances cadraient bien avec les « années folles ». Il n’est pas nécessaire d’évoquer toutes ses conclusions bien connues. Évoquons cependant de la vitesse de la lumière dont la limitation fait que le « démon » de Laplace ne peut connaître tous les paramètres des différentes parties de l’univers simultanément, il doit attendre des milliards d’années avant d’être renseigné sur les galaxies les plus lointaines !

Les distorsions du temps sont plus spectaculaires, l’exemple le plus décapant est celui inventé par Langevin en 1911 de deux jumeaux dont l’un reste sur terre tandis que l’autre part pour un voyage d’exploration spatiale dans une fusée très rapide approchant de la vitesse de la lumière. Lors de leurs retrouvailles au retour du cosmonaute, ce dernier se retrouve plus jeune que son jumeau qui est resté sur la Terre, car dans son référentiel véloce, le temps s’est écoulé moins vite (ce temps pouvant être mesuré par des horloges atomiques ou mécaniques, par la quantité de nourriture consommée, ou par l’avancée de son éventuelle calvitie !). Cette aventure n’est pas actuellement réalisable, mais sa réalité est démontrée par des mesures effectuée sur de particules d’origine cosmique dont la durée de vie est augmentée de leur vitesse et sur de horloges atomiques qui se mettent à retarder si elles sont embarquées dans des satellites orbitant à grande vitesses. Il n’existe donc pas de véritable temps universel valable en tous lieux Ceci ne fait qu’épaissir le mystère du temps, lequel permet notre devenir et donc notre liberté. Comme l’avait bien saisi Saint Augustin, le temps est un des éléments de la Création. Le Royaume de Dieu ne peut qu’être hors de cet artefact, c’est-à-dire éternel.

Le principal apport métaphysique de la relativité fut la réintroduction, par la grande porte de la science, du « mystérieux » que l’esprit des Lumières croyait avoir définitivement chassé, par son rationalisme, des mentalités soi-disant obscurcies par la religion. Einstein, gigantesque visionnaire de l’infini se montre d’une grande sensibilité pour en parler : – « Nulle beauté ne surpasse celle du mystérieux; celui qui y reste insensible, qui ne sait plus contempler et qui ne connaît plus ce frémissement de l’âme émerveillée, celui-là pourrait tout aussi bien être mort, il a déjà les yeux fermés. »

– « J’éprouve l’émotion la plus forte devant le mystère de la vie. […] cette réalité secrète du mystère constitue aussi la religion. Des hommes reconnaissent alors quelque chose d’impénétrable à leur intelligence mais connaissent les manifestations de cet ordre suprême et de cette beauté inaltérable. » (« Mein Weltbild », 1931)

Evidemment, Einstein qui affirmait d’autre part que « L’escalier de la science est l’échelle de Jacob, il ne s’achève qu’aux pieds de Dieu », n’est pas de ceux qui pensent que la science va tout expliquer : « Plus nous cherchons, plus nous découvrons l’étendue de ce qui nous reste à découvrir, et je crois qu’il en sera toujours ainsi tant que l’espèce humaine existera. » ; « Ce que j’ai appris au cours d’une longue vie, c’est que toute notre science, au regard de la réalité, n’est que primitive et infantile. »

(cité in B. Hoffmann et coll. : « Creator and Rebel », NY, 1972)

 

La physique quantique fut appelée initialement « mécanique » quantique, peut-être pour rassurer les physiciens adeptes du « mécanicisme réducteur » qu’elle pulvérise intégralement ! Les paradoxes qui la caractérisent dépassent l’extravagance au point d’évoquer une forme de « réalité magique » ; la meilleure preuve en est que les physiciens font parfois analogiquement appel aux situations extravagantes d’Alice aux pays des merveilles pour illustrer leurs découvertes déconcertantes pour notre rationalité, et ceci dans des revues scientifiques très sérieuses et pas seulement à des fins didactiques.

Évoquons brièvement, et très schématiquement, quelques uns de ces phénomènes « hallucinants » , parfois découverts très récemment : une particule peut passer par deux trous voisins d’un même écran (non localité) ; deux particules nées « jumelles » aussi éloignées soient-elles restent unies par un « destin commun » (intrication), changer l’une c’est affecter l’autre, et lorsque le hasard les affecte il les affecte identiquement (hasard non local = c’est comme si deux jumeaux jouant synchroniquement aux dés, l’un à Boston l’autre à Tokyo, obtenaient des séries de scores évidemment aléatoires, mais simultanément identiques !) ; on peut séparer une particule d’une de ses propriétés, puis les recombiner ; un système peut être simultanément en deux états normalement exclusifs l’un de l’autre (superposition d’états) ; des événements surviennent, mais sans que le temps ne semble s’écouler ; la causalité peut se montrer ambiguïté (A→B ou B→A ?), présence de hiatus dans les chaînes causales obligeant à postuler des influences provenant du dehors de notre espace-temps ; manipulation apparente d’événements, pour nous passés. Et même, pour certains, chercheurs, éventuelle influences provenant du futur sur des mesures actuelles, etc. Arrêtons là, la coupe du déraisonnable, déborde.

La situation est devenue encore plus extravagante qu’il y a 50 ans, lorsque le génial Nobel Richard Feynman expliquait dans son cours à ses étudiants :

– « Je vais vous raconter comment la nature se comporte. Mais – si vous pouvez l’éviter – n’en restez pas à vous répéter : « Mais comment cela peut-il se faire ? », car vous serez submergé, noyé et entraîné dans une voie sans issue dont personne encore n’a réussi à s’échapper. Personne ne sait comment cela peut se passer ainsi. » ; « Les conceptions scientifiques aboutissent à la révérence et au mystère, se perdant à la limite dans l’incertitude… Je crois pouvoir dire à coup sûr, que personne ne comprend la mécanique quantique. »

(« The character of physical law », 1967)

Et pourtant cette physique quantique, n’est pas un conte de fée, elle fonctionne et permet de faire des prédictions aussi précises que le serait une mesure de la distance Paris-New York à une épaisseur de cheveux près !

La physique quantique s’oppose nettement à la science prométhéenne ambitionnant de rendre compte de tout par un discours rationnel réducteur et matérialiste.

Le premier à l’avoir signalé est Werner Heisenberg (Nobel à 31 ans) qui remarque : – « Les atomes ne sont plus des objets matériels au sens véritable du mot […] ; Ainsi, l’électron n’est pas complètement réel, il existe … dans un état de puissance aristotélicienne, entre l’idée d’un objet et un objet véritable. »

– « L’ontologie matérialiste reposait sur l’illusion que la « réalité » directe du Monde qui nous entoure pouvait s’extrapoler jusqu’à l’ordre de grandeur de l’atome. Or cette extrapolation est impossible. » ( » Physique et Philosophie », p.165, Albin Michel, 1961)

Il n’est pas le seul à argumenter en ce sens :

– « A la base des choses ordinaires on trouve des entités ayant des propriétés ressemblant à celles de l’esprit. Il y a là une promesse de message venue du tréfonds de l’univers. […] On ne peut plus se servir de la science pour fonder l’athéisme, c’est fini. »

(L. Schäfer Pr. Chimie-Physique, Univ. Arkansas, Conf. UNESCO, 20.5.2000)

Même les agnostiques ne peuvent que constater que l’espoir de ramener la physique quantique dans les limites du raisonnable s’amincit chaque jour :

– « Pour un expert en théorie quantique, la physique classique est la version en noir et blanc d’un monde en couleurs. Les catégories de la physique classique ne suffisent plus à saisir le monde dans sa richesse. […] le sentiment général est que si une théorie plus efficace remplace un jour la physique quantique, elle montrera que le monde est encore plus contraire à l’intuition que tout ce que nous avons vu jusqu’à présent. »

(V. Vedral, Pr. à Oxford, « Living in a quantum world », Scientific American, 6.2011)

– « Jusqu’à l’avènement de la physique quantique, toutes les corrélations prédites et observées en sciences ont été expliquées par des chaînes causales se propageant de proche en proche, donc par des explications locales,… déterministes. »

Mais ces chaînes causales, qui sont à la base de nos explications, sont rompues en physique quantique, l’explication devenue impossible cède le pas à la constatation de faits.

– « La théorie quantique prédit, et beaucoup d’expériences ont confirmé, que la nature est capable de produire des corrélations entre deux événements distants qui ne s’expliquent ni par une influence d’un événement sur l’autre, ni par une cause locale commune. […] Cela signifie qu’il n’existe aucune explication sous la forme d’une histoire qui se déroule dans l’espace (continûment de proche en proche) au cours du temps et qui raconte comment ces fameuses corrélations sont produites (par la nature). »

Et Nicolas Gisin (Pr. Univ. Genève) conclut par ce constat décapant :

– « Ces corrélations non locales semblent simplement surgir de l’extérieur de l’espace-temps. »

(« L’impensable hasard », Odile Jacob, p. 124,)

Voila un « simplement » qui est bien vite dit ! Quel est cet « au delà » de notre espace temps, de notre Univers et qui interagit avec le nôtre ? D’ailleurs, N. Gisin, qui est un tenant du réalisme, ne peut éluder certaines questions patentes, en des termes étonnants :

– « Qui tient la comptabilité de qui est intriqué avec qui ? Où est stockée l’information des lieux où un hasard non local peut se manifester ? Y a-t-il des « anges » qui maîtrisent un énorme espace mathématique […] qui comptabilise tout cela? […]. Malgré le sérieux de cette question enfantine, elle n’a encore presque pas reçu d’attention. » (pp. 137-8).

S’agit-il d’un défaut d’attention, ou de la peur des réponses possibles à cette question ?

Notons que cette allusion à l’importance d’un au dehors de notre espace temps, n’est pas isolée. On la retrouve en ce qui concerne les lois de l’univers, sous la plume de Roland Omnès (Pdt.+ Pr. Univ. Paris-Sud) qui est amené à conclure que « Les lois de la physique sont écrites en dehors de l’espace-temps. » Il ajoutera même : « écrites dans un logos ». Dans cette optique, il va jusqu’à exposer carrément que « les lois de la nature ne sont ni inventées, ni découvertes, mais révélées. Comme jadis Dieu s’est révélé à Moïse en lui donnant les Tables de la Loi, aujourd’hui la nature se révèle au physicien dans des formules mathématiques. […] la découverte des lois [de la Nature] s’accompagne chez l’homme de la conscience d’une réalité supérieure à lui, d’une transcendance en quelque sorte. » (« La révélation des lois de la Nature », p. 201, Odile Jacob, 2008)

Face a ces considérations de scientifiques de premier plan que peut bien signifier une « explication scientifique » de physique la plus récente ?!

Eh bien soit, dirons certains, le monde de la physique n’est pas clairement explicable, mais il nous reste les réalités macroscopiques, dont les êtres vivants… Voire !

  1. Vedral (cf. ante) annihile ce rêve : « … Il y aurait ainsi, quelque part entre la poire et la molécule, une frontière où prend fin l’étrangeté quantique et où commence le caractère familier des comportements décrits par la physique classique. […] Ce cloisonnement du monde physique est un mythe. […] la physique classique n’est qu’une approximation utile dans un monde qui est quantique à toutes les échelles. »

La preuve en est que les phénomènes quantique sont à l’œuvre dans les phénomènes biologique, et expliquent par exemple le très haut rendement de la photosynthèse par la grande vitesse à laquelle se produisent les transferts d’énergie. G. Scholes spécialiste de la question « explique » analogiquement cette optimisation du temps de transfert dans la photosynthèse : « Analogiquement c’est comme si vous aviez trois chemins possibles pour rentrer chez vous parmi les embouteillages. Certains jours vous passez par tel itinéraire, d’autres jours vous passez par ailleurs, mais à chaque fois vous ne passer évidemment que par un seul itinéraire, tout en ignorant si un autre trajet eut été plus ou moins rapide. Mais en mécanique quantique, vous pouvez emprunter les trois itinéraires simultanément. Mais vous ne préciser pas sur quel trajet vous êtes jusqu’à ce que vous soyez arrivé, et là, vous choisissez l’itinéraire le plus rapide ! » (Wired, 3.2.2010)

Contrairement à la Relativité, la physique quantique ne fut popularisée que plus d’un demi siècle après sa découverte… sa métaphysique implicite ne cadrant pas avec le matérialisme implicite puissant dans la science occidentale. En URSS, on ne pouvait l’étudier qu’après s’être irréversiblement engagé aux côtés du Parti communiste !

Même les mathématiques avaient été atteintes par le délire prométhéen. Le renommé Hilbert (†1943) prétendait pouvoir trouver dans les mathématiques le fondement logique complet, et donc l’explication exhaustive, non seulement des mathématiques, mais ensuite celui de toutes les autres disciplines scientifiques. Il affirmait en 1900 : « Même si les problèmes [mathématiques] nous semblent intraitables […], nous n’en avons pas moins la ferme conviction que leur solution doit résulter d’un nombre fini de processus logiques » ; « … nous entendons en nous une voix qui nous crie constamment : là est le problème, cherche la solution ; tu peux la trouver par la pure réflexion car dans les mathématiques il n’y a rien d’à tout jamais inconnaissable. »

Témérairement, et montrant là son peu de sens de la complexité et du mystère du monde vivant, il ajoutait : « Et à mon avis, il en va de même pour les sciences naturelles. » (Congrès international des mathématiciens, Paris, 1900)

En 1930, il proclamait encore : « Nous devons savoir et nous saurons ! »

Mais par deux théorèmes, Kurt Gödel allait dès 1931, briser ce fantasme prométhéen. Il démontre l’incomplétude du démontrable en mathématique et en logique. Il y dans sa découverte une certaine analogie avec le principe d’incertitude quantique de Heisenberg qui prévoit que mieux on mesure la position d’une particule, moins on connaît sa vitesse réelle, et réciproquement. Chez Gödel, c’est entre la cohérence et la complétude qu’il faut « choisir », mais on ne put disposer intégralement des deux. Les travaux de Gödel ont une grande importance en informatique théorique ; et l’on peut trouver une analogie en ce domaine, par exemple : soit votre logiciel antivirus est idéalement adapté à votre ordinateur (cohérence), mais il laissera passer au moins un virus (incomplétude), soit il arrête tous les virus (complétude) mais il interfère avec le fonctionnement de votre ordinateur (incohérence). On ne peut échapper à cette fatalité logico-mathématique, pas plus que l’on ne peut avoir le beurre et l’argent du beurre !

Quant aux propositions démontrées indécidables par Gödel, les Grecs en avaient déjà une certaine idée : « Épiménide le Crétois dit : « Tous les Crétois sont des menteurs ». » Le dit-il avec le recul du seul Crétois honnête, mais pourquoi serait-il le seul ? Ou bien, s’il est aussi menteur, c’est que certains ne le sont pas…

Certaines propositions indécidables étant vraies, il existe donc des vérités indémontrables ne pouvant qu’être crues ou rejetées par delà la raison. Ces vérités qui se présentent comme une sorte de « test projectif » ne peuvent être avalisées que par notre sentiment d’intime conviction, lequel ne doit rien à la raison, si ce n’est à une rationalisation postérieure entérinant une décision s’enracinant en fait dans l’affectivité.

Pour mieux évoquer la richesse du double théorème de Gödel, laissons parler les mathématiciens spécialistes de cette approche :

– « Quelle que soit la clarté que peuvent nous apporter les mathématiques, elles ne peuvent fournir toute la clarté concevable. C’est là le cœur des théorèmes d’incomplétude de Gödel. »

(S. Jaki, Pr. Seton Hall Univ., « The Relevance of Physics », 1966)

Précisons cependant que cette incomplétude n’est pas inhérente aux mathématiques en elles- mêmes, mais à l’infirmité de nos procédures pour y accéder.

Cette incomplétude se manifeste dès les niveaux les plus élémentaires des mathématiques :

– « L’énorme signification du théorème de Gödel prouve qu’il est impossible de rendre compte de l’arithmétique élémentaire en déduisant ses résultats de quelques axiomes de base. On ne peut pas connaître toute la vérité sur l’addition, la multiplication, et la suite des nombres entiers… » G. Chaitin (philosophe des math, Staff d’IBM, NY ; La Recherche12.2003)

Enfin, la portée du théorème de Gödel s’étend bien au-delà des mathématiques :

– « En raison du théorème de Gödel, la physique est, elle aussi, inépuisable. »

  1. Dyson (Pr. à Princeton, ex collègue de Gödel, NY Rev. of Books, 13.5.2004)

Avec les auteurs suivants, nous voyons que – dès le niveau le plus abstrait et fondamental des sciences, celui des mathématiques – la notion de « croyance » au-delà du démontrable s’avère plus que légitime, et que le matérialisme mécaniciste (qui prétendit tout expliquer) est dépassé.

– « Le théorème (de G.) dit qu’il y aura toujours des propositions vraies mais indémontrables. »

– « Sa force incroyable n’a pas été encore comprise. […] Il nous révèle que la réalité mathématique a une richesse incroyable, qui est irréductible à des propositions logiques. »

– « C’est une erreur énorme de croire que l’on peut rendre compte de notre monde en termes matériels. […]. Il n’y a pas de limites à l’émerveillement que l’on aura, face aux surprises venant du monde extérieur. »

Alain Connes (Pr., Coll. de France, Méd. Fields, Conf. Sorbonne., 21.3.2001)

– « Ce qui restera l’acquis principal du travail de Gödel, c’est la distinction entre vérité et prouvabilité. […] Le théorème de Gödel est une réfutation d’un modèle mécanique de la science, de la pensée, du monde. » J-Y Girard (Dir Rech CNRS, Académie, conf. UTLS, 17.6.2000)

Ainsi pour des raisons : de violation du bon sens, d’impossibilité à cerner le réel avec une précision suffisante, d’impossibilité d’éliminer le rôle perturbateur de l’observateur, d’incompréhension profonde au delà des « recettes mathématiques qui marchent », de limitation inéluctable de toute approche mathématique, etc, on doit conclure que nous ne pouvons accéder qu’à un « réel voilé » suivant l’expression du physicien Bernard d’Espagnat.

A l’intérieur de notre représentation de ce réel voilé nos « explications » ne peuvent être que vagues et lacunaires et se résumer bien souvent à des constatations de faits et au mieux à des observations de corrélations.

La science prométhéenne et rationaliste voulait tout expliquer pour évacuer les « mystères ». Elle en a chassé quelques uns par la porte de la science du XIXe siècle, mais une foule est rentrée par la fenêtre de la science du XXe siècle !

 

► 4. Quels bilan et perspectives pour le XXIe siècle ?

La prétention à tout savoir n’est plus qu’une utopie désuète. Nous avons vu comment des savants éminents, aucunement spiritualistes avaient, dès la seconde moitié du XXe siècle, opposé à la prétention scientifique de tout savoir, un verdict d’impossibilité en osant dire jamais. Nous verrons qu’ils ne sont pas les seuls et expliquerons pourquoi c’est une vérité. Au demeurant, ce changement d’optique est encore largement ignoré du grand public (désinformé par les médias).

Nous constatons ainsi que l’orgueilleuse maxime de Darwin (cf. supra in : 2 « La science prométhéenne… ») peut être radicalement inversée, et nous devons maintenant la remplacer par : « Ce sont ceux qui savent beaucoup et non ceux qui savent peu, qui affirment de manière catégorique que la science ne pourra jamais résoudre tel ou tel problème. »

Ajoutons une dizaine de citations démontrant l’agonie de la science prométhéenne :

« Plus nous avançons plus la frontière recule. Finalement, notre fierté est d’élargir continuellement le champ de l’ignorance, dans la connaissance du cerveau ! »

Michel JOUVET (Pr. Neurosciences, Méd. d’Or CNRS, 1989)

« Chaque problème résolu en ouvre une multitude d’autres avec un effet multiplicateur Plus nous savons et plus nous prenons conscience de ce que nous ne savons pas. »

Baruch BLUMBERG (Nobel Médecine, Conf. UNESCO, 1999)

« Assister à un congrès n’apporte pas de nouvelles connaissances mais de nouvelles incertitudes et de nouveaux doutes. » (« L’amour au temps de la solitude « , Denoël, 2000)

Paul VERHAEGHE (Pr. de Psychiatrie, Univ. de Gand)

« Le progrès scientifique c’est : remplacer une question à laquelle on croyait avoir une réponse, par deux questions auxquelles on sait ne pas avoir de réponse ! » (Conf. UIP, 2001)

Michel BRUNET (Pr. Paléontologie humaine, Coll. de France)

« Il paraît évident que nous ne pourrons jamais expliquer les principes scientifiques les plus fondamentaux. » (« La Recherche », 1.2002)

Steven WEINBERG (Astrophysicien Harvard, Nobel, athée)

« La science n’est pas un catalogue de faits, mais une recherche de nouveaux mystères. La science augmente la quantité d’interrogations et de mystères dans le monde ; elle ne la diminue pas » (« Ce que chacun devrait savoir sur la science. » The Guardian, 7.4.2005)

Mat RIDLEY (Pdt / Int. Center for Life, Sociobiologiste athée)

« La pensée scientifique est la conscience même de notre grande ignorance. » (« Qu’est-ce que le temps, qu’est-ce que l’espace? », 2006)

Carlo ROVELLI (Pr. Physique théorique, Univ. Aix-Marseille)

« Plus les astronomes apprennent de choses sur l’Univers, plus ils se posent de questions. Nos interrogations sont plus nombreuses aujourd’hui qu’il y a 30 ou 40 ans. »

André BRAHIC (Pr. Astronomie, Paris) (Ça m’intéresse, 7.2008)

« La science est pleine de mystères. Chaque fois que nous découvrons quelque chose, deux nouvelles questions apparaissent, et ainsi les mystères de la science sont sans fin. Et c’est comme cela partout…» (In K. Tipet « Einstein’s God », 2010)

Freeman DYSON (Pr. Physique, Princeton, futurologue)

« Plus on cherche à comprendre quelque objet, plus cet objet nous échappe. Mystérieuse loi inhérente à notre monde. Que signifie-t-elle? Pourquoi est-elle si obstinée à s’appliquer partout ? » (« Pour la Science », p.5, 8.2013)

Didier NORDON (Pr. Math. + Philo.des Sc., Univ. Bordeaux)

On voit ainsi que, non seulement de nouvelles questions apparaissent conjointement aux réponses, mais beaucoup rapportent que le nombre de questions nouvelles croît plus vite que le nombre de réponses. Ceci rend la cohérence de notre savoir et donc la compréhension globale du monde de plus en plus problématique. Mais ce sentiment que « plus nous savons moins nous comprenons » se trouvait déjà sous la plume de bien des penseurs et scientifique d’Aldous Huxley à Albert Schweitzer en passant par Einstein. Même les penseurs matérialistes qui s’en chagrinent, tel Jean-Marc Lévy-Leblond en dépit de leurs réticences ne peuvent dire autre chose : « Nous accumulons du savoir plus vite et nous dégageons de la compréhension plus lentement. » (La Recherche, 1994). D’ailleurs un peu plus tard, le même physicien-philosophe, Pr. univ. Nice) concède : « Le monde est beaucoup plus riche et compliqué que ne le pensent les physiciens et les hommes en général. Croire à la possibilité d’en toucher le fond du fond est peu crédible et présomptueux. » (La Recherche, 1.2002)

Bien évidemment, cela ne signifie pas que le progrès scientifique soit terminé (comme le pensait John Horgan en 1996) – en effet ce n’est pas parce que l’âne ne peut attraper la carotte qu’il cesse d’avancer – mais la portion inexplicable de l’univers semble condamnée à croître.

Dieu a donné à l’intelligence humaine le pouvoir de déchiffrer l’univers, mais à la « sueur de son front », et en gardant une certaine humilité ; alors, quoi de plus normal que la compréhension de la Création reste une tache, localement possible, mais que nous ne pourrons jamais achever..

Certains modèles de la physique de l’univers, sont remis en question.

En cosmologie, James PEEBLE (Pr. Astrophys. Princeton) pouvait dès 1999 s’inquiéter :

– « Nous avons de bonnes raison de croire que 95% de la substance de l’Univers se trouve sous une forme non identifiée. Nous appelons provisoirement matière noire et énergie sombre des réalités qui nous échappent totalement. Autrement dit, nous prétendons avoir une théorie solidement établie, mais nous ne savons pas sur quoi elle porte à part les 5% que nous voyons. »

(La Rech., Dossier : « Le Big Bang « , 5.2009)

Et en 2011, la part de connu s’était encore un peu rétrécie, comme le précise le Pr K. Freeze :

– « La matière classiquement connue ne représente que ~ 4% du cosmos.» (W.S.F., 2.6.2011)

On a aussi découvert que l’expansion de l’univers accélérait, ce qui remet pas mal de modèles en questions, et évacue l’hypothèse du Big-crunch visant à banaliser le Big-bang.

Expliquer ce qu’est une explication, bien que nécessaire, ne va pas de soi. Dans le cas d’un objet artificiel on s’arrête très vite. Lorsqu’un instituteur explique comment fonctionne le moteur d’une voiture, il va évoquer, l’explosion dans les cylindres, refoulant les pistons, lesquels agissent sur des bielles etc. Il ne va pas analyser les mécanismes moléculaires de la combustion, pas plus qu’il ne va évoquer les forces présentes au niveau de la structure intime de l’acier, empêchant le moteur d’exploser. Mais pour un objet naturel, par exemple une rose, où faut-il s’arrêter ? à la biologie, à la chimie, à la physique, au Big-bang, aux lois de l’Univers, à une cause première ? à un Créateur ? Mais n’est-il pas scandaleux de passer à la métaphysique ?

Pierre DUHEM Philosophe des Sciences, proposait en 1906 cette définition un peu simpliste :

– « Expliquer, explicare, c’est dépouiller la réalité des apparences qui l’enveloppent comme des voiles, afin de voir cette réalité nue et face à face ». Mais si l’on poursuit cette analogie, on doit constater qu’expliquer n’a rien à voir avec le fait de dévêtir quelque beauté, cela ressemblerait bien plutôt à l’épluchage interminable d’un immense oignon, dont la substance même est composée de structures emboîtées les unes dans les autres !

En fait, comme le note Thomas Nagel (Pr. Philo., Univ. NY) (The New Republic, 23.6. 2006) :

– « Toutes les explications s‘arrêtent quelque part. L’opposition réelle entre le naturalisme physicaliste de Richard Dawkins [matérialiste emblématique] et l’hypothèse de Dieu, est relative au fait de savoir si ce point d’arrêt est physique, lié à l’espace, et sans intention, ou bien mental, intentionnel et avec un but. Dans chacune des deux conceptions, l’explication ultime n’est pas elle-même expliquée. L’hypothèse d’un Créateur n’explique pas l’existence de Dieu, et le naturalisme physicaliste [lequel caractérise le matérialisme] n’explique pas les lois de la physique. »

Outre cette portée limitée de nos « explications », les philosophes des sciences ont découverts bien d’autres erreurs courantes, d’autres biais affectant fréquemment les discours « explicatifs ».

Par exemple, la plupart des traités de biologie, bien que leur approche soit souvent réductrice, ne devraient pas diminuer l’impression d’éblouissement que l’on peut avoir devant les « prodiges » de la vie. En effet, leurs explications ne sont que des descriptions de mécanismes sophistiqués, et l’on n’annihile pas le merveilleux en se contentant d’en décrire les subtilités, lesquelles constituent en fait une source supplémentaire d’émerveillement. Il faut prendre garde à ces pseudo-explications qui n’éradiquent pas le mystère. C’est bien ce qu’entendait Richard Feynman, dans l’introduction à son Cours de physique (quantique) : « Nous ne pouvons pas faire disparaître le mystère en expliquant pourquoi les choses sont ainsi. Nous vous raconterons seulement comment les choses se passent » (1963). Ceci explique cette réflexion désabusée d’un athée, philosophe des sciences : « Nos explications ne sont jamais que des narrations ! » (F. Le Dantec, †1917, Pr. Sorbonne). Ce faisant il ne faisait que reprendre cette remarque de Nietzsche : « Nous employons le mot « explication » ; c’est « description » qu’il faudrait dire… »

Un autre biais est le risque de circularité ; nos explications locales ne sont apparemment satisfaisantes que parce qu’elles font appel à d’autres notions acceptées comme telles et dont on ne prend garde qu’elles mêmes reposent sur d’autres notions qui, etc. Et de proche en proche on peut même se retrouver au point de départ ! Le philosophe Karl Jaspers (†1969) à dénoncé cela :

– « Le monde ne se ferme pas. Il ne s’explique pas par lui-même, mais en lui on s’explique une chose par une autre indéfiniment.» […] « Le mondes reste béant… » (« Introd. à la philo. », 1963)

La marque de l’esprit dans la physique et les mathématiques est assez notable pour que nombre de scientifiques l’ai signalée. Pour ce qui est de l’infiniment petit nous avons déjà évoqué l’incompatibilité croissante entre physique quantique et matérialisme strict.

En ce qui concerne le Cosmos, Eddington (Dir. Observatoire Cambridge) fut un des premiers à l’affirmer dans l’astrophysique moderne : – « L’univers a le caractère d’une pensée ou d’une sensation au sein d’un Esprit universel […]. Pour conclure crûment, le « tissu » du monde est un tissu mental. » (1928). Notons que nous sommes ici encore exactement aux antipodes des « Lumières » puisque Hume ironisait : « Mais quel privilège particulier peut bien avoir ce petit frémissement du cerveau que nous appelons pensée, pour que nous en fassions le modèle de l’univers entier ? » (1799)

Que l’Univers n’aille pas de soi et ne s’explique pas par lui-même fut clairement précisé par des astronomes au XXe siècle. Cette impression a en effet été confortée par la découverte du fait que, pour être viable notre Univers doit satisfaire à des conditions et ajustement initiaux très particuliers (Principe Anthropique). Les positions antiréductionnistes, voire spiritualistes, se font cependant plus rares. Mais cela n’est pas dû au progrès de l’astrophysique, mais à la déchristianisation croissante ; en effet, certaines découvertes sont assez troublantes pour que certains cosmologistes athées militants, tels Sean Carroll, considèrent comme « répugnants » certains scénarios cosmologiques dont l’« aspect antinaturel donne le vertige ».

– « … la probabilité de trouver un tel atome de carbone [dans les étoile] façonné par les forces aveugles de la nature, serait plus qu’infime. […] L’interprétation sensée de ces faits, suggère qu’une super intelligence a « fricoté » avec la physique, tout autant qu’avec la chimie et la biologie, et qu’il ne s’agit pas là les forces aveugles à l’œuvre dans la nature. » (1982)

Fred Hoyle (†2001, Pr. Cosmologie, MIT, opposé au Big-bang)

– « La science ne peut répondre qu’à un type de questions. Elle est concernée par « quoi », « quand », « comment ». Elle ne répond pas et ne peut le faire de par sa méthode même à la question « pourquoi? ». Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? Pourquoi tous les électrons ont-ils la même masse et la même charge ? Pourquoi le dessein que nous voyons partout est-il à ce point miraculeux ? » (« A Scientist Reflects on Religious Belief », 1985)

Alan Sandage (Astronome au Mt Palomar, concerti à 60ans)

– « La question « du commencement » est inévitable, pour le cosmologiste comme pour le théologien.» (G. Smoot & K.D. « Les rides du temps », 1994)

– « Pour faire un univers aussi grand et aussi merveilleux qu’il est, et durant aussi longtemps […] vous devez le fabriquer parfaitement. Autrement, les imperfections ne cesseraient de s’aggraver et l’univers, soit s’effondrerait sur lui-même, soit se disperserait à l’extrême… »

George Smoot (Pr. Cosmol Berkeley, prix Nobel, 2000)

– « L’univers et les lois de la physique semblent avoir été spécifiquement conçus pour nous. Si l’un quelconque de la quarantaine de paramètres spécifiques avait une valeur légèrement différente, la vie, telle que nous la connaissons, ne pourrait pas exister. » (1997)

Stephen Hawking (Cosmologiste paralysé, Pr. Math. Cambridge)

– « Certains diront peut-être qu’il y a là, la preuve d’un concepteur. Peut-être qu’il y a un être divin, un Dieu. Un Dieu extérieur qui a ajusté ces nombres exactement à leur bonne valeur, pour que nous puissions exister. Nous ne savons pas si c’est la bonne réponse. Et nous ne somme pas encore prêts à l’accepter. » (« The Universe and Everything ». Site The Evidence, Science 2002)

Brian Greene (Pr. Physique + Math. , Columbia Univ.)

Il existe aussi une autre source d’étonnement qui ne conforte pas les explications matérialistes, c’est la durprenante harmonie entre monde des mathématiques et monde de la physique. Nombre de mathématiciens prétendent, avec de bonnes raison qu’ils n’inventent pas les mathématiques mais qu’ils ne font que découvrir une réalité préexistante. « Idées platoniciennes » diront les gnostiques, mais Vérités émanant de la Pensée créatrice de Dieu affirmeront les croyants…. et même certains athées/agnostiques comme Dirac (†1984, Nobel à 31 ans) disant : « Dieu est un mathématicien de tout premier ordre, et il a utilisé des mathématique très élaborées pour construire l’univers » (Scientific American, 5.1963).

De fait les mathématiques ont des rapports surprenants avec la réalité physique, ce qui étonnait déjà Einstein : « Comment est-il possible que les mathématiques, un produit de la pensée humaine qui est indépendant de l’expérience, décrive si parfaitement les objets de la réalité physique ? La raison humaine pourrait-elle, sans aucune expérience, découvrir par la seule pensée les propriétés réelles des choses? »

Yuri Manin (Dir. Max Planck Inst, 2007) peut maintenant préciser : « Les idées les plus profondes de la théorie des nombres présentent une ressemblance frappante avec celles de la physique théorique moderne. Comme la mécanique quantique… ». On conçoit alors qu’un des astronomes du Vatican, le Père Michał Heller puisse conclure : « Si l’on questionne sur la cause de l’univers, nous nous interrogeons sur la cause des lois mathématiques. Ce faisant, nous sommes ramenés au Grand Plan de Dieu pensant l’univers. » (Conf. NY, 12.3.2008)

En résumé, apprécions cette affirmation de Benoît XVI devant l’Académie Pontificale :

– «…si la nature est vraiment structurée avec un langage mathématique, et si les mathématiques inventées par l’homme peuvent réussir à la comprendre, ceci démontre quelque chose d’extraordinaire. La structure objective de l’univers et la structure intellectuelle de l’être humain coïncident. » (Univ. Pontificale du Latran, 26.11.2009)

Comment « expliquer » la signification de l’homme situé dans un Cosmos si « intelligent » ? Il s’avère donc que l’homme pascalien enserré entre deux infinis celui de l’immense univers et celui de l’ »infiniment petit » où la physique quantique règne en maître, n’est pas coincé entre deux insondables « absurdités » (au sens étymologique de discordances) qui lui seraient étrangères et interdites. Il est au contraire encadré par deux domaines qui ne lui résistent que pour mieux le ré-initier au sens du mystère, voire à l’humilité. Mais simultanément, sa capacité à accéder aux mathématiques l’introduit d’emblée à l’intelligence qui transpire dans les structures de l’Univers.

Que cet homme-là – si parfaitement ajusté à l’univers (par sa capacité à le déchiffrer) tout autant que l’univers lui est parfaitement adapté (par le Principe anthropique) – ne soit que le fruit du hasard des mutations et de la nécessité de la survivance (sélection naturelle et adaptation) est un leurre. Cette explication n’est pas suffisante pour de multiples raisons.

Prenons justement le cas de certaines particularités propres à l’homme :

Alain Prochiantz (Pr. Neurologie, Coll. de France, athée) : « l’apparition de l’homme reste un mystère. [chez les primates] Il y a un rapport évident entre la surface du cortex cérébral et la masse corporelle, on se rend compte que ce rapport est linéaire […]. Mais dès qu’on passe dans le genre Homo on voit que l’on sort de cette linéarité il y a du cerveau en trop […] pour nous, notre cerveau « en trop », c’est quand même 900 cm3 sur 1300cm3, […] et qui sont venus, je le répète, avec une rapidité déconcertante. » (Conf. UTLS, Paris, 15.10.2006)

Stanislas Deheane (Pr. de psycho, Coll.de France, académicien à 40 ans, athée) s’étonne ainsi devant la capacité humaine à identifier très rapidement les mots écrits : « Pourtant ni l’hypothèse d’un créateur intelligent [matérialisme oblige !], ni celle d’une évolution par sélection naturelle ne paraissent l’expliquer. Le temps a tout simplement manqué pour que l’Évolution conçoive des circuits spécialisés pour la lecture. » (« Les neurones de la lecture », p. 25, Odile Jacob, 2007). Un problème similaire se pose d’ailleurs pour l’arithmétique.

Jonas BERGLUND et coll. (Généticiens, Univ. Uppsala) ont : « …montré que [chez l’homme] nombre de modifications du codage des protéines dans les gènes ayant évolués le plus rapidement, ne sont pas le résultat de la sélection naturelle opérant sur les gènes… »

(Hotspots of Biased Nucleotide Substitutions in Human Genes, PLOS Biology, v.7, 2009)

Ariel FERNÁNDEZ (Pr. Bio-ingénierie, Univ. Rice, & coll.) précise : « … si la sélection [naturelle] darwinienne était impitoyablement efficace dans le genre humain – comme elle l’est chez les bactéries et les unicellulaire – alors le niveau de complexité qui est le nôtre ne pourrait pas exister. » (« Study sheds light on evolution of human complexity », PhysOrg, 3.11.2009)

Prétendre expliquer intégralement l’homme, sa conscience, sa spiritualité, sa liberté alors qu’il est le fleuron d’un univers de plus en plus difficilement compréhensible relève de ce que les psychologues cliniciens caractérisent comme un fantasme infantile de toute puissance.

Il est indubitable que dans les conditions classiques le cerveau – dont les différentes régions sont de plus en plus précisément associables à différentes actions, attitudes et sentiment – semble de prime abord l’explication satisfaisante de toutes les activités psycho-spirituelles de l’homme. Et pourtant le fait de trouver un sujet dont les régions spécifiques considérées comme indispensables à la conscience sont détruites, mais qui pourtant est capables d’introspection et de libre perspicacité, pose un problème considérable aux neurologues ne considérant l’esprit que comme une production du cerveau (« Preserved Self-Awareness following Extensive Bilateral Brain Damage… », PLOS one, 22.8.2012). Et que dire, lorsque l’on découvre par hasard – car aucun signe clinique ne le laissait prévoir – qu’un sujet à un cerveau si réduit qu’en certains endroits, sont cortex cérébral est plus mince que ne le sont les parois de sa boîte crânienne. La théorie bien admise selon laquelle l’homme doit sa spécificité à un gros cerveau contenant de très nombreux neurones semble vaciller (« Man with tiny brain shocks doctor », New-Scientist, 20.7.2007). S’y ajoute le cas des personnes en état végétatif depuis des dizaines d’années et qui réagissent cérébralement à des films, exactement comme des sujets normaux (PNAS, v.111, n°339, p.14277+, 2014) voire qui se réveillent et récupèrent…

Le XXe siècle nous a démontré que nos explications de l’infiniment grand et de l’infiniment petits étaient vraiment très insuffisantes, le XXIe fera très probablement de même pour l’évolution de la vie et la nature de l’esprit humain.

 

► 5. Les raisons de l’(heureuse) impossibilité de tout expliquer

Nous avons vu précédemment l’impossibilité d’apporter des réponses « explicatives » sans multiplier du même coup les énigmes appelant d’autres explications ! Cette étonnante et frustrante fatalité est même vécue, par certains scientifiques, sur un mode quasi explicatif, comme le fruit d’une sorte d’ »interdit » fruit d’une intentionnalité d’ordre supérieur !

« C’est comme s’il y avait une sorte de conspiration comme quoi il se passe quelque chose en coulisse qui ne serait pas autorisée à apparaître sur la scène. » (John Bell, †1990, physicien) ; – « j’avoue que l’ardeur inexplicable mise par le monde à échapper aux hommes – un nouvel inconnu étant systématiquement dissimulé derrière tout ce qu’ils découvrent – me paraît inexplicable. » (Didier Nordon, Philosophe des sciences, « Pour la Sc. », 06.2007).

Les exemples de stagnation ne manquent pas. On pourrait (en dépit de la découverte du boson de Higgs que beaucoup trouvent finalement bien ordinaire et décevante (Wired Sc., 2.7.2012), évoquer le modèle standard de la physique des particules, qui remonte à ~1970.

Voici la description qu’en fait un de ses spécialistes (Lee Smolin, Perim. Inst. Theor. Phys.).

– « Au début des années 70 les physiciens théoriciens ont inventé ce qu’il est convenu d’appeler le Modèle Standard de la physique des particules, lequel unifiait certaines, mais pas toutes les forces de la nature […] Il était largement admis que ce modèle ne correspondait qu’à un besoin de conforter des faits expérimentaux récents, et que ce model seraient bientôt remplacé par un autre plus unifié et symétrique : « La Théorie de Grande Unification ». Mais très étonnamment, cela ne se produisit pas. […] Ce que nous pensions n’être qu’un inconfortable campement provisoire pour la nuit en attendant d’atteindre le sommet où se dévoilerait une grande beauté, s’est transformé en la demeure délabrée de nos théories, et nous sommes bloqués là depuis 35 ans. » (« Embracing Nature’s Imperfections », Amer. Scientist, v.98, p. 496, 11/12. 2010)

On peut en ce domaine évoquer plus particulièrement la Théorie des cordes. Cette théorie ambitionne d’être une « Théorie du tout », incluant, unifiant, expliquant toute la physique. Les physiciens savent depuis Maxwell, Einstein, Dirac, etc. que les théories physiques, mathématiquement belles ont plus de chance que les laides d’être vraies. Or la théorie des cordes est belle. Cependant si les véritables lois de l’univers nous apparaissent toutes belles, il n’est pas évident que la relation réciproque soit vraie ; ce n’est pas parce qu’une théorie nous paraît belle qu’elle est toujours vraie. Ainsi en va-t-il de la théorie des cordes qui n’a guère évolué ni été confirmée depuis l’époque où Richard Feynman (†1988, prix Nobel) ironisait : « Les théoriciens des cordes ne font pas de prédictions, ils font des excuses ! » (rectifiant périodiquement les insuffisances de leurs modèles). Robert Laughlin (Nobel) est encore plus sévère : « Cette théorie … n’a aucune utilité pratique autre que d’alimenter le mythe de la théorie ultime. [la science prométhéenne n’est donc pas morte !…] Loin de constituer un merveilleux espoir technologique de lendemains grandioses, elle est en réalité la conséquence tragique d’un système de croyances obsolète… » (« A Different Universe », 2005). Il est vrai que la version la plus synthétique en ce domaine, la « M Theory » admettant de 10500 à 101000 solutions différentes, ressemble plus à une théorie fourre-tout (et non « prouvable ») qu’à une Théorie du tout ! D’ailleurs son inventeur (Edward Witten, Pr. Princeton) ne croit plus en sa capacité à pouvoir tout expliquer et se dit : « maintenant heureux que notre quête de la compréhension du monde ne puisse jamais connaître de fin. » (Conf. « Gödel and the end of physics », Univ. Cambridge, 20.2.2004)

L’origine de la vie, est un domaine capital de la recherche doté d’une réelle portée métaphysique/ beaucoup rêvent de montrer que son apparition est si banale et si naturelle qu’elle ne saurait en rien évoquer le Dieu créateur. Darwin, le premier, écrivait : « Je trouve symptomatique que, de la même façon que les scientifiques ne recherchent plus à mettre la main sur l’âme des choses, ils n’ont pas pour objet d’étude « la Vie », mais, par exemple, des processus biochimiques. De leur point de vue, qui est aussi le mien, « la vie », ça n’existe tout bonnement pas ! C’est un raccourci sémantique, support à mysticisme, mais c’est un concept dont il n’y a rien à faire. […] Autant le jeter à la poubelle et passer à autre chose ! »

Il est vrai que des molécules organiques se forment spontanément dans l’espace interstellaire, que d’autres peuvent apparaître sous l’influence de la foudre dans des atmosphères planétaires. Mais constater l’existence naturelle de quelques « briques » nécessaires à la vie n’est pas pour autant expliquer l’apparition de sa prodigieuse organisation et de sa dynamique. L’expression « matière vivante », est un non-sens. Il reste biologiquement vrai que, comme le précisait Lynn Margulis (Co-Dir. Exobiologie, Nasa, promotrice de « Gaïa ») : « Aller de la bactérie à l’humanité est un moins grand pas que d’aller d’une mixture d’acides aminés à une bactérie » (1996).

On doit reconnaître que les différentes hypothèses de l’origine de la vie se suivent à un rythme accéléré, à mesure que l’on découvre que l’hypothèse précédemment privilégiée, est intenable. Ainsi l’on connaît de mieux en mieux comment la vie ne peut pas apparaître ! Le fait est que la vie exige une quantité d’information surprenante : « Une simple page imprimée correspond à 10 000 unités binaires d’informations… Une simple bactérie est évaluée à 1011 ou 1012 unités, soit l’équivalent d’une bibliothèque de 25 000 à 250 000 ouvrages de 400 pages… »

Louis Avan (Pr. Physique Univ. Clermont Fd. + CNAM, 2005)

Les spécialistes de l’origine de la vie, ne sont d’ailleurs pas tendres à l’égard des hypothèses concurrentes de la leur :

« … les tenants du modèle du métabolisme primordial ont encore plusieurs problèmes à résoudre. D’abord, la plupart des molécules organiques qui réagissent en présence d’énergie [foudre, volcanisme etc.] deviennent le plus souvent un goudron plus propre à recouvrir les routes qu’à être le creuset de la vie. […] Les molécules assez réactives pour participer à une réaction métabolique sont tout aussi promptes à se décomposer. » (« Pour la Sc. », 09.2007)

Steven Benner (Pr. Biochimie, Univ. Floride)

« Imaginez un gorille (car il faut de grands bras !) et un immense clavier connecté à un ordinateur gestionnaire de langage. Le clavier comporte non seulement les symboles utilisés en anglais et dans les autres langages européens mais aussi un énorme excédent venant de chacun de tous les autres langages et symboles connus … La probabilité d’obtenir spontanément une molécule auto-répliquante [tel l’ARN] dans une mare [de la terre primitive] peut être comparée à celle qu’aurait le gorille de rédiger, en anglais, une recette cohérente pour la préparation du « Chili con carne ». » Robert Shapiro (Pr. Biochimie Univ. NY, Dossier P. la Sc. 7.2008)

« Des biologistes essaient de retrouver l’origine de la vie. Mais, cela ne dira pas grand-chose sur les origines de la vie et moins encore sur ce qu’il y avait avant car ils utilisent pour leurs essais la connaissance qu’ils ont de la vie telle qu’elle est devenue aujourd’hui. » (2009)

J.-Jacques Kuipec (Biol. molec. + Epistémologie, ENS)

Évoquons les dernières moutures de la recette de la vie et de sa complexification : La théorie thermodynamique de J. England (1.2014) pourrait sans doute expliquer pourquoi une molécule peut par hasard accumuler plus d’énergie quelle n’en perd, mais la vie est beaucoup plus que cela ! L’enzyme découvert par J. Scepanski (10.2014) « pourrait aider » à expliquer l’origine de la vie, simple supposition. L’ « Inside-out » théorie de D. et B. Baum, (10.2014) n’est qu’une théorie de complexification partant d’une cellule bactérienne qu’il faudrait expliquer. Etc.,

La moins mauvaise hypothèse récente, est peut-être celle qui pose que l’information présente dans la vie ne peut qu’avoir été calculée. Ainsi, la vie ne pourrait que provenir d’un calcul et les physicalistes (matérialistes) sont contraints d’inventer une théorie algorithmique de la vie.

Cette théorie est actuellement testée sous la direction de Paul Davies (Physique + Philo. des Sc., ex Pr. à Cambridge, théiste passé au spinozisme). Mais après avoir exposé cette thèse, il ne peut que faire la liste des 5 énigmes majeures qu’il y distingue d’emblée : 1° « Comment le software émergea-t-il du hardware ? » ; 2° « Comment une structure programmable signifiante peut émerger de molécules stupides ? » ; 3° « Comment l’enregistrement et le traitement d’information digitale peut-il émerger d’information analogiques ? » ; 4° « Comment des instructions ou des informations contextuelles émergent-elles de « simples bits » ? » ; 5° « Comment le flux d’information descendant (Top-down) peut-il émerger du flux d’information ascendant (bottom-up)? » (Internat. Conf. « Physics of Information », Porto-Rico, 5-10.1.2014)

En définitive nous pouvons conclure avec P. Davies : « Beaucoup de chercheurs se sentent gênés de déclarer en public que l’origine de la vie est un mystère, quoique derrière des portes closes ils admettent qu’ils sont perplexes. » ; « L’origine de la vie est l’un des grands problèmes irrésolu par la science. Personne ne sait comment, où et quant la vie est apparue. » (2007)

Finalement beaucoup comme Francis Crick en sont venus à penser, qu’apportée par des météorites, la vie est venus « d’ailleurs », ce qui est une façon élégante d’éluder la question !

Par ailleurs, et au delà de la vie, il se pourrait que nous soyons la seule civilisation dans l’univers. Le programme SETI (Search for Extra-Terrestrial Intelligence) commencé en 1960, n’a toujours capté aucun signal intelligent avec le grand radiotélescope d’Arecibo (>300m de diamètre), alors même que le nombre d’étoiles dotées de planètes est beaucoup plus grand que celui prévu initialement par l’équation de Drake (proposée au début des années 60 pour évaluer le nombre de civilisation possibles dans la galaxie). Pourtant, non seulement la sensibilité des détecteurs a fortement augmenté, mais que les capacités d’investigation ont, en ce domaine, été multipliées, depuis l’origine, du projet par un facteur 1010 !

Marcello Gleizer est le plus récent contestataire du tout explicable, et il en donne ses raisons. C’est un agnostique déçu par la physique des particules (Pr. astrophysique, Dartmouth Coll.). Il compare, comme le fit Thomas Huxley 125 ans plus tôt, notre savoir scientifique à une île entourée d’un océan infini, inconnu, inexploré ; cette Île de la connaissance, certes, ne cesse de croître en fonction de nos découvertes, mais … :

« Cette croissance à une conséquence surprenante et essentielle. Naïvement, nous nous attendions à ce que plus notre savoir sur le monde grandit, plus nous nous rapprocherions d’un but ultime que certains appellent « Théorie du tout », et d’autres la nature ultime du réel. Cependant, en retournant à notre métaphore, nous voyons qu’à mesure que croît l’Île de la connaissance, croissent aussi les rivages de notre ignorance – la limite entre le connu et l’inconnu. Apprendre plus sur le monde ne nous rapproche pas d’une destination finale … mais nous conduit à plus de questions nouvelles et à plus de mystères. Plus nous savons, plus notre ignorance devient flagrante… . » (« The Island of Knowledge », p. XXI, Basic Books, 2014).

Dès lors, on comprend mieux pourquoi, comme l’affirmait Pasteur, un surcroît de savoir scientifique, peut permettre – si le cœur est d’accord – de laisser plus de place à la foi en Dieu.

  1. Gleizer recense les différentes causes limitant notre savoir : la finitude de la vitesse de la lumière, les incertitudes quantiques, l’impossibilité de voir au-delà de l’horizon comique, le théorème d’incomplétude de Gödel, et les limitations de l’intelligence humaine ce dernier paramètre étant parfois oublié par des penseurs trop sûrs de leur logique.

Ces remarques de deux philosophes athées des sciences restent pourtant pertinentes à un siècle d’intervalle : « Le fait que le pourquoi se pose en moi, n’implique pas l’existence d’un « parce que », qui me soit accessible. » F. Le Dantec (Pr. Sorbonne, in « L’athéisme », 1907), d’une part et d’autre part :

« Il n’y a aucune raison de penser que nos cerveaux sont à la mesure de la compréhension des niveaux les plus élevés de la complexité, pas plus que le chimpanzé n’est en mesure de comprendre la théorie quantique. Il se peut donc que certains aspects de la réalité nous soient à jamais incompréhensibles… » Martin Rees, Pr. Astronomie, + Philo. des Sc., Cambridge (Interview Templeton Found., Big Questions, 2011).

Ces limitations n’ont rien à voir avec la liberté, la dignité et la richesse spirituelle de l’être humain. Un enfant de 7 ans ne peut pas comprendre la physique théorique, cela ne l’empêche pas de pouvoir adhérer de tout son être au beau, au vrai, au bien et à la Personne du Christ.

  1. Gleizer oublie cependant un autre facteur limitatif, le déluge d’informations dû au progrès. Le savoir de l’humanité double tous les 30 mois, à ce rythme, un scientifique ou un philosophe, se retrouve à sa maturité, au bout de 25 ans de carrière, dans un monde où la quantité de savoirs est ~5.108 fois plus élevée que lors de ses études. D’où une nécessité croissante de spécialisation, non propice à la capacité, même collective, de « tout expliquer ».

De plus ce déluge d’information, même localement, doit être traité et interprété, par exemple : « Les instruments de recherche modernes tels que les super-ordinateurs, les accélérateurs de particules, les télescopes génèrent tellement de données, et si rapidement, que nombre de scientifiques craignent d’être bientôt incapables d’y faire face. » Surendra Byna, Berkeley, 2012.

Dans le domaine de l’analyse génomique, les séquenceurs progressent ~8 fois plus vite que les ordinateurs nécessaires à la lecture de leurs résultats d’où un « embouteillage » flagrant.

La complexité croissante des modèles, représente aussi un facteur limitatif ; comme le remarque le philosophe P.A. Braillard : « Dans quelle mesure un biologiste peut-il comprendre un modèle constitué de milliers d’équations ? On peut légitimement se demander comment notre compréhension du vivant pourra progresser en remplaçant l’étude d’un système [naturel] complexe par d’autres systèmes [artificiels = les modèles] pas beaucoup moins complexes. »

(Colloque. « A quoi sert la modélisation », ENS. Paris, 23.1.2007)

Nous constatons ici, combien est vaine la prétention prométhéenne de J.-P. Changeux qui, croyant encore à l’irrépressible progrès desdites « Lumières » affirme que « La démarche de la science n’a pas de limites, il n’y a pas d’inconnaissable, mais seulement de l’inconnu. »

(« La nature et la règle », p. 270, 1998).

Il ne lui est pas venu à l’esprit que – ne serait-ce que sur le simple plan quantitatif et par son immensité même – l’inconnu pourrait se rendre factuellement inconnaissable.

Il existe encore un autre phénomène limitant notre capacité à connaître et expliquer l’univers, c’est le fait que nous y sommes inclus et que nous ne pouvons l’observer que de l’intérieur et non à partir d’un méta-niveau extérieur. Ceci avait parfaitement été annoncé par Max Planck l’inventeur des quanta : « La science ne peut résoudre l’ultime mystère de la nature parce qu’en dernière analyse, nous-mêmes sommes partie de ce mystère que nous essayons de résoudre. » Ceci est particulièrement vrai dans le domaine de la physique quantique où plus que l’objet étudié, en soi, c’est l’interaction entre celui-ci et l’expérimentateur qui doit être considérée.

Des limites de la physique à l’ouverture sur la métaphysique.

Gabriel Marcel à fort pertinemment insisté sur, d’une part, la disparité entre Être et Avoir : l’avoir qui s’accumule et que l’on comptabilise, mais qui est l’instrument et « le lieu du désespoir », alors que l’« être transcende tout inventaire » comme il le précise ; et puis, d’autre part, la différence entre le problématique (pur domaine de l’investigation quasi-objective de ce qui nous est extérieur et qui peut augmenter notre savoir, notre avoir) et le mystérieux (domaine de l’exploration purement subjective du cadre qui nous inclus et nous aide à structurer notre être). Or ces dichotomies capitales ont aussi un rapport avec notre quête d’explication et ses limites.

Ainsi par notre échec même à pouvoir cataloguer et analyser toutes les qualités, toutes les caractéristiques, de toutes les choses composant le Cosmos, après avoir renoncé à l’illusion de maîtriser dans le domaine du problématique toutes ses propriétés, nous pouvons alors – pour continuer notre quête – nous intéresser plus intimement, non pas tant à la liste de ses avoirs mais – moyennant la reconnaissance du mystérieux comme heureusement inexpugnable – à l’ineffable de son être.

Cette « conversion » du désir de connaître fruit de l’impossibilité de tout expliquer dans le cadre du problématique est bien celle que nous proposait (en 1951) le philosophe Karl Jaspers :

– « Telle est la passion de la connaissance : s’élever si haut qu’elle parvienne là où la connaissance échoue. Dans le non-savoir, mais dans la plénitude d’un non savoir véritablement conquis, réside une source irremplaçable de notre connaissance de l’être. »

Dans ce nouveau mode de connaissance de la Création, la possession fait place à la relation, il est alors bien plus aisé d’étendre nos aspirations jusqu’à remonter de la Création à l’Être Créateur.