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Entretiens

 

   

         
   
   

LA RECHERCHE      PHILOSOPHIQUE

   

DU PLEIN SENS DE LA VIE

   
   

                        

I

 

A quoi tend la recherche philosophique ?

 

 

1/ Que signifie être ami(e) de la sagesse ?

 

Les noms « philosophie » et « philosophes » sont déjà parlants par eux mêmes. Il est normal de les prendre tout d’abord simplement au sens qu’ils indiquent.

« Philo » vient du grec « philein » qui veut dire « aimer ».

« Sophie » est le décalque en français de sophia en grec qui se traduit par « sagesse ».

Donc la philosophie est essentiellement l’amour de la sagesse. (ou d’une sagesse). Et ceux et celles qui disent « aimer la sagesse » bien entendu la recherchent et la cultivent.

Voilà donc, dans sa généralité, la philosophie définie avec la plus grande simplicité.

 

*

À cet égard nous pouvons nous souvenir que la simplicité est une valeur. Nous savons tous que le langage des philosophes est parfois compliqué. Un humaniste a pu dire : « Lorsqu’un philosophe vous répond, vous ne savez plus ce que vous lui avez demandé ».

La complication n’est pas signe d’intelligence. C’est le fait d’une pensée qui est en peine de maîtriser ses idées. Elle cherche la profondeur, mais la vraie profondeur se voit mieux dans un langage simple et clair.

Le plus bel exemple est donné par les Évangiles. Les paroles du Christ sont d’une profondeur insondable et c’est un langage simple et limpide. Par exemple : « Je suis venu pour que les hommes aient la vie en surabondance ». (Jn 10.10) « qui aura trouvé sa vie la perdra, qui aura perdu sa vie à cause de moi la trouvera ». Mt 10.39) « Si le grain ne meurt pas il reste seul » (Jn 12.24) « Qui veut être le premier se fera le serviteur de tous » (Mc 9.35) « Que sert à l’homme de gagner l’univers s’il vient à se perdre lui même ? » (Lc 9.25) « Le ciel et la terre passeront ; mes paroles ne passeront pas » (Lc 21.33)

Beaucoup de paroles du Christ sont énoncées si simplement que le sens peut être saisi tout de suite et néanmoins on ne finira jamais de l’approfondir. Elles sont parlantes pour les simples et pour les savants. Elles prouvent que la profondeur peut aller de pair avec la simplicité.

 

*

 

 

Nous avons donc avant tout, pour bien entendre le nom « philosophie », à chercher ce que veut dire « sagesse ».

Nous partirons du langage le plus courant. Quand nous entendons dire : « c’est un sage », ou « cette décision a été prise avec sagesse » nous avons une idée de ce que cela veut dire. Dire : « c’est un sage », c’est reconnaître à quelqu’un une habitude de juger avec prudence, avec pondération et avec justesse.

Sage s’oppose à insensé. Est sensé(e) celui ou celle qui parle et décide judicieusement ; qui se garde d’agir précipitamment, sans réflexion ; qui considère la fin et les moyens. Lorsqu’on a bien jugé et bien décidé, on a raison de demeurer résolu. S’adapter n’exclut pas la constance. Je pense, par exemple, à la bienheureuse Élisabeth de la Trinité. De bonne heure elle a dit un oui franc au Christ pour les meilleures raisons. Elle n’avait pas vingt ans que déjà ses paroles, ses prières, ses décisions étaient d’une sagesse rare. On la jugeait excessive, peu modérée. Se décider dans l’adolescence pour une vie de carmélite, c’est un choix qui peut sembler fou. Mais « la folie de l’amour divin, disait St Paul, est plus sage que toute sagesse humaine ». I Co 1.25)

 

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Le sage, bien résolu, à bon escient, pourra garder une humeur égale dans des circonstances contrariantes. Je me souviens d’un vieux moine (de Ligugé) à qui l’on demandait ce qu’il pensait d’une décision surprenante de son Abbé. Il répondit : « Mon cher, le sage n’est pas celui qui trouve tout bien, mais celui qui se trouve bien de tout ».

Cela, au mieux, rejoint l’action de grâce et la louange à Dieu du spirituel dans un moment d’épreuve dramatique où le moral pourrait fléchir et s’affoler. Le philosophe Épictète accueillait tout ce qui arrivait, même un malheur cruel, comme un élément de l’ordre voulu par Dieu.

 

*

Nous avons donc tous une certaine idée, assez courante, un peu courte, de ce que veut dire « sagesse ». La sagesse a surtout rapport au comportement.

Les philosophes grecs étaient avant tout des gens soucieux de bien vivre. Ils équilibraient ainsi leurs efforts de recherche intellectuelle de la vérité ultime.

Socrate, Cléanthe étaient honorés pour leur justice autant que pour leur pensée. Mais Socrate va nous conduire plus loin dans la compréhension de ce que c’est que d’être « amie (e) de la sagesse », par une opposition qu’il fait entre « sagesse particulière » et « sagesse totale ». Nous allons voir ce que cela veut dire.

 

2/ Que signifie le désir de la sagesse totale ?

 

J’ai nommé Socrate parce que la philosophie, au sens historique du terme, a un point d’origine.

Il est clair que l’amour et la recherche de la sagesse n’ont jamais été réservés exclusivement à ceux et celles qui, depuis tantôt 2500 ans, ont porté le nom de philosophes et essayé d’élaborer ce qui s’appelle une philosophie. Dans tous les temps, dans tous les pays et toutes les cultures, il a pu se trouver des gens qui ont voulu s’adonner principalement à la quête de la sagesse. Le livre qui est toujours le plus répandu, la Bible, offre de grandes pages où s’expriment à la fois le désir, et, ce qui est encore plus, la révélation de la vraie sagesse, personnifiée en Dieu, éternelle..

Néanmoins, nommer « la philosophie » est se référer à une discipline, à la fois de pensée et de vie, qui s’est développée d’une façon singulière dans une longue histoire et dont le départ historique est localisé chez les anciens Grecs et plus particulièrement à Athènes.

 Pour parler clair au sujet de la philosophie, on est obligé de se baser sur ce qui est explicite dans les documents anciens. Autrement dit, c’est là où les textes parlent de « philosophes », de « philosophie », et montrent ce que c’est que « philosopher », que la philosophie peut être identifiée avec sûreté.

Or, si l’on s’appuie sur les plus anciens textes où s’énonce le projet philosophique en termes explicites, on peut aller jusqu’à dire que la philosophie a un père qui est Socrate. Les fragments conservés des présocratiques ne parlent pas de « philosophie ». Leurs auteurs ne se disent pas « philosophes » puisque le mot leur est étranger.

La philosophie se nomme et se définit dans les dialogues de Platon, faisant parler Socrate, mort en 399 avant Jésus Christ. Le projet philosophique a pris corps et réalisé ses premiers progrès, déjà considérables, à la suite de l’amitié pleine d’admiration de Platon envers Socrate. Elle a bientôt connu un grand développement du fait de l’entrée d’Aristote dans l’école de Platon. Il se dit et restera « platonicien » en marquant quelques divergences avec son maître.

Platon a fait de Socrate son porte parole dans ses admirables dialogues. Impossible de préciser la part de l’un et de l’autre. Socrate n’a rien laissé par écrit. C’est principalement dans les dialogues intitulés « La République » (politeia  politeia) que Platon a fait dire à Socrate ce qui caractérise en propre la philosophie. « Ne dirons nous pas du philosophe qu’il est désireux (épithumètin  epitumetin) non pas d’une sagesse et non d’une autre, mais de toute la sagesse ? » (Rép. 475 b).

Dire le philosophe « désireux de la sagesse totale » (pasès sophias  pases sofias) signifie qu’il ne se prend pas pour un sage. Il est homme de désir. Il se distingue de ceux qui sont reconnus et célébrés comme des « sages », comme Solon, législateur à Athènes. Les philosophes aujourd’hui ont bien des raisons de ne pas s’attribuer la possession de la sagesse. Mais si celui ou celle qui se dit ou se laisse dire « philosophe » ne tendait pas à l’acquisition de la sagesse, il lui faudrait prendre un autre nom qui ne soit pas trompeur.

C’est donc « le désir, non de cette sagesse-ci et non de celle-là, mais de la sagesse tout entière », intégrale, qui anime le philosophe. La distinction est capitale. Le vœu philosophique comporte une exigence de totalité.

Le philosophe ne se réserve pas un secteur de connaissance ou d’expérience, comme le savant spécialisé, physicien, biologiste, sociologue ou comme le technicien expert en un domaine particulier. La sagesse qu’il désire doit combler une aspiration non particulière, mais totale. Et, en effet, dans le développement historique de la philosophie, « le Bien souverain », « le Parfait », dit Aristote (to ariston), est reconnue la Fin universelle visée par le philosophe dans la recherche qui remplit sa vie. C’est l’intégralité du désir humain assumée.  « Je choisis tout », disait Thérèse. Au parfait nous ne préférons pas l’imparfait comme tel.

Aristote précise à sa manière la formule de Socrate dans Platon : « Nous concevons d’abord le philosophe, dit-il, comme possédant la totalité de la connaissance dans la mesure du possible, mais sans posséder la science de chaque objet en particulier, car la connaissance de toute chose appartient nécessairement à celui qui possède la science de l’Universel, car il connaît d’une certaine manière tous les cas particuliers qui tombent sous l’universel » (Métaphysique A; I, 982 a)

Lorsqu’Aristote parle de « science », il parle d’un savoir certain pas seulement théorique, mais aussi pratique, étendu à un art de vivre. L’universel est l’Etre plénier que tout existant imite ; Platon disait : à qui tout participe. C’est l’Être sans non être ou imperfection, qui peut être dit « l’Être qui est » (ontôs on  ontos on Platon) ou «L’être en tant qu’être » ( on è on  on e on  Aristote) au livre XII (L) de la Métaphysique d'Aristote, la recherche de l’être se reconnaît recherche du parfait absolu appelé « Dieu » ( o theos  o theos). Aristote le conçoit comme un vivant, se pensant lui même, dans une joie supérieure aux joies que nous connaissons, et perpétuelle. Étant le Bien parfait, il attire à soi tous les êtres par l’amour (éroménos eromenos ) de son absolue perfection. Le style d’Aristote est neutre en ce sens qu’il s’applique seulement à dire le vrai avec exactitude. Mais parlant de Dieu, il lui vient un accent inhabituel, un lyrisme d’admiration.

Pour qui a reçu la révélation divine du Christ, il est émouvant de voir s’élever vers Dieu la pensée et le désir de philosophes grecs qui, semble-t-il, n’avaient aucun accès à la source juive, et qui, par moment, semblent soulevés au dessus de leurs raisonnements et conjectures par une inspiration.

Donc ce que le philosophe, depuis toujours, cherche essentiellement et par dessus tout est le Principe premier, la Cause et la Fin de tout ce qui existe, le Parfait immuable en tant que tel, mais, pour Platon, « créateur bon » de l’univers et de l’homme.

 

*

 

La question qui se pose au philosophe dès qu’il a reconnu la vérité du désir qui anime l’être humain, est de savoir par quel chemin il pourra trouver ce qu’il cherche.

La Cause première universelle ne se laisse pas trouver dans un commencement de l’univers que nous ne connaissons pas. Aujourd’hui les savants font des conjectures sur les premiers instants de l’univers. Beaucoup admettent comme une explosion initiale. Mais l’agir créateur, personne ne le voit.

En revanche la finalité ultime qui meut les êtres, consciemment pour l’homme, peut se concevoir et, dans une certaine mesure, se connaître. Il n’est personne qui ne puisse voir l’attrait du Bien à l’œuvre en son expérience. Nous n’agissons pas sans raison, mais par l’attrait d’un bien, savoir ou beauté par exemple. Et ce qui nous meut, comme l’a vu Aristote, est le Parfait lui-même. Car nous ne préférons pas le moins bon comme tel à ce qui, sous un certain rapport, nous semble meilleur. Nous disons « imparfait » ce qui ne nous contente pas. Nous attestons clairement notre aimantation par le Parfait, l’Être en plénitude. Il est le pôle de nos actions et de nos vies. Le « ce pour quoi » (to énéka  to eneka  Aristote) nous sommes faits, sans pouvoir nous faire une idée adéquate de lui.*

 

Ainsi, lorsque Platon, concevant le Bien comme le Principe de l’Être, « au delà des essences », avant de l’identifier à Dieu, fait dire à Socrate que le philosophe est le désirant, non d’une sagesse et pas d’une autre, mais de toute sagesse (pasès sophias  pases sofias) ou de la sagesse totale, il définit le philosophe comme celui qui, en réfléchissant, prend conscience que ce qui se veut en lui et meut son agir est l’Être sans défaut, le Bien en plénitude. Que Platon et Aristote, l’un après l’autre, ont appelé Dieu (o theos  o theos).

Quand nous prononçons ce nom dans une langue latine comme le français, nous pouvons nous souvenir que Dieu vient de Deus, doublet latin du grec Zeus, le Dieu suprême à qui le philosophe Cléanthe adresse sa louange. Quand la jeune carmélite de Dijon dit : « O mon Dieu et mon tout », elle exprime une foi que les grecs anciens n’avaient pas, mais à laquelle leurs recherches ferventes et les vérités auxquelles elles arrivaient, préparaient les esprits. Pascal a jeté cette pensée sur le papier : « Platon pour disposer au Christianisme ».

Le « Moteur immobile » de nos mouvements  est au delà de tout bien imparfait que nous poursuivons. Et nous donnons raison à Malebranche disant que « nous avons toujours du mouvement pour aller plus loin ». Saint Augustin, au début de ses confessions a magnifiquement exprimé cette aimantation de nos vies, à la fois nécessaire et libre. « Tu nous as faits pour toi, Seigneur, et notre cœur est sans repos (irrequietum) tant qu’il ne demeure en toi ».

Ceux là même qui se tuent le font pour un bien qui est l’absence du malheur. Le Bien sans mal est ce qu’ils cherchent, contradictoirement, s’ils pensent se supprimer avec le mal qui les accable.

 

*

 

Dans le désir et la poursuite du Bien sans mal ni limite, de l’Être en plénitude, nature et raison sont de connivence. Nous avons raison de désirer le désirable, auquel s’identifie l’intelligible, dit Aristote. Mais avons-nous raison de croire que nous sommes fait pour l’accomplissement de notre instinct naturel, de cette invincible aspiration à une félicité parfaite ?

Notre désir est-il réalisable ? Nos efforts ne sont-ils pas vains ? Quand nous voyons toute vie s’achever dans la mort, que reste-t-il ? 

 

II

 

Quels chemins vers la plénitude de la vie ?

 

1/ Folie de ne pas chercher le Bien absolu

 

Nous avons dans notre nature un guide.

Nous savons tous que nous n’agissons pas sans raison. Un but qui est un bien nous attire et nous ne préférons pas le moins bon sous tout rapport. Toute action vise, à l’horizon, une perfection inconnue.

Cela suffit-il à nous donner l’espérance de l’accomplissement auquel nous tendons ?  Comment saurons-nous si le Parfait existe et s’il nous est accessible ?

 

*

Si vous avez lu le Phédon de Platon, vous aurez remarqué l’exigence du jeune Simmias. Socrate vient de démontrer, avant de mourir, l’immortalité bienheureuse de l’âme que peut espérer celui qui a vécu en juste. (Kant en fera un postulat de sa morale). Mais, dit Simmias, pour être tout à fait sûr, il ne serait pas de trop que nous puissions entendre une parole divine. (logos theios  logos theios  Phédon 85 d).

Les pères fondateurs de la « philosophie », dans l’Athènes du IVème siècle, ont cherché à établir la vérité de la vie future. Cette croyance était alors, de source religieuse, quasi universelle. Platon affirme l’âme immortelle, Aristote réserve l’immortalité à la partie supérieure et divine de l’âme : l’intellect. Aucune espérance pour le corps.

Croire en la possibilité d’une immortalité bienheureuse est, en langage moderne, admettre que la vie peut avoir un sens plein. Si, désirant tous invinciblement être heureux, nous sommes destinés au néant, nous sommes pris dans un piège absurde et cruel. Notre nature devient une énigme.

 

*

 

Nous ne sommes plus aujourd’hui dans la situation de Simmias de Thèbes et des philosophes antiques. Que nous soyons croyant ou non croyant nous avons tous quelques notions de ce qui a été enseigné en Israël, plus de mille ans avant Socrate et pleinement révélé par le Christ. Et quoique nous pensions, nous agissons tous comme si notre vie avait un sens et que tout ce que nous faisons n’était pas fait pour être détruit. Comme il a été dit par un philosophe, aimer quelqu’un est lui dire : « Toi, tu ne mourras pas ».

Nous avons une intelligence faite pour comprendre. Nous comprenons certaines choses. Pourquoi nous serait-il refusé de comprendre pourquoi nous sommes nés avec l’amour de la vie ?  Un enfant est une promesse de vie. Incompréhension et tristesse nous envahissent si nous pensons qu’il est en vie « pour la mort » notre sentiment est le sens que nous avons d’une anomalie.

L’attitude raisonnable est de chercher ce qu’il en est de la promesse de la vie. Qui réfléchit, admet que c’est une folie d’aller vers le bout de son existence terrestre sans chercher à savoir « s’il y a des biens à espérer ou non », pour reprendre le langage de Pascal.

Il y a aujourd’hui des philosophes qui savent tout, qui ont tout vu et, qu’il n’y avait rien derrière le rideau des apparences et, qui endorment le désir naturel en professant que la mort qui vient est un sommeil sans réveil. Freud : « Le but de la vie, c’est la mort » (sic). Sartre : « Nous sommes des morts en sursis …l’homme est une passion inutile ». Foucault : « L’homme s’efface comme figure de sable rongée par la mer ». Lévi-Strauss : «L’histoire de la vie et de l’homme aura été un éclair au milieu d’une longue nuit ». Ainsi de tout ce que les hommes auront fait, il n’y aura personne pour se souvenir. Tout est fait pour être détruit.

Proclamer l »absurdité universelle, n’est-ce pas inventer bien légèrement, une absurdité artificielle, une religion du triomphe de la mort. A-t-on fait l’effort de chercher si la mort était, de tout, la vérité dernière ? N’y-t-il pas des raisons et des faits qui parlent en sens contraire ? Les a-t-on examinés ou écartés à priori ? Devant tant de faits divins avérés, l’athéisme est-il autre chose qu’un parti pris d’inattention ?

Pascal a écrit des pages brûlantes d’indignation, mais où brillent autant de raison que de passion contre la légèreté des « libertins » affectant l’indifférence à l’égard de leur sort futur et dernier. « C’est un monstre pour moi », écrit-il.

Nous qui nous intéressons à tant de choses qui passent, qui prenons tant de soin de notre santé, pouvons-nous être indifférents à ce qu’il doit en être pour toujours de nous et de ceux que nous aimons ? Il s’agit de notre tout. C’est une affaire de vie ou de mort. Et, à chaque minute, nous donnons la preuve que nous fuyons la mort et voulons la vie.

La conclusion de Pascal est la raison même : « Il faut chercher ».

La vie humaine est aujourd’hui enrichie par les technosciences. Leur progrès sans cesse accéléré est prodigieux. C’est émerveillant et divertissant. Le progrès est grand et inessentiel. Avec l’internet vous pouvez satisfaire sans délais des curiosités de toute nature. Qu’aurez –vous gagné si un jour prochain vous perdez tout ?

Face à ces immenses progrès, de maîtrise du visible et de l’éphémère, il nous manque une sagesse au moins interrogative. Si nous négligeons la recherche du Bien qui demeure, la recherche philosophique de l’Intelligible suprême et du souverain Désirable, tout perd sons sens en nos vies, dans la perspective de n’être plus.

De temps à autre le monde le crie : La vie n’a plus de sens. Mais pour avoir chance de trouver ce qui donnerait à la vie son plein sens, dans quelles directions conduire nos recherches ? Où brille, et en qui, le Bien qui demeure et qui ne déçoit pas ?

 

2/ Pourquoi toute philosophie puise à une source religieuse

 

Depuis toujours le philosophe cherche à connaître le Principe premier et la Fin ultime des êtres. Le sens de la vie humaine en dépend. Quel Principe, quelle Puissance d’accomplissement donnerait à la vie son plein sens ?

Cette interrogation vitale est la pointe de la recherche philosophique. C’est pour le philosophe, depuis Platon, la question de Dieu. Pour Platon et pour Aristote tout ce qui est en devenir est suspendu à l’Être éternel et parfait appelé Dieu.

Dans les derniers siècles, des philosophes ont voulu substituer à Dieu, soit l’Humanité, « le grand Être », soit la matière ; d’autres ont simplement nié Dieu.

Nul ne peut dire qu’il possède toute la vérité. Et nul ne peut la tirer du seul effort de sa pensée. Nous avons tous appris certaines choses. Nous avons des convictions et des préjugés. La vérité se cherche dans un dialogue désarmé. À chaque philosophe de reconnaître ses sources et de dire les raisons qu’il a de s’y attacher.

 

*

 

Une constatation s’impose. Depuis ses origines athéniennes, la philosophie est tributaire de doctrines religieuses. Les anciens philosophes avaient l’idée que le monde sublunaire dépend d’un monde supérieur, immuable, invisible, « séparé » dit Aristote, divin et parfait. Platon invite ses semblables à se détourner des ombres qui passent et à se tourner vers la réalité d’en haut qui a pour sommet et principe « Dieu », Créateur de l’univers, ou « le Soleil du Bien ».

L’idée d’un monde divin, supérieur au sensible qui en dépend, est le fond même des croyances religieuses. Elles informent la philosophie. Platon combat les mythologies homériques inspirant des représentations du divin grossières et indignes. Il dit sa dette envers la source religieuse donnant du divin la plus haute idée. Il met en scène Socrate dans un rôle inhabituel : interrogeant une prêtresse, Diotime de Mantinée, sur les étapes du progrès de l’amour vers la contemplation comblante de l’Être divin, « Océan du Beau » (polu pelagos sou kalou  polu pelagos sou kalou Banquet 210 d), immense et ineffable beauté.

 

*

Nous voyons aussi que la diffusion de la Révélation chrétienne a changé le statut de la recherche philosophique. Les philosophes de l’Antiquité élaboraient une théologie naturelle. C’était pour eux la science suprême qu’Aristote appelle la « philosophie théologique ». Quand la foi chrétienne s’est répandue, cette recherche rationnelle de Dieu a gardée sa valeur au regard de la foi. Saint Paul, au début de sa lettre aux Romains, dit que tout homme a, de tout temps, pu connaître Dieu à partir de ses œuvres. Qui, en effet, ne peut voir, par exemple dans l’organisation et l’harmonie d’un corps vivant comme le corps humain, l’empreinte d’une intelligence transcendante ?  Mais si le raisonnement conduit toujours à une certaine idée de Dieu créateur, la révélation judéo-chrétienne donne une lumière incomparablement plus grande et une connaissance plus ferme.

Sur l’intention créatrice qui donne sens à nos vies, est-il une source plus sûre que la parole du Christ, confirmant les prophètes, confirmée par la vie et par l’expérience, possible à tous, du don qu’il dit vouloir faire de l’Esprit de vérité, à l’Église fondée par lui sur Pierre, Roc de certitude, et à tous ceux et celles qui librement voudront l’accueillir ?

L’expérience probante du don de l’Esprit sanctifiant donne les plus décisives raisons au philosophe de consulter en priorité la source chrétienne.  L’Esprit rappelle et éclaire les paroles du Verbe de Dieu, « la Sagesse » éternelle, selon ses témoins. L’un des plus convaincants est sans doute Saint Paul, amené par expérience à annoncer ce qu’il refusait de croire, la résurrection du Christ, Sauveur des hommes en égalant l’amour divin, source de la vie divine, dans une libre volonté d’homme, par le sacrifice de sa vie.

Même non croyant, vous reconnaissez en Jésus Christ une sagesse sans exemple. « Jamais homme n’a parlé comme cet homme » (Jn 7, 46). Qui a pu dire : « Avant qu’Abraham fût, je suis » ? (Jn 8,58) ; « Quand vous aurez élevé de terre le Fils de l’homme, vous saurez que je suis » Jn 8,28) ? Qui a jamais pu demander : « Qui d’entre vous me convaincra de péché ? » (Jn 8, 46) ?

« Nous avons, dit Jean, connu l’Amour que Dieu a eu pour nous et nous y avons cru » (I Jn 8, 46). « Nous avons vu de nos yeux, contemplé, touché de nos mains, ce qui était au commencement : le Verbe de Vie » I Jn 1, 1).

A la fin de son dernier livre, ayant porté une attention rigoureuse aux grands mystiques chrétiens, témoins de l’amour divin manifesté dans le Christ, et, pour leur part, modèles de rationalité et de robustesse intellectuelle, Bergson a pu dire à quiconque cherche le sens de sa vie, que nous sommes créés étant désirés de Dieu, d’un amour infini, pour partager la vie et la gloire de la divinité.

S’il est vrai qu’aucune croyance n’a l’exclusivité du vrai, il reste qu’en Jésus Christ se trouve quelque chose d’unique et, au moins comme une question, son secret attire l’attention du philosophe.

 

*

 

En fait depuis la conversion du premier philosophe grec, le platonicien Justin, qui deviendra martyr, les philosophes doivent à peu près tous à la doctrine chrétienne l’idée de Dieu qu’ils professent, « celle que nous tenons pour vraie », écrit Kant. Mais que de négligences et de fantaisies, que de superficialité dans leur attention au Dieu révélé !

Éclairée par la source chrétienne, la philosophie a progressé et atteint des sommets. Mais lorsque des philosophes, tout en continuant à puiser à la même source, ont cessé de la contempler en face, la philosophie a perdu toute rigueur de science. C’est dans cet état que Kant la voit, sans en reconnaître la cause. Ou plutôt il la reconnaît, puisqu’il dit « le concept de la déité que nous tenons pour vrai » dû à la religion chrétienne, « la nôtre ». Mais il n’en tire pas la conclusion logique d’une attention plus rigoureuse à la source toujours exploitée, mais comme distraitement, par une « raison » qui n’a évidemment rien de « pur ».

 

*

 

La philosophie a déjà montré qu’elle pouvait reprendre son chemin de science, à la lumière de la Sagesse qu’elle reconnaît comme son but.

Nous avons à préciser comment l’attention à cette lumière peut honorer l’exigence rationnelle de la philosophie.

 

 

3/ Comment la philosophie peut consulter rationnellement une source religieuse.

 

Il ne suffit pas de constater que tenir compte d’une source religieuse est un fait constant dans l’histoire de la philosophie. Il ne suffit pas non plus d’observer les raisons d’identifier Jésus Christ à la Sagesse éternelle. La foi ne se communique pas par des arguments. Elle est confiance librement accordée à l’Amour reconnut en son acte suprême et en sa toute puissance.

À la question du but de la vie, nous ne pouvons pas nous contenter d’une réponse quelconque, postulat ou conjecture. Nous avons un besoin vital de la réponse véridique et vérifiée.

Le langage de la philosophie est celui, non d’une croyance, mais du raisonnement. (Ne disons pas de « la raison » par pudeur ! les philosophes se sont trop ridiculisés en faisant parler « la raison » dans tous les sens et jusqu’aux moins raisonnables). Le raisonnement porte sur ce qui a été appris. Un effort de lucidité est requis du philosophe pour bien distinguer entre les sources qu’il utilise. Lorsque Kant met au compte de la raison l’impératif de traiter toute personne uniquement comme fin, il doit savoir qu’il n’a trouvé cela ni dans Platon ni dans Aristote qui justifiaient l’emploi d’êtres humains comme instruments.

Tout philosophe sait que les écrits antiques, même si partiellement ils convergent avec la doctrine reçue de Dieu, se fondent sur d’autres principes. Se reconnaît, d’une part, l’existence d’une théologie naturelle, d’autre part, celle d’une théologie fondée sur la grâce et la liberté de la foi.

Saint Thomas place « à côté, en plus » (practer) des « sciences philosophiques » (philosophicae disciplinae), œuvre du raisonnement humain (secundum rationem humanam inventae), « une autre science » (alia scientia), « inspirée par Dieu » (divinitus inspirata). Pratiquement, respecte-t-il la distinction posée au début de sa « Somme » ? Les arguments qui lui servent à établir le vrai sur Dieu et sur l’homme sont pris à toutes les sources disponibles. On peut voir une proposition d’Aristote l’emporter sur une parole tirée des saintes Écritures. L’exemple de saint Thomas montre combien il est difficile de mettre à part « foi » et « raison » pour éclairer l’expérience humaine sur son Principe et sa Fin.

Descartes a mis en évidence cette difficulté. En tête de ses « Méditations métaphysiques », il se présente en « philosophe chrétien ». Puis il dit devoir « chercher s’il y a un Dieu ». Et bien entendu le Dieu qu’il démontre, à partir de l’idée du Parfait, a les attributs enseignés par l’Église. La « raison » chez lui, a appris quelque chose qu’ignoraient Aristote et Cicéron.

Il est donc besoin de quelques règles pour éviter au discours philosophique la confusion de ses sources.

Il faut expliciter celles dont on dépend en donnant les raisons de leur faire confiance. (Descartes, Leibniz, Kant, Bergson, parmi d’autres, ont dit leur dépendance acceptée à la source chrétienne).

Il faut aussi ne pas introduire dans le discours philosophique, comme vérité admise, une proposition de foi non démontrée, comme « Dieu est amour », « Dieu est l’Être même subsistant », mais la présenter pour ce qu’elle est : un proposition de foi digne d’être examinée.

Il ne faut pas faire comme si on avait à découvrir ce que l’on sait et va dire parce qu’on l’a reçu de la foi. Saint Anselme a donné l’exemple à suivre. Il dit clairement qu’il va prouver par raison la vérité de ce qu’il croit.

Enfin il est important de chercher si une proposition de foi comme « Dieu est amour », déjà justifiée rationnellement, ne peut pas être confirmée par une expérience probante.

La force de la foi chrétienne pour le philosophe est qu’elle est appel à l’expérience. La parole reçue dans la foi a la forme d’un commandement. Il s’agit de « faire la vérité ». « Celui qui fait la vérité vient à la lumière » ( Jn 3,21). Étant faite, la vérité devient manifeste. Elle se voit dans les Saints.

L’expérience probante est l’accueil sincère de l’Esprit que le Christ est venu communiquer aux hommes. C’est l’amour divin en personne, « le feu sur la terre ». L’Amour est le mystère de l’être à approfondir à l’infini. Il nous fait croître en être et en liberté en nous assujettissant au service d’autrui. Le temps que nous passons sur la terre nous est donné pour apprendre à aimer de l’amour même de Dieu et, comme l’a vu Bergson, pour nous laisser ainsi diviniser. Quel autre sens donner à cette vie ?

L’Esprit promis et donné sans mesure- la Pentecôte est de tous les temps, du nôtre singulièrement - est souvent en nous comme une source ensablée. Nous le laissons peu agir, et Dieu, vérité de foi et d’expérience, attend à notre porte avec un respect absolu de notre liberté. Mais qui donne pouvoir en sa vie à « la Force d’en-haut » laisse voir la vérité métaphysique, l’essence indicible de la divinité. « Qui aime, dit Jean, connaît Dieu » (I Jn 4 ,7). La conscience de chacun peut confirmer que la vocation à la sainteté est universelle. La philosophie l’y éclaire.

Le dernier livre du philosophe, Luc Ferry, s’intitule « apprendre à vivre ». En approfondissant le projet philosophique, vous le découvrez de connivence, dans la recherche de la vérité de l’Être, avec la vocation de tout être humain à la sainteté. 

 

III

 

Fruit de l’attention : l’Unité

 

1/ Retrouver en philosophie « le sûr chemin d’une science

 

Ceux qui, les premiers, à Athènes, adoptèrent le nom « de philosophes », ignoraient semble-t-il la tradition d’Israël. « Platon se rendit en Égypte pour consulter les prophètes », dit tardivement Diogène Laerce. Mais nous n’avons pas de preuves que les Juifs, répandus dans le monde méditerranéen et cultivant la sagesse depuis des siècles, aient influencé les Grecs avant notre ère. Sans doute chacun peut-il être en sa conscience à l’écoute de Dieu. Les philosophes avaient une exigence de justice. Ils furent justes en leur recherche de la vérité ultime et en leur vie. Ils préparèrent les esprits à recevoir la révélation divine. Nous avons cité le témoignage d’un philosophe du IIe siècle qui, préparé par Platon à prêter attention à la révélation chrétienne, voulut la faire connaître à Marc Aurèle et finit martyr. De même le jeune rhéteur Augustin, découvrant dans un dialogue de Cicéron, lHortensius, aujourd’hui perdu, la beauté de la philosophie platonicienne, fut conduit au Christ par cette influence, et, connaissant la Sagesse, la recherche plus encore, en philosophe.

Bien d’autres seraient à citer, comme ces deux jeunes Cappadociens qui se lièrent d’amitié, étudiant avec passion la philosophie à Athènes, et devinrent Saint Basile, pères des moines grecs, et Saint Grégoire, évêque de Nazianze.

La foi chrétienne eut le sort annoncé par le Christ lui-même. Repoussée par les uns, elle fut reconnue par maints philosophes comme lumière pour la raison humaine. Elle a unifié la recherche philosophique et lui a ouvert un chemin de progrès qui l’a menée à des sommets, comme dans l’enseignement de saint Thomas d’Aquin, à la Sorbonne et ailleurs.

Quand des philosophes moins attentifs à la sagesse du Christ, n’en ont plus gardé que des  souvenirs résiduels, la recherche philosophique a éclatée, elle s’est dispersée, de Spinoza à Hegel ou à Heidegger, en une pléiade de philosophies peu cohérentes entre elles, que des universitaires bien dévoués entretiennent comme « un musée des chimères ».

Ne se pourrait-il pas qu’un effort de recherche  fût mené en libre coopération sur des questions capitales clairement posées d’un commun accord, car les questions peuvent unir autant que les affirmations diviser ?

Chacun dirait où tend son effort, mené librement par les uns, et non par les autres, dans la lumière de la Sagesse éternelle :  le Verbe de Dieu.

 

 

2/ Exemple des étapes d’une recherche.

 

  Préalable au dialogue et à la coopération dans la recherche de la vérité, je dirai simplement comment je suis entré en philosophie pour n’en plus sortir, ayant fini par rejoindre la grande tradition fondée à Athènes par des amis de Socrate et éclairée, plus tard, par la révélation chrétienne.

Mon point de départ a certainement été, dans l’enfance, une conscience malheureuse du drame de la vie qui se perd. Bien avant d’entendre prononcer le grand nom de « philosophie », j’ai éprouvé le non sens de la vie en voyant mourir en peu d’années trois de mes proches, puis un quatrième, mon père, alors que j’avais 13 ans. Si je ne parlais pas du sens de la vie, c’est bien cela que je cherchais quand la rupture des liens d ‘affection me plongeait dans le désespoir.

Ma famille ne m’a pas aidé à sortir du désespoir pour les disparus et de l’angoisse pour ceux qui attendaient le même sort. Quand j’ai osé demander : « Qu’est-ce qu’on fait quand on est mort ? » j’ai reçu pour toute réponse : « Que veux-tu ?  On fait de la place aux autres. » Moi je tremblais, celle qui m’a répondu était calme, comme résignée. Que nous sommes différents les uns des autres ! Elle s’oubliait pour servir les autres, elle savait aimer mieux que moi. Sans espérance.

À l’heure où j’écris je suis encore le seul de ma famille à fréquenter les lieux où se donne à écouter l’Évangile.

L’année de philosophie qui terminait fort heureusement, en France, les études secondaires, a été pour moi, à 16–17 ans, un moment d’allègre effervescente intellectuelle. J’écrivais beaucoup. De nuit comme de jour. Je soumis à mes maîtres un projet de réforme des études et de la vie communautaire dans le collège où j’étais. Il y eut des applications qui ne durèrent pas quand je fus admis, à Poitiers, dans une classe dite « préparatoire » Poitiers est à 8 km de Ligugé. Là j’ai eu la chance d’entendre un vieux moine dont la pensée m’a séduit dès la première conférence entendue de lui. Il parlait de « l’enchantement des rythmes ». Il mettait en relation les deux concepts d’ordre et de mouvement. C’était à l’automne 1947. Je rapprochais de ces deux concepts ceux de forme et de force, puis de ceux-ci, les deux facultés propres à l’âme spirituelle : intelligence et volonté. Et je remontai au Principe, aux deux « processions » de la communion divine : le « Verbe » et « l’Esprit », qui est l’Amour échangé entre Dieu et son Verbe éternel.

J’avais là une grille de concepts explicatifs couvrant toute la réalité : reliant au Principe premier l’univers où tout est force et forme, et l’homme en qui la forme redevient connaissance et la force amour ou volonté. C’était pour moi comme l’embryon d’une grande philosophie à élaborer que je n’hésitais pas à appeler, dans l’ambition de mes 18 ans, la philosophie vraie. Vraie, parce que elle puisait ses principes ultimes à la source de la Vérité manifestée.

En septembre 1951, je fus invité à faire une conférence à Varèse, face au mont Rose, au cours d’une rencontre de la Mission Universitaire Française, conduite par le père Ruppo, S.J., et d’un groupe analogue italien conduit par le père Mezzori di Rovigo S.J. J’avais intitulé ma conférence : « Possibilité d’une métaphysique nouvelle ». Un compte rendu en fut donné dans le périodique du Centre Catholique des Intellectuels Français « Recherches et Débats ». Un an plus tard je présentai un « diplôme » sur « L’ordre et le mouvement », en omettant de dire ma dette envers le moine de Ligugé. Puis l’agrégation de philosophie me mit en charge de 3 classes comptant 120 élèves. Tous les soirs, sauf le samedi, je recevais dans mon appartement les élèves qui voulaient continuer de dialoguer avec moi.

Quand Etienne Gilson et Paul Ricœur me parrainèrent à l’entrée au CNRS, après deux ans passés à Toronto et à Montréal, il me fallut refermer l’ouverture d’une recherche métaphysique et m’ajuster pour un temps qui fut long à un travail plus proche de l’érudition que de la pensée. Je soutins une thèse d’État sur les conflits de logiques dans les sciences au XIe siècle latin, autour de la figure éminente de Saint Pierre Damien.

« Vous avez rempli votre contrat », me dit Ricœur, qui me reconnut généreusement la qualité d’historien. Congrès, articles et rapports ne manquaient pas, mais le travail de chercheur fut cumulé, à partir de 1975, avec une participation à la vie des Fraternités Monastiques de Jérusalem et quelques à côtés comme l’accompagnement des Fraternités laïques, l’accueil des marginaux qui m’entraîna assez loin et un rôle continué de visiteur de prison…

C’est à dire que le rêve d’une grande philosophie, formé entre 16 et 18 ans, fut soumis à l’épreuve d’un long délai de maturation.

En 1985 une petite éclaircie philosophique me fut donnée avec la parution d’un petit livre intitulé : «L’humanité a-t-elle un but ? » préfacé par Olivier Clément.

A la retraite, en 1994, j’eus à faire quelques cours de philosophie, parmi d’autres sur de tout autres sujets. Je me mis alors à esquisser une série d’ouvrages philosophiques. Et en 2000, vint la chance d’un certain loisir : une hémiplégie qui me laissait l’usage de la main droite. D’un hôpital à un autre, il y en eut 7, je pus écrire le premier de 14 livres projetés : « Partir en philosophie ». Sous le titre général : « Etre est aimer »

 

 

3/  Exemple d’un ordre d’exposition en philosophie.

 

Toute recherche doit livrer ses résultats.

La mienne est aujourd’hui menée en coopération, chance inappréciable. J’ai pu lui donner sur le tard une présentation d’ensemble.

Elle s’organise en deux moments successifs, sur les manuscrits de 14 livres : d’abord en 4 livres, une montée vers l’Être en plénitude, Fin universelle ; puis une redescente vers la situation actuelle de l’humanité dont les plus graves problèmes sont à éclairer à la lumière du Bien entrevu. Titre général : « Être est Aimer ».

La montée se fait en trois temps à la suite d’une introduction générale : « Partir en Philosophie » 

Livre II La condition humaine.

Livre III  La conquête de la liberté.

Livre IV  L’Être et les êtres.

Dans l’ordre : de l’anthropologie, de l’éthique et de la métaphysique.

 

À partir du livre V se fait la redescente : regard sur le monde actuel pour voir comment peuvent s’éclaire ses plus grands problèmes à la lumière de la Fin qui donne sens à son évolution.

Cet examen des problèmes de l’humanité se fait en 2 temps. D’abord 4 questions principales :

Livre V  L’humanité a-t-elle un but ?

Livre VI  Saurons-nous orienter notre histoire ?

Livre VII  L’homme a-t-il un modèle de sa perfection ?

Livre VIII  L’amour peut-il vaincre le mal ?

 

La deuxième étape de l’examen des problèmes est celui des solutions pratiques

Livre IX  Quel esprit pourrait pacifier la terre ?

Livre X  Quelle éducation en vue de quelle société ?

Livre XI  Comment réparer l’incomplétude de nos sciences ?

Livre XII  Comment le travail peut-il trouver son plein sens ?

Livre XIII  Quel ordre politique pour bien vivre ensemble ?

Livre XIV  Verrons-nous l’homme heureux sur une terre nouvelle ?

 

À quoi s’ajoute une recherche sur la signification des sexes intitulée : « Mystère de la sexualité » à paraître bientôt, après un saint Pierre Damien commandé, pour sortir en septembre.

 

4/ En coopération, progrès possible de la philosophie.

 

Pour finir, un dernier exemple : celui d’une question majeure de la philosophie dont la solution devrait prouver qu’une recherche menée en coopération peut aboutir à un progrès de certitude et de science, selon l’exigence primitive de la philosophie toujours à reprendre et honorer.

La question est : quelle relation du corporel à l’esprit ? Ou en terme bergsoniens : de la matière à la conscience.

Question capitale : c’est seulement si le Principe du réel est esprit que notre existence peut avoir un sens. La matière na pas d’intention.

Le réel nous apparaît sous deux aspects, qui semblent irréductibles : du corporel, comme ces murs, le soleil, l’univers physique, et du spirituel attesté par nos paroles et nos actes ; et entre les deux, comme une transition de l’un à l’autre, « la vie », depuis les grosses molécules des bactéries jusqu’à l’homme.

Que le spirituel soit produit par du corporel est inconcevable.

En revanche, le corporel peut se comprendre à partir de l’esprit, Principe premier. Car l’esprit est dire. Ce qui se vérifie dans l’expérience et ce qu’affirme la source chrétienne révélant Dieu comme l’Être même, qui EST, en se disant et créant dans et par son Verbe. De l’esprit divin qui est dire, le corporel peut se concevoir comme parole dite.

  • En son Verbe Dieu donne corps à sa pensée.
  • En nos paroles notre esprit se donne une expression corporelle.
  • Notre corps nous exprime.
  • L’univers physique a une action sur nos sens qui a le caractère d’une parole : en nous faisant percevoir des formes associées à des forces (cette table résiste) il instruit notre esprit.
  • Selon la foi, l’affinité du verbe avec la corporéité se confirme en son « incarnation ». Il est corporellement la parole et l’image du Père.
  • Verbe de Dieu et parole humaine sont pour qui les profère des « objets ». mais Dieu, se disant par amour, dit un verbe appelé à Être son vis à vis semblable à lui, en lui rendant tout son amour. Et, de même qu’il est dit par Dieu, le Verbe dit Dieu. Il est sujet comme Dieu.
  • Ainsi dans le Verbe, l’univers, conçu comme déferlement de force, prend forme et tend à une réciprocité de sujet en étant « tourné vers Dieu » (Jn 1,1). L’homme au bout du progrès de la vie terrestre en est la preuve. Il accomplit l’intention ou le sens de son existence en se rendant attentif à Dieu qui le fait être par le partage de son amour. Dieu s’est mis en nous. Aimant notre prochain nous revenons à Dieu, Vie parfaite. N’aimant pas, par inadvertance, nous ressemblons à ces cosmonautes qui, ayant perdu contact avec leur base de lancement, fuyaient dans le vide spatial jusqu’à mourir de froid.

Plus nous aimons, plus nous participons à l’Être qui est Esprit. Nous sommes unifiés dans l’Amour divin par notre association aux autres et notre service de la promotion des autres. Les plus authentiques philosophes sont les personnes qui en aimant se laissent unir au Principe unique et universel des êtres et ainsi le connaissent. D’autres grandes questions peuvent encore s’éclairer.  

Date de dernière mise à jour : 2021-07-05 10:42:30